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SALLUSTE

FRAGMENTS DΕ LΑ GRANDE ΗΙSΤΟΙRΕ

 

 


 

DE LA PR�FACE ET DU PREMIER LIVRE

Dans cette pr�face, l'historien semblait fortement p�n�tr� de l'importance de la t�che qu'il avait entreprise

I.

Nihil tam necessarium, aut magιs cum cura dicendum quam quod ίn manibus est. 
Il n'en est pas de plus importante, ni qui m�rite d'�tre �crite avec plus de son, que l'histoire qui nous occupe maintenant.

II.

Neque me diνοrsa pars in civilibus armis movit a vero. 
Au milieu des factions qui ont arm� les citoγens les uns cotre les autres, l'esprit de parti ne m'a point fait trahir la v�rifi�.

De l�, Salluste passait en revue les divers historiens qui l'avaient pr�c�d� dans la carri�re :

III. 

Nos in tanta doctissumorum hominum copia
Dans ce grand nombre d'habiles �crivains

IV. 

Cato, romani generis disertissumus, paucis absolvit 
Caton, le plus disert de tous les Romains, habile surtout � renfermer beaucoup de choses en peu de mots.

Il citait aussi Fannius, dont il proclamait la v�racit�.

V.

Fannius vero veritatem

Il faisait ensuite le r�sum� des dissensions qυi avaient agit� Rome depuis l'expulsion des rois jusqu'au temps des Gracques, de Marius et de Splla . Il indiquait en m�me temps les causes de la grandeur romaine ; et tel est le sujet des fragments d�tach�s qui vont suivre :

VI.

Nobis primae dissensiones νitio hυmani ingenii evetere, quod inquίes atque indomitum semper in certamine libertatis, aut gloriae, aut dominationis agit .
Parmi nous, les premi�res dissensions n'ont point eu d'autre cause que cette disposition fatale du coeur humain, qui, toujours inquiet, indomptable ; ne se pla�t qu'� lutter pour la libert�,  pour la gloire ou pour la puissance.

VII. 

At discordia, et avaritia ; atque ambitio, et cetera secundis rebus oriri sueta mala post Carthaginis excidium maxume aucta sunt. Nam injuriae validiorum, et οb eas discessio plebis a patrίbus , aliaeque dissensiones domi fuere jam ίnde a principio ; neque amplius quam, regibus exactis, dum metus a Tarquinio et bellum grave cum Etruria positum est, aequo et modesto jure agitatum : dein servili ίmperio patres plebem exercere, de vita atque tergo, regio more, consulere ; agro pellere, et ceteris expertibus, soli in imμerio agere. Quibus agitata saevitiis, et maxume foenoris onere oppressa plebes ; quam assiduis bellis tributum simul et militiam toleraret, armata montem Sacrum atque Ανentinum insedit. Tumque tribunos plebis et alia sibi jura paravit . Discordiarum et certaminis utrimque finis fuit secundum bellum punicum.
Mais l'esprit de discorde, de cupidit�, d'ambition, et tous les autres vices, fruits ordinaires de la prosp�rit�, prirent, apr�s la ruine de Carthage, un nouvel essor. Et, en effet, les injustices des grands, et par suite la scission du peuple d'avec le s�nat, et bien d 'autres dissensions, avaient eu lieu d�s l'origine. M�me apr�s l'expulsion des rois, ce fut seulement tant qu'on craign�t Tarquin et une guerre terrihle contre l'Etrurie, que la justice et la mod�ration pr�sid�rent au gouvernement . Mais, aussit�t apr�s, les patriciens trait�rent le peuple en esclave, condamn�rent � mort, firent battre de verges, comme avaient fait les rois ; s'empar�rent des biens, et usurpant les droits de leurs concitoyens, s'arrag�rent seuls toute la puissance. Soulev� par ces barbaries, accabl� surtout par une d�vorante usure, tandis qu'il avait � supporter, dans des guerres perp�tuelles, le poids du service militaire et des imp�ts, le peule se retira en armes sur le mont Sacr� et sur le mont Aventin.  C'est ainsi qu'il obtint des tribus, et revendiqua bien d'autres droits. Les querelles et la lutte des deux partis eurent pour terme la seconde guerre punique.

VIII. 

Rursus gravis metus coepit urgere atque illis perturbationibus alia majore cura cohibere animos inquietos et ad concordiam revocare civilem.  Sed per quosdam paucos, qui prο sua modo boni erant magna administrabantur, atque illis tοleratis malis, paucorum bonorum providentia res illa crescebat.
De s�rieuses alarmes s'empar�rent de nouveau des esprits, et, d�tournant leur inqui�tude de ces dissensions pour un int�r�t plus pressant, r�tablirent l'union encre les citoyens. Alors la direction des affaires revint aux mains d'un petit nombre d'hommes honn�tes, mais � leur mani�re; et, les anciens abus �tant devenus plus tol�rables par des concessions mutuelles, la r�publique dut sa grandeur � la sage politique d'un petit nombre de bons citoyens.

IX. 

Res romana plurimum imperio νaluit : Servio Sulpicίο et M. Marcello consulibus, omnis Gallia cis Rhenum, atquο inter mare nostrum, atque oceanum nisi quae a paludibus fuit ίnvia perdomίta.
Optumis autem moribus et maxuma concordia egit populus romanus inter secundum atque postremum bellum carthagίnense.

L'habilet� de ses g�n�raux a fait la principale force de Rome. C`est sous le consulat de Servius Sulpicius et de M. Marcellus qu'ont �t� soumises par les armes romaines toutes les Gaules comprises entre le Rhin, la m�diterran�e et l'Oc�an, � l'exception des lieux que des marais rendent impraticables.
Une sagesse irr�prochable, une parfaite union, marqu�rent la conduite du peuple romain durant l'intervalle de la seconde � la troisi�me guerre punique.

 X.

Postquam, remoto metu punico, simultates exercere vacuum fuit, plurimae turbae, seditίones, et ad postremum bella civilia orta sunt : dum pauci potentes, quorum in gratiam plerique concesserant, sub honesto patrum aut plebis nomine, dominatίones affectabant; bonique et mali cives appellati, non ob merita in rempublicam, omnibus pariter corruptis ; sed uti quisque locupletissumus et injuria validior quia praesentia defendebat, pro bono ducebatur. Ex quo tempore majorum mores non paullatim, ut antea, sed torrentis modo praecipitati : adleo juventus luxu atque avaritia cοrrupta est, uti merito dicatur genitos esse, qui neque ipsi habere possent res familiares, neque alios pati. 
Affranchis de la crainte de Carthage, les Romains eurent le loisir de se livrer � leurs dissensions ; alors s'�lev�rent de toutes parts les troubles, les s�ditions, et enfin les guerres civiles. Un petit nombre d'hommes puissants, dont la plupart des citoyens �taient devenus les cr�atures, exerc�rent, sous le nom imposant tant�t du s�nat, tant�t du peuple, un v�ritable despotisme . On ne fut plus bon ou mauvais citoyen, selon ce qu'on faisait pour ou contre la patrie ; car tous �taient �galement corrompus : mais plus on �tait riche, et en �tat de faire impun�ment le mal plus, pourvu qu'on d�fend�t l'ordre pr�sent des choses, on passait pour homme de bien. D�s ce moment, ce ne fut plus par degr�s comme autrefois, nais avec la rapidit� d'un torrent, que se r�pandit la d�pravation ; la jeunesse fut tellement infect�e du poison du luxe et de l'avarice, qu'on vit une g�n�ration de gens dont il fut juste de dire qu'ils ne pouvaient avoir de patrimoine ni souffrir que d'autres en eussent.

Salluste, poursuivant le cours de son rapide r�sum�, arrive aux s�ditions des Gracques, et c'est aux �v�nements dont elles furent l'occasion, qu'on peut rapporter les fragments qui suivent : 

XI.
A Graccho seditiones graves ortae.
Les plus funestes s�ditions commenc�rent au temps de Gracchus (Tiberius).

XII
Quae causa fuerat novandis rebus.
Ce fut un pr�texte pour introduire des innovations.

Apr�s les premiers d�m�l�s de Marius et de Sy11a, venait la guerre Sociale, � laquelle se r�f�rent ces deux fragments :

XIII.
Tantum antiquitatis curaeque pro italica gente majoribus fuit.
Telle avait �t� la sollicitude affectueuse de nos anc�tres pour la nation italique.

XIV.
Dum paullatim suis invicem subveniunt, omnes in bellum coacti sunt
En se secourant ainsi de proche en proche, les ditf�rents peuples de l'Italie furent tous successivement entra�n�s � la guerre.

Apr�s la guerre Sociale, Sylla, consul, fut charg� par le s�nat d'aller combattre Mithridate ; mais Marius, aid� du tribun Sulpicius, se fait donner ce commandement par un pl�biscite. Sylla, qui �tait d�j� en Companie, � la t�te de sοn arm�e, revient sur Rome, s'en rend ma�tre, et proscrit Sulpicius, qui est mis � mort, et Marius, qui n'�chappe qu'avec des p�rils inou�s.  Apr�s avoir rendu au s�nat ses pr�rogatives, Sylla part pour la Gr�ce ; mais Cornelius Cinna,  fougueux partisan de Marius, attaque � main arm�e Octavius, son coll�gue, et le parti du s�nat.  Vaincu et chass� de Rome, il rassemble une nouvelle arm�e, rappelle Marius et les autres proscrits, puis vient assi�ger la capitale de l'empire . Le s�nat, apr�s la d�faite de l'arm�e d'Octavius et de celle du proconsul Pompeius Strabon, n'avait plus � ses ordres que l'arm�e de Metellus Pius ; mais il �tait en Apulie, occup� de combattre les Samnites :

XV.
Et Metello procul agente, longa spes auxiliorum,
Et Metellus �tant �loign�, l'esp�rance du secours l'�tait aussi.

Sοn arriv�e tardive n'emp�cha point Cinna et Marίus d'entrer dans Rome, qυί devint le th��tre des plus sanglantes ex�cutions : les autels des dieux ne furent pas m�me un asile contre les proscrits :

XVI.  
Quum aras et alia dis sacrata, supplicum sanguine foedarentur. 
Quand on souillait du sang des suppliants les autels et tous les lieux consacr�s aux dieux

La tyrannie de Marius fut courte : il mourut le dix-septi�me jour de son septi�me consulat ; mais Cinna et Carbon en perp�tu�rent les exc�s : apr�s avoir vaincu Mithridate, Sylla lui avait accord� la paix, mais � de dures conditions, quoique ce prince e�t esp�r� que, press� d'aller � Rome accabler ses ennemis,

XVII.
Bellum, quibus posset conditionibus, desineret. 
Il aurait termin� cette guerre � quelques conditions que ce f�t.

Arrίv� en Italie, Sylla d�fit le consul Norbanus en Companie, puis attira sous ses drapeaux, pr�s de T�anum, l'arm�e de Corn. Scipion Asiaticus, coll�gue de ce dernier.

XVIII. 
Cujus advorsa voluntate, colloquio militibus permisso, corruptio facto paucorum, et exercitus Sullae datus est.  
En d�pit de ce consul, il permit � ses soldats d'entrer en pourparlers [avec ceux de Scipion] ; quelques-uns se laiss�rent gagner, et leur exemple entra�na toute l'arm�e, qui se donna � Sylla .

Cette d�fection fut d'autant plus prompte, que la plupart des soldats de Scipion

XIX. 
Non repugnantibus modo, sed ne deditis quidem, A. B. C. M. [i. e. fort. atrocis belli cladem metuentibus.]
...N'avaient, � vrai dire, ni �loignement ni affection ]pour Sylla], mais n'envisageaient qu'avec horreur les d�sastres d'une guerre.

Cependant le jeune Cn . Pomp�e, ayant lev� des troupes de sa propre autorit�, remporta divers avantages sur les partisans de Marius, puis alla se joindre � Sylla, qui lui d�cerna le surnom d'imperator. Carbon, quoique vaincu, rentra dans Rome, et se fit nommer consul pour la quatri�me fois, avec le jeune Marius, qui renouvela les proscriptions de son p�re adoptif. Sylla marche vers Rome, bat le jeune Marius,

XX.
Apud Praeneste locatus.
Qui avait son quartier g�n�ral � Pr�neste.

Nouvel alli� de Marius, Pondus Telesinus, chef des Samnίtes, toujours en armes depuis la guerre Sociale, dispute � Sylla l'entr�e de Rome.

XXI.
Et Marius victus duplicaverat belllum
Aίnsi la d�faite de Marius avait impos�  � Sylla la t�che d'une double guerre

Telesinus est tu� au moment o� la victoire allait le rendre ma�tre de Rome. Sylla fait �gorger huit mille prisonniers sur le champ de bataille. Un corps de trois mille Samnites, Marses et Lucaniens lui demande quartier. Il r�pondit qu'il l'accorderait � ceux qui s'en rendraient dignes par la mort de leurs compagnons. Ils acceptent avec empressement cette cruelle alternative,

XXII.
Atque ea cogentes, non coactos, scelestos magis quam miseros distringi.
Et [paraissant] moins c�der � la contrainte qu'emport�s par l'animosit�, ils tombent sous le fer les uns des autres, plus coupables encore que malheureux.

Bient�t commenc�rent dans Rome les proscriptions de Sylla, dont le tableau trac� par Salluste est enti�rement perdu, sauf deux traits, l'un relatif au supplice affreux de Marius Gratidianus, qui fut immol� sur le tombeau des Catulus ; l'autre, concernant les biens des proscrits.

XXIII
Quum, fractus prius crura, per artus expiraret.
Apr�s qu'on lui eut bris� les jambes pour que tous ses membres subissent les angoisses de la mort.

XXIV. 
Igitur venditis proscriptorum bonos, aut dilargitis.
Les biens des proscrits ayant �t� vendus ou dissip�s en largesses.

La fureur des proscriptions ne s'arr�ta point dans Rome ; le sang coula par toute la r�publique, et la guerre civile se propagea jusqu en Afrique. Le consul Carbon, qui �tait aux prises avec Metellus Pius, dans la Gaule cispadane, pouvait encore r�sister longtemps ; mais, � la nouvelle de deux �checs peu d�c�sifs re�us par ses lieutenants,

XXV.
Carbo turpi formidine Italiam atque exercitum deseruit.
Saisi d'une l�che terreur, il d�serta tout � coup l'Italie et son arm�e .

Il s'embarqua 0 Rimini, et fit voile vers Cossura, petite �le sur la c�te d'Afrique ; mais il tomba entre les mains de Pomp�e, qui venait de soumettre la Sicίle. Carbon semblait pouvoir tout esp�rer de la cl�mence de ce jeune lieutenant de Sylla dont il avait prot�g� la jeunesse . Pomp�e fut insensible � ses supplications : il fit p�rir sous ses yeux Carbon,qui, pour gagner un instant de vie,

XXVI. 
Simulans alvum pugari sibi,
Feignit d'avoir � satisfaire un besoin naturel,

"Et il fut, dit Val�re-Maxime, d�capit� dans cette posture." Cependant Domitius Ahenobarbus, lieutenant de Carbon, s'�tait retir� en Afrique, o� Hiarbas, roi d'une partie de la Numidie, vint le joindre avec toutes ses forces, dont il s'�tait servi pour d�pouiller Hiempsal II, autre prince de la race de Masinissa . Pomp�e se h�ta de passer en Afrique, et d�barqua � Curubis, petit port voisin de Carthage . Vainqueur de Domitius, qui fut tu� dans l'action, il poursuit Hiarbas, et dissipe sans peine les Africaiιιs, qui ava�ent pris les armes .

XXVII.
Id bellum excitahat metus Pompeii victoris, Hiempsalem in regnum restituentis.
Cette guerre avait pour motif la crainte de Pomp�e vainqueur. et qui voulait r�tablir Hiempsal dans son royaume.

Apr�s avoir termin� en quarante jours cette campagne, Pomp�e, dont la gloire portait ombrage � Sylla, fut rappel� en Italie. Il ob�it malgr� ses troupes, qui lui offraient leurs bras s'il e�t voulu r�sister � cet ordre . Un ennemi moins digne de lui devait s'�lever contre Sylla ; c'�tait M. Emilius Lepidus, qui d�shonorait un nom illustre par ses vices et par sa pr�somptueuse imp�ritie. On l'avait vu z�l� fauteur du parti populaire, au temps du triomphe de Marius, sous le septi�me consulat duquel il fut �dile curule. Il fut des premiers � passer sous les drapeaux de Sylla vainqueur, et s'enrichit des biens des proscrits. Apr�s ανοίr exerc� la pr�ture, il fut envoy� en Sicile, et, par ses concussions, il m�rita d'�tre traduit en justice � sοn retour ; mais ses accusateurs, c�dant aux instances du peuple, se d�sist�rent ; et Lepidus, enhardi par l'impunit�, osa briguer le consulat. Adulateur servile de Sylla, il en avait esp�r� la protection ; mais le dictateur, qui avait trop bien jug� ce factieux, lui d�fendit de se mettre sur les rangs. alors Lepidus se tourne vers Pomp�e, qui, flatt� de voir qu'on esp�rait obtenir par son influence ce que Sylla ne voulait pas accorder, saisit cette occasion de montrer son cr�dit sur le peuple ; il fit �lire Lepidus consul, par pr�f�rence � Catulus, qui ne fut nomm� que le second, malgr� son m�rite �minent et la protection d�clar�e du dictateur. Sylla, d�j� r�solu d'abdiquer la puissance, ne parut pas tr�s sensible � cette esp�ce d'affront ; il se contenta de pr�dire � Pomp�e, encore tout enorgueilli de ce triomphe, les maux qui allaient r�sulter de l'�lection de Lepidus : "C'est � vous maintenant, dit-il, � veiller aux affaires, et � ne pas vous endormir apr�s avoir arm� contre vous-m�me un dangereux ennemi."Ce pronostic ne tarda pas � se v�rifier. Lepidus, � peine d�sign� consul, con�oit le projet de se rendre ma�tre du gouvernement � la place de Sylla. Il cabale, il murmure sourdement contre l'�tat pr�sent des choses ; il rallie les familles des proscrits ; puis, exag�rant ses ressources pour multiplier ses partisans, il se vante d'avoir des fauteurs en �trurie, dans la Gaule transalpine ; enfin d'avoir tout pouvoir sur Pomp�e. Ainsi parlait Lepιdus, d'abord dans des entretiens particuliers . Bient�t dans une r�union g�n�rale de ses principaux partisans, tenue le plus secr�tement possible, il r�v�la tous ses projets dans le discours qui suit : 

I.  Clementia et probitas vostra, Quirites, quibus per ceteras gentis maxumi et clari estis, plurumum timoris mihi faciunt advorsum tyrannidem L. Sullae, ne, quae ipsi nefanda aestumatis, ea parum credundo de aliis circumveniamini -- praesertim cum illi spes omnis in scelere atque perfidia sit neque se aliter tutum putet, quam si peior atque intestabilior metu vostro fuerit, quo captis libertatis curam miseria eximat -- aut, si provideritis, in tutandis periculis magis quam ulciscendo teneamini.  Satellites quidem eius, homines maxumi nominis optumis maiorum exemplis, nequeo satis mirari, qui dominationis in vos servitium suum mercedem dant et utrumque per iniuriam malunt quam optumo iure liberi agere.
II. Praeclara Brutorum atque Aemiliorum et Lutatiorum proles, geniti ad ea quae maiores virtute peperere subvortunda. Nam quid a Pyrrho, Hannibale, Philippoque et Antiocho defensum est aliud quam libertas et suae cuique sedes, neu cui nisi legibus pareremus? Quae cuncta scaevos iste Romulus quasi ab externis rapta tenet, non tot excercituum clade neque consulum et aliorum principum, quos fortuna belli consumpserat, satiatus, sed tum crudelior, cum plerosque secundae res in miserationem ex ira vortunt.Quin solus omnium post memoriam humani generis supplicia in post futuros composuit, quis prius iniuria quam vita certa esset, pravissumeque per sceleris immanitatem adhuc tutus fuit, dum vos metu gravioris serviti a repetunda libertate terremini.
III. Agundum atque obviam eundum est, Quirites, ne spolia vostra penes illum sint, non prolatandum neque votis paranda auxilia. Nisi forte speratis taedium iam aut pudorem tyrannidis Sullae esse et eum per scelus occupata periculosius dimissurum. At ille eo processit, ut nihil gloriosum nisi tutum et omnia retinendae dominationis honesta aestumet.  Itaque illa quies et otium cum libertate, quae multi probi potius quam laborem cum honoribus capessebant, nulla sunt;
hac tempestate serviundum aut imperitandum, habendus metus est aut faciundus, Quirites. 
IV Nam quid ultra? Quaeve humana superant aut divina impolluta sunt? Populus Romanus, paulo ante gentium moderator, exutus imperio, gloria, iure, agitandi inops despectusque, ne servilia quidem alimenta reliqua habet.  Sociorum et Lati magna vis civitate pro multis et egregiis factis a vobis data per unum prohibentur et plebis innoxiae patrias sedes occupavere pauci satellites mercedem scelerum.  Leges, iudicia, aerarium, provinciae, reges penes unum, denique necis civium et vitae licentia. Simul humanas hostias vidistis et sepulcra infecta sanguine civili.  Estne viris reliqui aliud quam solvere iniuriam aut mori per virtutem? Quoniam quidem unum omnibus finem natura vel ferro saeptis statuit neque quisquam extremam necessitatem nihil ausus nisi muliebri ingenio exspectat
V.  Verum ego seditiosus, uti Sulla ait, qui praemia turbarum queror, et bellum cupiens, qui iura pacis repeto.  Scilicet, quia non aliter salvi satisque tuti in imperio eritis, nisi Vettius Picens et scriba Cornelius aliena bene parata prodegerint; nisi approbaritis omnes proscriptionem innoxiorum ob divitias, cruciatus virorum illustrium, vastam urbem fuga et caedibus, bona civium miserorum quasi Cimbricam praedam venum aut dono datam. At obiectat mihi possessiones ex bonis proscriptorum; quod quidem scelerum illius vel maxumum est, non me neque quemquam omnium satis tutum fuisse, si recte faceremus. Atque illa, quae tum formidine mercatus sum, pretio soluto iure dominis tamen restituo, neque pati consilium est ullam ex civibus praedam esse.
VI. Satis illa fuerint, quae rabie contracta toleravimus, manus conserentis inter se Romanos exercitus et arma ab externis in nosmet vorsa; scelerum et contumeliarum omnium finis sit; quorum adeo Sullam non paenitet, ut et facta in gloria numeret et, si liceat, avidius fecerit.   Neque iam quid existumetis de illo, sed quantum audeatis vereor, ne alius alium principem expectantes ante capiamini, non opibus eius, quae futiles et corruptae sunt, sed vostra socordia, qua raptum ire licet et quam audeat, tam videri Felicem.  Nam praeter satellites commaculatos quis eadem volt aut quis non omnia mutata praeter victoriam? Scilicet milites, quorum sanguine Tarulae Scirtoque, pessumis servorum, divitiae partae sunt?  An quibus praelatus in magistratibus capiundis Fufidius, ancilla turpis, honorum omnium dehonestamentum? 
VII.  Itaque maxumam mihi fiduciam parit victor exercitus, cui per tot volnera et labores nihil praeter tyrannum quaesitum est. Nisi forte tribuniciam potestatem evorsum profecti sunt per arma, conditam a maioribus suis, utique iura et iudicia sibimet extorquerent, egregia scilicet mercede, cum relegati in paludes et silvas contumeliam atque invidiam suam, praemia penes paucos intellegerent.  Quare igitur tanto agmine atque animis incedit? Quia secundae res mire sunt vitiis optentui, quibus labefactis, quam formidatus est, tam contemnetur. Nisi forte specie concordiae et pacis, quae sceleri et parricidio suo nomina indidit. Neque aliter rem publicam et belli finem ait, nisi maneat expulsa agris plebes, praeda civilis acerbissuma, ius iudiciumque omnium rerum penes se, quod populi Romani fuit.
VIII. Quae si vobis pax et composita intelleguntur, maxuma turbamenta rei publicae atque exitia probate, annuite legibus impositis, accipite otium cum servitio et tradite exemplum posteris ad rem publicam suimet sanguinis mercede circumveniundam!  Mihi quamquam per hoc summum imperium satis quaesitum erat nomini maiorum, dignitati atque etiam praesidio, tamen non fuit consilium privatas opes facere, potiorque visa est periculosa libertas quieto servitio.  Quae si probatis, adeste, Quirites, et bene iuvantibus divis M. Aemilium consulem ducem et auctorem sequimini ad recipiundam libertatem!

I . Romains, votre cl�mence et votre droiture, qui font, aux yeux des nations �trang�res, votre sup�riorit� et votre gloire, m'inspirent bien des alarmes au sujet de la tyrannie de L. Sylla. Je crains que, peu port�s � supposer dans les autres ce qui vous auriez horreur de faire vous ne vous laissiez surprendre ; je le crains d'autant plus, que vous avez affaire � un homme qui n�a d'espoir que dans le crime et dans la perfide, et qui ne peut se croire en s�ret� qu�en se montrant plus m�chant et plus d�testable, afin de vous �ter, par l'exc�s de vos maux, jusqu'au sentiment de votre libert� : ou, si votre prudence veille encore, de vous tenir plus occup�s � vous d�fendre de vos p�rils , qu'� assurer votre vengeance. Pour satellites, il a, je l'avoue, des hommes du plus grand nom, illustres par les belles actions de leurs anc�tres, et je ne puis me lasser d 'admirer comment, achetant par leur servitude le droit de domination sur vous, ils pr�f�rent une double injustice au noble exercice d'une l�gitime libert�.
II. Oh ! les glorieux rejetons des Brutus, des Emilius, des Lutatius, n�s tout expr�s pour d�truire ce que leurs anc�tres avaient conduit par leur valeur ! car enfin, contre Pyrrhus et Annibal, contre Philippe et Antiochus, que pr�tendait-on d�fendre, sinon la libert� publique. Les propri�t�s de chaque citoyen, le droit enfin de n'ob�ir qu'aux lois? Tous ces biens, cette contrefa�on de Romulus nous les a ravis comme � des �trangers, et il les retient encore. Ni le sang de tant d'arm�es, ni celui d'un consul, ni celui de nos premiers citoyens, victimes des hasards de la guerre, n'ont assouvi sa rage ; et sa cruaut� s'accro�t m�me au sein de la prosp�rit�, qui d'ordinaire charge la col�re en piti�. Que dis-je? il est le seul entre tous les mortels qui ait prononc� des supplices contre les enfants � na�tre, voulant ainsi qu'une injuste proscription leur f�t assur�e avant l'existence ; et maintenant, � comble de perversit� ! il peut, gr�ce � l�exc�s m�me de ses forfaits , en toute s�ret�, se livrer � sa fureur, tandis que vous, dans la crainte d'une servitude plus affreuse encore, vous n�osez reconqu�rir votre libert� .
III. Il faut agir, Romains, il faut le pr�venir de peur que vos d�pouilles ne lui appartiennent � jamais. Il n�est plus temps de diff�rer ni de compter sur l'efficacit� de voeux pusillanimes, � moins peut-�tre que vous n�esp�riez qu�un jour le d�go�t ou la honte de la tyrannie ne lui fasse abandonner un pouvoir usurp� par le crime, mais qu�il est trop p�rilleux de quitter. Sachez-le : au point o� il en est, il n�y a pour lui de glorieux que ce qui est s�r, d'honorable que ce qui peut affermir sa domination. Ainsi ce calme, ce loisir avec la libert�, que nombre de vertueux citoyens pr�f�raient aux sollicitudes ins�parables des honneurs, ne sont plus de saison. Il faut aujourd'hui, Romains, servir ou commander, subir ou imposer la crainte.
IV. Et qu�attendez-vous de plus? Que vous reste-t-il de droits divins ou humains qui n�aient �t� viol�s? Nagu�re l'arbitre des nations, maintenant d�pouill� de sa puissance, de sa gloire, de ses droits, sans ressources pour exister et m�pris�, le peuple romain ne re�oit pas m�me les aliments assur�s aux esclaves. Une grande partie des alli�s et des habitants du Latium avaient, pour prix de nombreux et honorables services, re�u de nous le droit de cit� : un seul homme les leur enl�ve; et des populations paisibles ont vu les demeures de leurs p�res envahies par un petit nombre de satellites, ainsi pay�s de leurs crimes. Lois, jugements, tr�sor public, provinces, royaumes �trangers, tout est � la discr�tion d' un seul, tout , jusqu�au droit de vie et de mort sur les citoyens. Vous avez vu les hommes immol�s comme des victimes, et les tombeaux arros�s du sang des citoyens. Y a-t-il, pour des hommes, d'autre parti que de s�affranchir de l'oppression ou de mourir avec courage? Car enfin la nature a prescrit � tous les hommes, � ceux m�me qu'environne un rempart de fer un terme in�vitable, et, s'il n�a un coeur de femme, nul n�attend le dernier coup sans oser se d�fendre.
V. Mais, � entendre Sylla, je suis un s�ditieux, parce que je m��l�ve contre ceux que nos troubles ont enrichis ; un homme qui veut la guerre, parce que je r�clame les droits de la paix. Ah ! je comprends ! Il n�y aura ni bien-�tre ni s�ret� dans l'�tat, si le Picentin Vettius et le greffier Curnelius ne dissipent en profusions les l�gitimes propri�t�s d'autrui ; si l'on n�approuve les proscriptions de tant d�innocents, sacrifi�s pour leurs richesses, les supplices des personnages les plus illustres, Rome d�peupl�e par l'exil et le meurtre, et les biens des citoyens donn�s ou vendus comme le butin pris sur les Cimbres. Mais je poss�de aussi des biens de proscrits ! Oui, et c'est l� le plus grand de ses crimes, qu�il n'ait eu, ni pour moi, ni pour personne, de s�ret� � rester fid�le � la justice. Mais ce qu'alors j�ai achet� par crainte, ce dont j'ai vers� le prix, j'offre de le rendre aux l�gitimes propri�taires : mon intention est de ne pas souffrir que personne soit riche de la d�pouille de ses concitoyens.
VI. C'en est bien assez d'avoir support� les effets in�vitables de nos fureurs, d'avoir vu les arm�es romaines en venir entre elles aux mains, d'avoir tourn� contre nous-m�mes les armes que nous aurions d� diriger contre l��tranger. Mettons un terme aux crimes, � tous ces honteux �garements. Mais lui, loin de se repentir il les compte au nombre de ses titres de gloire, et, si l'on n�y mettait ordre, il recommencerait avec encore plus d'emportement. Et d�j� je ne suis plus en doute de ce que vous pensez de lui, mais bien du parti que vous oserez prendre : je crains qu' en vous attendant les uns les autres pour mettre la main � l'oeuvre vous ne soyez victimes, je ne dis bas de sa puissance (elle n'a plus ni r�alit� ni consistance), mais de votre inaction ; il vous pr�viendra, et fera ainsi voir au monde qu'il a autant de bonheur que d'audace. En effet, � l'exception de quelques satellites d�shonor�s, qui donc est satisfait du pr�sent ? ou bien, qui ne d�sire voir tout changer, si l'on n�abuse pas de la victoire ? Seraient-ce les soldats doit le sang a coul� pour enrichir un Tarrula, un Scyrrus, les plus d�testables des esclaves ? Sont-ce des citoyens auxquels on a pr�f�r�, pour les magistratures un Fusidius, l'opprobre de son sexe et des dignit�s qu�il d�grade ?
VII. Je place donc toute ma confiance dans une arm�e victorieuse, qui, pour pris de tant de blessures et de travaux, n�a obtenu qu�un tyran. A moins peut-�tre que nos soldats ne se soient lev�s en masse que pour renverser la puissance tribunitienne fond�e par leurs anc�tres, et pour s'arracher � eux-m�mes leurs droits avec la garantie des tribunaux : noblement pay�s, sans doute, lorsque, rel�gu�s dans les marais et dans les bois, vou�s � la honte et � la haine, ils verront les r�compenses r�serv�es � quelques favoris ! Pourquoi donc, entour� d'un nombreux cort�ge, marche-t-il avec tant d'assurance ? C'est que la prosp�rit� voile merveilleusement le vice ; qu'elle vienne � chanceler, et, � la terreur qu'il inspirait, succ�dera un �gal m�pris. Il compte aussi, pour colorer son crime et son parricide, sur ces pr�textes de concorde et de paix ; � l'entendre, Rome ne cessera d'�tre en guerre avec elle-m�me que quand les patriciens seront � jamais chass�s de leur patrimoine, les citoyens d�pouill�s sans piti�, les lois et la justice, privil�ges du peuple romain, d�volues � ses caprices.
VIII. Si c'est l� ce que vous prenez pour la paix et pour la concorde, approuvez l'entier bouleversement de la r�publique et sa destruction, souscrivez aux lois qui on vous impose, acceptez le repos avec l'esclavage. Montrez � la post�rit� comment, pour prix du sang qu'il a vers�, on peut imposer au peuple romain la servitude. Quant � moi, bien que par la digit� supr�me o� je suis parvenu j'aie satisfait � ce que je devais au nom de mes anc�tres, � ma consid�ration et � ma s�ret� personnelles, je n'ai point l'intention de profiter seul de ces avantages. J' ai toujours, � un tranquille esclavage, pr�f�r� la libert� avec ses p�rils. Si tel est aussi votre sentiment, montrez-vous, Romains, et ; avec le secours des dieux, suivez M. Emilius, votre consul, votre chef; allez sur ses pas reconqu�rir la libert�.

On peut supposer que ce discours produisit peu d'effet ; du moins ne fut-il suivi d'aucune tentative contre le dictateur.  Bient�t se justifi�rent les rumeurs qui avaient encourag� la t�m�rit� de Lepidus Sylla r�signa entre les mains du peuple romain le pouvoir dont il avait tant abus�, et alla mourir en paix au sein d'une voluptueuse retraite. Ici Salluste avait esquiss� quelques traits du caract�re de cet homme �tonnant : t�moin ce passage o� notre historien est cit� par Plutarque : "Sylla ne fut jamais mod�r� en ses concupiscences, ny par pauvret� lorsqu'il �toit jeune, ny par l'aage lorsqu'il feut devenu vieil : ainsi en faisant les ordonnances � ses citoyens touchant l'honnestet� des mariages, touchant la continence, luy cependant ne faisoit que vacquer � l'amour et commettre adult�res, ainsy que l'escript Sallustius." Le calme qui avait suivi l'abdication de Sylla, en prouvant combien il lui e�t �t� facile de conserver le pouvoir, avait port� le dernier coup � la libert�. Il �tait d�sormais reconnu que la r�pub}ique pouvait impun�ment �tre opprim�e, et cette conviction d�truisit le seul pr�jug� qui faisait encore les bons citoyens. Tont chef habile, � la t�te d'une arm�e d�vou�e, crut appel� aux brillantes destin�es de Sylla. Encore si une pareille ambition n'avait germ� que dans les coeurs d'hommes incapables de s'�lever au pouvoir par d'indignes manoeuvres,

XXIX.

Ea paucis, quibus peritia et verum ingenium est, abnuentibus.
Et du petit nombre de ceux dont l'habilet� et l'esprit �lev� eussent d�daign� de pareils moyens.

Mais tel n'�tait pas Lepidus, qui, pour se faire des partisans, avait �t� chercher les d�bauch�s du plus bas �tage :

XXX.

Qui lenones et vinarii laniique, quorum praeterea vulgus in dies usum habet, pretio compositi.
Jusqu'aux teneurs de mauvais lieus, aux cabaretiers, aux bouchers, il gagna par son or tous les gens qui ont avec la populace des rapports journaliers.

Sans doute, un pareil ennemi avait sembl� trop m�prisable au dictateur, et voil� ce qui explique l'impunit� de Lepidus :

XXXI.

Nam dominationem Sullae audebat....  Neque est offensus [dominationem] Syllae.
Car lui, qui bravait la domination de Sylla... N'avait point �prouv� combien elle �tait redoutable
.

Apr�s la mort de Sylla, ce fut au b�cher m�me du dictateur que Lepidus alluma le feu de la guerre civile. Ses propositions incendiaires avaient pour but l'abrogation de toutes les lois Corn�liennes : c'�tait remettre les factions en pr�sence, c'�tait vouloir plonger dans de nouveaux d�sordres : 

XXXII. 
Quietam a bellis civitatem.
La r�publique, � peine remise de ses guerres intestines.

Les tribuns, dont il pr�tendait faire revivre les pr�rogatives, les fils des proscrits, � qui il promettait la restitution de leurs biens, les alli�s, qu'il voulait rappeler � l'exercice du droit de cit� romaine, avaient int�r�t � soutenir Lepidus de tous leurs efforts ; son caract�re personnel attirait � lui tous les gens qui � Rome avaient v�cu de d�sordres et de s�ditions, jusqu'au moment o� la main puissante de Sylla les avait forc�s � l'inaction. A la t�te des adh�rents du factieux consul, on distinguait Cethegus, qui, bien qu'issu d'une des premi�res familles de Rome, 

XXXIII.
Multos tamen ab adolescentia bonos insultavit.
Il avait n�anmoins, d�s sa jeunesse, exerc� les violences les plus graves contre des citoyens recommandables.

Cependant Lepidus allait trouver un adversaire redoutable dans son coll�gue Catulus, qui, 

XXXIV.
Inter arma civilia aequi boni famas petit.
Au milieu des guerres civiles, n'avait cherch� que la r�putation d' homme juste et de bon citoyen.

Malheureusement, la plupart des s�nateurs n'opposaient qu'une timide r�probation aux projets d'un consul qui, oubliant qu'il �tait le chef du s�nat, descendait au r�le de tribun du peuple. Plusieurs m�me faisaient � Lepidus un m�rite de sa conduite, et, tenant la balance �gale entre lui et Catulus, pr�tendaient que : 

XXXV
.
idem fecere Octavius et Q. Caepio, sine gravi cujusquam exspectatione, neque sane ambiti publice : 
Octavius et C�pion avaient agi de m�me sans avoir tromp� l'attente de personne, ni encouru le bl�me public :

Octavius, lorsque malgr� son caract�re de tribun il avait engag� le peuple � renoncer aux distributions de vivres que lui avait fait accorder Tib. Gracchus ; et C�pion, lorsqu'en d�pit de sa naissance patricienne il avait emp�ch� Livius Drusus detransf�rer la puissance judiciaire de l'ordre �questre � l'ordre s�natorial. 
Ce partage des opinions, au sujet de Lepidus, entra�na le s�nat dans des mesurres imprudentes.  Sous pr�texte que la haine mutuelle des deux consuls allait engendrer la guerre civile, on leur fit jurer qu'ils ne prendraient pas les armes l'un contre l'autre ; on crut urgent de les �loigner de Rome, et on ne put le faire qu'en leur assignant les provinces proconsulaires, 

XXXVI.
Uti Lepidus et Catulus, decretis exercitibus, maturrume proficiscerentur.
Afin que L�pidus et Catulus, munis  du d�cret qui leur accordait une artm�e � chacun, parlissent le plus t�t possible.

Catulus, � qui le sort avait assign� l'Italie, �tait dispos� � tenir son serment ; mais Lepidus, au lieu de se rendre directement dans la Gaule Cisalpine, sa province, parcourut l'�trurie, o� les restes du parti de Marius �taient encre en force. L� il vit accourir autour de lui tous les proscrits �chapp�s aux sicaires de Sylla, 

XXXVII.
Qui nullo certo exsilio vagabantur. 
Qui erraient sans avoir aucun lieu d'exil d�termin�.

De tous c�t�s il levait, empruntait de l'argent, et 

XXXVIII.
 Exercitum argento fecit.
De cet argent il se fit une arm�e.

La confiance qu'il inspirait aux anciens partisans de Marius �tait loin d'�tre g�n�rale : plusieurs, pour le succ�s de leur entreprise, 

XXXIX.
Tunc vero et posci , quum ceteri ejusdem caussae, ducem [senatus] se nactos rati , maxumo gaudio bellum irritare.
Demandaient encore un chef tandis que les autres, fauteurs de la m�me cause, croyant l' avoir trouv�, s'exctaient joyeusement � la guerre.

Le s�nat ne crut pas encore devoir employer des mesures �nergiques contre Lepidus, et le rappela � Rome pour tenir les comices consulaires ; mais Lepidus, 

XL.
Prudens omnium quae senatus censuerat.
Pressentant les v�ritables dispositions du s�nat. 

XLI.
Togam paladamenta mutavit.
Quitte la toge pour l'habit militaire.

Puis, laissant le pr�teur Brutus camp� 

XLII
Apud Mutinam,
Sous Mod�ne,

pour contenir la Gaule Cisalpine, il marche vers Rome avec  toute son arm�e. Dans cet appareil, il demande un second consulat. On proposa encore dans le s�nat des mesures conciliatrices. Vainement Catulus et quelques autres r�p�taient que le mal �tait � son comble ; que,

XLIII
Cui nisi pariter obviam iretur, 
Si l'on n'allait au-devant avec une promptitude �gale � ses progr�s,

il ne serait plus temps d'y rem�dier. On envoya � Lepidus des d�putations, qu'il re�ut avec hauteur : 

XLIV. 
Ergo senati decreto serviundumne sit?
Faut-il donc [dit-il] me soumettre en esclave au d�cret du s�nat?

Il d�clara : 

XLV. 
Non poeniturum.
Qu'il ne se d�partirait point de son entreprise.

que, d'ailleurs, puisque son consulat allait expirer, 

XLVI. 
Quae pacta in conventioie non praestitissent.
Les engagements qu'il avait pris par ses conventions avec Catulus, avaient cess� de le lier.

Ce fut alors qu'un personnage consulaire, qui avait toujours second� la fermet� de Catulus, 

XLVII.  
Philippus, qui aetate et consilio ceteros anteibat,
Philippe, remarquable entre tous les s�nateurs par son �ge et son exp�rience,  

XLVIII. 
In hunc modum disseruit : 
S'exprima en ces termes : 

I. Il serait bien � souhaiter, s�nateurs, que la r�publique f�t en paix, ou que, du moins, dans ses p�rils, elle vit ses meilleurs citoyens courir � sa d�fense ; enfin, que les entreprises coupables tournassent contre leurs auteurs ! Mais, loin de l�, tout est en proie � des s�ditions excit�es par m�me qui les premiers devraient les pr�venir ; et, pour comble de maux, ce que des insens�s et des furieux ont r�solu, des hommes sages et vertueux sont oblig�s de l'ex�cuter. Ainsi, malgr� votre �loignement pour la guerre, cependant, parce que Lepidus veut la faire, il vous faut prendre les armes � moins que l'on n'aime miens se r�signer � souffrir ; sous une ombre de paix, tous les maux de la guerre. Grands dieux, qui daignez encore gouverner notre ville, quand nous l'abandonnons !

II. M. Emilius, le plus inf�me des sc�l�rats, lui, dont on ne saurait dire s'il est plus l�che que m�chant, a sous ses ordres une arm�e pour renverser la libert� : m�pris� hier, aujourd'hui redoutable ; et vous, toujours murmurant, diff�rant toujours, c'est par des discours inutiles, de vaines pr�dictions que vous attendez la paix, au lieu de la d�fendre. Et vous ne voyez pas que la mollesse de vos d�crets vous fait perdre toute dignit�, et � lui toute crainte. Il a raison, en effet ; ses rapines lui ont valu le consulat, et la s�dition une province avec une arm�e. Qu'aurait-il obtenu pour des services, celui dont vous avez si bien r�compens� les crimes ? Mais ceux qui, jusqu'au dernier moment, n'ont dans leurs d�crets parl� que de d�putations, de paix, de concorde, et d' autres choses semblables, ont apparemment trouv� gr�ce devant lui ! Loin de l�, il les m�prise et les juge indignes de participer en quoi que ce soit � la chose publique ; il ne voit en eux qu�une proie, parce qu'ils sollicitent aujourd'hui la paix aussi l�chement qui ils se la sont laiss� ravir.

III. Quant � moi, d�s que je vis l'�trurie se soulever, les proscrits rappel�s, et le d�chirement de la r�publique pr�par� par des largesses, je pensai qu�il fallait se h�ter, et je suivis, avec un petit nombre, l'avis de Catulus. Au reste, ceux qui, vantant les services de la maison Emilia, et cette cl�mence qui a contribu� � l'agrandissement du peuple romain, disaient que Lepidus n'avait encore fait aucune d�marche s�ditieuse, lors m�me que, de son autorit� priv�e, il avait arm� pour la ruine de la libert� ; ceux-l�, dis-je, en cherchant pour eux-m�mes et du pouvoir et des appuis, fauss�rent nos d�lib�rations publiques. Cependant Lepidus n��tait alors qu�un brigand � la t�te de mis�rables valets d�arm�e et de quelques sicaires, tous faisant m�tier d'engager leur vie pour une journ�e de salaire. Aujourd'hui c�est un proconsul rev�tu d'un commandement, non plus achet�, mais conf�r� par vous-m�mes ; il a des lieutenants, tenus l�galement jusqu'ici de lui pr�ter ob�issance. Vers lui sont �galement accourus les hommes les plus corrompus d'entre les citoyens de tous les ordres, aiguillonn�s par l'indigence et par leurs passions, bourrel�s par la conscience de leurs crimes, gens pour qui le repos, ce sont les s�ditions, et les alarmes, la paix. Ces gens-l� s�ment trouble sur trouble, et guerre sur guerre : autrefois satellites de Saturninus, ensuite de Sulpicius, puis de Marius et de Damasippe, de Lepidus aujourd'hui. Regardez autour de vous : l'�trurie est pr�te � rallumer les feux d'une guerre mal �teinte ; on soul�ve les Espagnes ; Mithridate, sur les flancs de nos provinces, dont les tributs fournissent encore � notre subsistance, attend impatiemment le jour qui ram�nera la guerre : enfin, � l'exception d'un chef capable, rien ne manque pour la ruine de la r�publique.

IV. Je vous et conjure, s�nateurs, apportez-y la plus s�rieuse attention : ne souffrez pas que la fureur contagieuse des s�ditions atteigne ceux qui sont encore purs de ses exc�s. En effet, lorsque les r�compenses appartiennent aux m�chants, on n'est gu�re d'humeur � rester gratuitement homme de bien. Attendez-vous qu'avec une arm�e, qui pour la seconde fois menacera vos murs, il se rende, le fer et la flamme � la main, ma�tre de la ville ? Et, au point o� il en est, n'a-t-il pas, pour en venir � cette extr�mit�, moins de chemin � faire qu'il n'en avait pour passer de la paix � la guerre civile, que contre toutes les lois divines et humaines il a allum�e, non pour venger ses propres injures, ni ceux qu�il feint de prot�ger, mais pour renverser les lois et la libert� ? D�vor�, tourment� par l'ambition, par l'effroi de ses crimes ; inconsid�r�, inquiet, sans suite dans ses projets, il craint le repos et redoute la guerre ; il pr�voit qu�il lui faudra renoncer � ses dissolutions, � ses d�sordres ; et, en attendant, il profite de votre inaction.

Ce discours releva les esprits des s�nateurs : la proposition de Philippe fut convertie en s�natus-consulte ; bien que chacun reconn�t dans Catulus

L. 
Sanctus aliter et ingenio validus,
Un homme irr�prochable d�ailleurs et d'un esprit �nergique.

LI. 
Belli sane sciens,

Et qu�il fut m�me assez vers� dans l'art de la guerre,

on lui adjoignit Pomp�e dans le commandement. Tous deux all�rent camper sur le mont Janicule, et occup�rent le pont Milvius. Le chef des rebelles avait esp�r� qu'� son approche le peuple se soul�verait ; tromp� dans son attente,

LII. 
Lepidus paenitens consilii.
Lepidus commen�a � se repentir de son entreprise.

Mais il n'�tait plus temps. Les soldats de Catulus et de Pomp�e,

LIII. 
In ore gentibus agens, populo, civitati
Combattant sous les yeux de leurs familles, de leurs concitoyens, du peuple entier,

charg�rent avec tant d'ardeur, que du premier choc ils mirent le d�sordre dans les rangs de l'arm�e ennemie. Le peuple, voyant plier les troupes de Lepidus, voulut prendre part � l'affaire,

LIV.  
Atque eos a tergo incurrerunt ;
Et se mit � leur courir sus par derri�re ;

puis � insulter leur g�n�ral,

LV. 
Tyrannumque et Cinnam appellantes.
L'appelant � haute voix tyran et nouveau Cinna.

LVI. 
Pressi undique multitudine,
Press�s de tous c�t�s par la multitude,

Les vaincus fuient dans toutes les directions, et, tandis que Pomp�e se met � leur poursuite, Catulus rentra dans Rome,

LVII. 
Et ei voce magna vehementer gratulabantur.
Aux acclamations de ses concitoyens, qui le f�licitaient de sa victoire.

La Gaule Cisalpine se soumit sans coup f�rir aux armes de Pomp�e ; Brutus seul, dans Mod�ne, opposa quelque r�sistance ; mais il capitula bient�t. Au m�pris de la foi jur�e, Pomp�e le fit mourir avec cette m�me cruaut� froide qu�il avait montr�e l'�gard de Carbon . Cependant Lepidus s'�tait r�fugi� avec Perpenna sous les murs de Cosa, ville maritime d'�trurie. Catulus les y suivit ; mais, jaloux

LVIII. 

Incruento exercitu victoriam deportare,
De remporter une victoire qui co�t�t point de sang � son arm�e,

il se contenta de bloquer �troitement ses ennemis, et

LIX. 

Locum editiorem quam victoribus decebat , capit.
Prit, sur une hauteur un avantage de position peu s�ant pour un vainqueur.

Le s�nat, rassur� sur l'issue prochaine de cette guerre, s'occupa de l'�lection des consuls. Junius fut �lu le premier ; mais, quand on passa au scrutin pour la seconde place, les premi�res centuries donn�rent leurs suffrages � Mamereus Emilius ; les suivantes, au contraire, avant d'avoir vot�, se d�clar�rent d'avance pour Curion ; alors l'interroi Appius, qui pr�sidait l'assembl�e,

LX.

Curionem quaesivit, uti adolescentior et a populi suffragiis integer, aetati concederet Mamerci.
Pria Curion, qui �tait le plus jeune, puisque les suffrages n'�taient pas encore ouverts en sa faveur, d'avoir cette d�f�rence pour l'�ge de Mamereus.

Curion se d�sista, et Mamereus fut �lu. Cependant un combat se livra devant Cosa entre Lepidus et Catulus. Lepidus eut d'abord l'avantage ; mais Pomp�e, qui revenait en ce moment de la Gaule, lui arracha la victoire, et le contraignit de fuir en Sardaigne. L�, il esp�rait, en interceptant tous les convois, fatiguer par la disette le peuple romain ; mais le propr�teur Valerius Triarius d�fendit vaillamment sa province, et Lepidus, partout repouss�, tomba malade de fatigue et de chagrin. Une disgr�ce domestique vint encore aggraver ses peines. Parmi les lettres qu'on lui apporta d'Italie, il s'en trouva une qu'Apuleia, sa femme, �crivait � son amant, et dans laquelle, pour obtenir de lui un service important, elle lui disait :

LXI.

Nihil ob tantam mercedem sibi [abnuituros] abnuiturum. 
Qu�apr�s toutes les faveurs qu�elle lui avait accord�es il ne pouvait rien refuser.

Elle s'exprimait ensuite sur son �poux de la mani�re la plus injurieuse :

LXII.

Insanum aliter sua sententia, atque aliarum mulierum.
C'�tait un vrai sot, non seulement aux yeux de sa femme, mais au dire de toutes les autres.

Cette lettre donna, pour ainsi dire, � Lepidus le coup de la mort. On le vit,

LXIII.

Sic vero, quasi formidine attonitus, neque animo, neque auribus ; aut lingua competere.
Comme saisi d'un soudain accablement, perdre tout � coup la facult� de parler, d'entendre et de penser.

II s'empressa d'envoyer des lettres de divorce � son �pouse coupable, et, d�s lors ayant perdu le peu qu'il avait montr� d'�nergie, il parut moins, en Sardaigne, un chef de parti qu'un fugitif. Conduit � Tharros, bourgade sur la rive occidentale de l'�le, on refusa d'abord de le recevoir ; mais ses serviteurs firent une peinture si touchante de la situation de leur ma�tre ; ils rappel�rent si vivement les �gards que m�ritaient sa naissance et sa dignit�,

LXIV.

Postremo ipsos colonos per miserias et incerta humani generis orare
Enfin ils suppli�rent tous les habitants avec tant d 'instances, au nom des mis�res et des vicissitudes humaines,

que ceux-ci lui donn�rent asile dans leur ville, o� il mourut bout de peu de jours. Sa mort, qui ne causa les regrets de personne, n'entra�na pas la ruine totale de son parti. Perpenna, qui venait d'obtenir quelque succ�s en Sicile, se h�ta de venir en Sardaigne recueillir les d�bris de l'arm�e de Lepidus. On peut d�s lors regarder la guerre civile comme termin�e, du moins au centre de la r�publique ; mais,

LXV.

M. Lepido cum omnibus copiis Italia pulso, segnior neque minus gravis, sed multiplex cura patres exercebat.
Bien que Lepidus e�t �t� chass� de l'Italie avec toutes ses forces, le s�nat ne s'occupa pas moins activement de soins importants et multipli�s .

LXVI.

Quippe vasta Italia rapinis, fuga, caedibus,
En ef�et, l'Italie d�sol�e par le brigandage, la fuite ou le massacre de ses habitants,

appelait toute sa sollicitude . Des nations barbares ne cessaient d'infester les fronti�res de la Mac�doine, que Cic�ron, pour cette raison, appelait une p�pini�re de triomphateurs.

LXVII. 

Ardebat omnis Hispania Citerior.
Toute l'Espagne Cit�rieure �tait en feu.

Les pirates de Cilicie parcouraient impun�ment toutes les mers de la Gr�ce et de l'Italie, et se montraient jusque devant le port d'Ostie . Mais on avait � redouter

LXVIII.

Maxumeque ferocia regis Mithridatis in tempore bellaturi.
Surtout l'humeur indomptable de Mihridate, toujours pr�t � renouveler la guerre � la premi�re occasion.

Le s�nat sut par sa mod�ration fermer les plaies int�rieures de la r�publique, qui, "�tant pour ainsi dire bless�e et malade, avait besoin de repos, n'importe � quel prix." Il accorda, par un d�cret, l'amnistie � tous ceux qui avaient pris part � la guerre civile, et ce d�cret fut ratifi� par le peuple. C�sar, qui �tait alors tribun militaire, porta la parole dans cette occasion, et contribua plus que tout autre au rappel des bannis . Il insista sur la convenance de d�cider promptement ces mesures de r�conciliation, et observa que le moment de les prendre ne pouvait �tre plus favorable

LXIX.

 Nisi quum ira belli desenuisset.
Que celui o� venaient de se ralentir les fureurs de la guerre.

L'amnistie fut publi�e, et le beau-fr�re de C�sar, L. Cornelius Cinna, fils du consul, s'empressa d'en profiter et de revenir d'Espagne avec ceux qu'il avait entra�n�s dans le parti de Lepidus ; et, apr�s tant de guerres, l'Italie jouit enfin pour quelques ann�es d'une paix profonde.

LXX.

Septimιum neque animo neque linga compotem.
Septimius qui ne savait gouverner ni sa t�te ni sa langue.

LXXI.

Lίberis ejus avunculus erat.
Il �tait l'oncle de ses enfants.

LXXII.

Perpenna tam paucis prospectus (profectus ?) vera est aestimanda.
(inintelligible.)

Apr�s la tenue des comices, dans lesquels avalent �t� �lus les consuls Decimus Junius Brutus et Mamercus Emilius Lepidus Livanius, leurs pr�d�cesseurs Appius Claudius et P. Servilius, rev�tus de la dignit� proconsulaire, partirent, le premier pour la Mac�doine, le second pour aller combattre les pirates. Il �tait urgent de mettre un frein � leurs brigandages .

LXXIII.

Itaque Servilius aegrotum Tarenti collegam prior transgressus. 
Aussi Servilius, laissait son coll�gue malade � Tarente, traversa le premier la mer.

Ces forbans se nommaient Ciciliens et Isauriens, parce qu'ils avaient leurs principaux �tablissements dans l'Isaurie et dans la Cilice . De tout temps des pirates avaient infest� ces parages ;

LXXIV.

Cares insulares populi, piratica famosi, victi a Minoe. 
Les Cariens, peuple insulaire fameux par ses pirateries, et qui fut vaincu par Minos.

Mais les pirates ne commerc�rent � former une puissance redoutable que lors des troubles civils qui d�chir�rent le royaume de Syrie, quand Tryphon, r�volt� contre Demetrius Nicator, trouva une place d'armes

LXXV.

Apud Corγcum,
Dans Corique .

Forteresse de Cilicie, b�tie sur un roc escarp� d'ot� les Ciliciens couraient les mers pour s'enrichir par le brigandage. Servilius, arriv� en Orient, chassa d'abord les pirates d'un ch�teau-fort qu'ils occupaient dans l'�le de Rhodes.

LXXVI.

Ille vero porto solvit postquam Sadetarum paronas exarmasset Rhodiis enim auxilium laturi venerant. 
Il ne s'embarqua qui apr�s avoir d�sarm� les barques de Sida, dont les habitants �taient venus porter secours aux Rhodiens.

Les pirates, vaincus, cherch�rent un refuge

LXXVII. 

Ad Olympum atque Phaselida.
Dans Olympe et dans Phaselίs.

Servilius vint d'abord assi�ger Olympe, que d�fendait Zenicetus, l'un des chefs des pirates. Il pla�a son camp sur une hauteur,

LXXXVIII.

Lyciae Pisidisque agros despectantem.
D'o� l'on d�couvrait toutes les campagnes de la Lycie et de la Pisidie.

Olympe ne se rendit qu'apr�s une vigoureuse r�sistance. Quant � Phaselis, enti�rement peupl�e de Lyciens, et qui ne s'�tait livr�e aux pirates que par force, elle fit une moins longue d�fense : toutefois, comme ses trois ports pouvaient offrir aux forbans un asile couvert par la place m�me, le proconsul la d�truisit, en accordant aux habitants des conditions assez favorables. Il marcha ensuite contre Nicon, le principal chef des pirates, qui,

LXXXIX.

Fessus in Pamphyliam se receperat.
Accabl� de ses pertes, s'�tait retir� dans la Pamphylie.

Mais, apprenant qu'il avait d�pass� le mont Taurus, Servilίus

LXXX. 

Iter vortit ad Corccum urbem inclutam pastusque nemore (specu et remore) in quo crocum gignitur. 
Dirigea sa marche vers Coryque, ville c�l�bre par sa grotte, et par un bois o� cro�t le safran.

Par la prise de Coryque se termin�rent, cette ann�e, les op�rations de Servilius en Cilicie . Cependant son coll�gue Appius �tait occup� contre les M�des,

LXXXI.

Feroces Dalmatas,
Les f�roces Dalmates,

et d'autres peuplades thraces,

LXXXII.

Genus armis ferox et servitίi insolitum.
Race indomptable dans les combats et inaccoutum�e � la servίtude.

Bien que sa maladie l'e�t emp�ch� de partir pour son d�partement aussit�t que Servilius, ses lieutenants

LXXXII.

Maturaverunt exercitum Dyrrachyum cogere.
Se h�t�rent de faire passer son arm�e � Dyrrachium

Appius, r�tabli, obtint quelques succ�s sur les Thraces, et repoussa une tribu d'origine sarmate,

LXXXIII.

Gens raro egressa finibus suis,
Peuple rarement sorti de ses limites,

qui venait cependant de faire une irruption sur les fronti�res de la Mac�doine. Le proconsul les for�a de demander la paix ; mais ce ne fut pas lui qui en dicta les conditions ; car il mourut,L'ann�e suivante, des fatigues qu'il avait essuy�es dans cette campagne.
Un seul homme avait pu r�sister � la fortune de Sylla : c'�tait Sertorius, qui �galait Marius en talents militaires, mais le surpassait par des vertus dignes de briller ailleurs que dans des troubles civils. Il s'�tait distingu� dans la guerre qui �clata en Italie,

LXXXIV.

Post defectionem sociorum et Latii
Apr�s la d�fection des alli�s et du Latium.

Mais il �tait encore �loign� du moment o� il devait s'�lever au premier rang dans la r�publique, qui se voyait alors illustr�e

LXXXV. 

Maxumis ducibus, fortibus strenuisque ministris.
Par de si grands capitaines et des hommes  d'Etat fermes et �nergiques.

LXXXVII.

Magna gloria tribunus militum in Hispania T. Didio imperante ; magno usu, bello marsico, paratu militum et armorum fuit. Multaque tum ductu ejus curata, primo per ignobilitatem, deinde per invidiam scriptorum, incelebrata sunt. Cominus faciem suam ostentabat, aliquot diversis cicatricibus, et effosso oculo. Quo ille dehonestamento corporis maxume laetabatur : neque illis anxius, quia reliqua gloriosius retinebat. 
Tribun militaire, il se couvrit de gloire en Espagne, sous les ordres de T. Didius. Il se rendit infinitiment utile dans la guerre des Marses, en rassemblant des troupes et des armes . Les succ�s que l'on dut alors � sa bonne conduite n'ont pas �t� c�l�br�s, d'abord parce qu'il �tait encore peu connu, puis � cause de la partialit� haineuse des historίeus. ll se plaisait � montrer de pr�s sa face sillonn�e de plusieurs cicatrices et priv�e d'un oeil. Loin de s'affliger de cette disgr�ce corporelle, il s'en r�jouissait fort, glorieux qu'il �tait de ne conserver que les d�bris de lui-m�me.

De retour � Rome, il brigua le tribunal ; mais, repouss� par la faction de Sylla, il se jeta dans le parti populaire, et prit part � l'entreprise audacieuse de Cinna, du vieux Marius et de Carbon, qui rentr�rent dans Rome � main arm�e, d�s que Sylla eut quitt� l'Italie pour aller combattre Mithridate . Tandis que ses coll�gues ensanglantaient Rome par des massacres, Sertorius montra seul quelque mod�ration . Il obtint la pr�ture, puis, l'ann�e suivante, l'Espagne pour d�partement. Sylla, de retour en Italie avec son arm�e victorieuse, vint encore une fois abattre ses adversaires . Aussit�t apr�s la d�fection de l'arm�e dιι consul Scipion Asiaticus, dont il �tait lieutenant, Sertorius se retira en Espagne. Il ne put d'abord s'y maintenir, Annius, l'un des g�n�raux de Sylla, ayant forc� les Pyr�n�es avec une puissante arm�e. hors d'�tat de tenir la campagne,

LXXXVIII

Quum Sertorius neque erumperet,tam levi copia, navibus fugam maturabat.
Ni m�me d'op�rer sa retraite avec si peu de troupes, Sertorius songeait � fuir sur ses vaisseaux .

Il fit voile pour l'Afrique, o� il demeura quelques ann�es, et se fit conna�tre par d'aventureuses exp�ditions. Alors

LXXXIX

Traditur fuganι in longuiqua Oceani agitavisse.
Il m�dita, dit-on, le projet de fuir au loin � travers l'Oc�an.

XC. 

Cujus duas insulas propinquas inter se et decem stadium procul a Gadibus sitas, constabat suopte ingenio alimenta mortalibus gignere .
L� o� deux �les rapproch�es l'une de l'autre et distantes de Gad�s de mille stades, passaient pour produire d'elles-m�mes ce qui est n�cessaire � la nourriture des hommes.

XCI.

Insulae Fortunatae inclutae Homeri carminibus.
Ce sont les �les Fortun�es, illustr�es par les chants d'Hom�re.

L� ne se borna point le merveilleux des r�cits que l'on fit � Sertorius sur ces contr�es lointaines.

XCII

Maurique vanum genus, ut alia Africae, contendebant antipodas ultra Aethiopiam cultu Persarum justos et egregios agere....
Et les Maures, nation menteuse comme toutes celles de l'Afrique, soutenaient qu'au-del� de l'�thiopie existaient des peuples antipodes, justes et bienfaisants, dont les moeurs �taient semblables � celles des Perses.

XCIII

Rumore primo
Au premier bruit

du projet de Sertorius, une partie de ses soldats mena�a de l'abandonner, et il se vit forc� d'y renoncer. Bientbt les Lusitaniens, qui esp�raient trouver en lui un nouveau Viriathe, l'appel�rent � se mettre � leur t�te. Mais la flotte romaine, command�e par Cotta, �tait l� pour s'opposer � son passage.

XCIV.

Itaque Sertorius, levi praesidio relicto in Mauritania, nactus obscuram noctem, aestu secundo, furtivaque celeritate, vitare proelium in transgressu conatus est.
En cons�quence Sertorius, apr�s avoir laiss� une garnison peu nombreuse en Mauritane, choisit une nuit obscure ; puis , par une brise favorable, par le secret et la promptitude, il s'effor�a d'effectuer sans combat la travers�e.

XCV.

Transgressos omnis recepit mons Ballaera, praceptus a Lusitanis .
Toutes ses troupes, �tant pass�es, prirent position sur le mont Ballera, que lui avaient indiqu� les Lusitaniens.

Il avait sous ses ordres deux mille fantassins et sept cents cavaliers de toutes nations, qu'il appelait Romains, et auxquels vinrent aussit�t se joindre quatre mille Lusitaniens. Il d�fit d'abord Cotta dans un combat naval, pr�s de Mellaria, ville du d�troit de Gad�s.

XCVI. 

Incerta est fortitudo, dum pendet.
La valeur se trahit du moment qu'elle h�site.

XCVII

Militiae peritus,
Habile dans l'art militaire,

Sertorius r�solut de surprendre l'ennemi par la rapidit� de ses mouvements. Apprenant que Fusidius, gouverneur de B�tique, veut, avec des troupes, lui disputer le passage du B�tίs, il vient prendre position sur la rive m�ridionale de ce fleuve.

XCVIII.

Et mox Fusidius adveniens cum legionihus, postquam tantas asperitates, haud facilem pugnantihus vadum, cuncta hosti quam suis obportuniora videri.
Bient�t Fusidius, survenant avec ses l�gions, reconna�t, � l'in�galit� du terrain, et � la difficult� que doit offrir le gu� � des gens oblig�s de combattre, que tout est plus favorable � l'ennnemi qu'aux siens.

Sertorius, profitant de son incertitude, se met en devoir de passer le fleuve dans des barques : les unes �taient de grandeur � soutenir la charge de ses troupes, et � r�sister au courant ;

XCIX.

Earum aliae paullulum progressae nimio simul et incerto onere, quum pavor corpora agitaverat, deprimebantur.
Les autres, s'�tant un peu trop rapidement avanc�es, surcharg�es qu'elles �taient d'un poids � la fois excessif et vacillant, la crainte agitant les corps des passagers, semblaient pr�tes � s'enfoncer.

Alors Sertorius, au moyen de c�bles,

C.

Nexuit catenae modo
Les lia ensemble, de mani�re � former une cha�ne.

Arriv� sur l'autre rive, il exhorta ses troupes, en leur disant que, s'ils en sortaient vainqueurs,

CI.

Pugnam illam pro omine belli futuram.
Ce combat serait en quelque sorte un pr�sage pour toute la guerre.

Puis, aussit�t, il fond sur les ennemis avec une telle imp�tuosit�, que

CII.

Neque se recipere aut instuere proelio quivere.
Ils n'eurent le temps ni de se retirer ni de se ranger en bataille.

CIII.

Equi, sine rectore, exterriti, aut saucii consternantur.
Leurs chevaux, sans guide, sont emport�s par la terreur, ou succombent sous les blessures .

Apr�s cette victoire, Sertorius continua sa route vers les confins de la B�tique, et arriva � �bora,

CIV. 

Lusitaniae gravem civitatem. 
Ville importante de la Lusitanie.

De l� il passa dans la Celtib�rie, dont les habitants l'accueillirent comme un lib�rateur, et il se vit ma�tre jusqu'� l'�bre. Cependant le proconsul Q. C�cilius Metellus Pius passa ce fleuve, � son tour, et fit quelques progr�s le long de la mer, dans le pays des des Turd�tans. Metellus,

CV. 

Doctus militiam, 
Savant dans l'art de la guerre,

gr�ce � sa longue exp�rience, et, malgr� son �ge,

CVI. 

In proeliis actu promptus, 
Homme d'action dans les combats,

�tait sans doute pour Sertorius un adversaire redoutable ; mais celui-ci confondit toute la science du proconsul, et rendit inutile, pour les l�gions romaines, l'avantage du nombre, en lui faisant cette guerre de partisans, si propre au territoire et � l'habitant de l'Espagne. Ainsi, sans avoir combattu, Metellus �prouvait tous les embarras et tous les maux des vaincus . Dans cette position,

CVII. 

Domίtium proconsulem ex citeriore Hispania cum omnibus copiis, quas paraverat arcessivit.
Il invita � venir le joindre, du fond de l'Espagne cit�rieure, le proconsul Domitίus, avec tout ce qu'il pouvait avoir de troupes disponibles .

Il r�clama �galement les secours de Lollius, pr�teur de la Gaule narbonnaise ; enfin il d�tacha Thorius, un de ses lieutenants,  pour aller au-devant de L. Domitius. Hίrtuleius, questeur de Sertorius, d�fit L. Bomitius, puis tailla en pi�ces Thorius, qui fut tu� dans l'action. Apr�s ce double succ�s, Hirtuleius et son fr�re se disposent � rejoindre Sertorius.

CVIII.

Itinerίs eorum  Metellus per litteras gnarus.
Metellus inform� du chemin qu'ils prennent par une d�p�che intercept�e,

quitte subitement la direction qu'il suit pour se replier sur la Tarraconnaise. Ce mouvement rapide, habilement d�rob� � l'ennemi,
 

CIX.

Occpatusque collis editissιιmus Ilerdam et cum multa opera circumdata (castra),
Puis l'occupation d'une colline tr�s �lev�e, pr�s d'Ilerda, et les ouvrages consid�rables dont il avait entour� son camp,
 

ne purent le rassurer contre un adversaire si redoutable :

CX.

Illo profectus, vicos castellaque incendere, et, fuga cultorum deserta, igni vastare : neque elato, aut securo esse animo, metu gentis ad furta peridoneae.
Sortant de ce poste, il se mit en devoir d'incendier les bourgs et les ch�teaux, et porta la flamme dans les campagnes abandonn�es par les laboureurs en fuite; et cela, sans pouvoir s'affranchir l'esprit de la crainte que lui Inspirait un peuple si propre � la guerre de surprise.

Cependant Sertorius, trouvant le camp de Metellus abandonn�, se met � sa poursuite.

CXI.

Dum inferior omni via grassaretur.
Malgr� l'inf�riorit� du nombre, il ne cesse de les harceler dans toutes les directions.

Les soldats romains, fatigu�s, voulurent forcer leur g�n�ral d'accepter le combat singulier que lui proposait Sertorius pour terminer la guerre; mais Metellus ne tint pas compte de ce d�fi. Toutefois, voulant satisfaire son arm�e par quelque exp�dition glorieuse, il r�solut de mettre le si�ge devant Leucobrige, dont Sertorius tirait de grands secours. Il quitta donc son camp,

CXII.

Ac inde nulla munitionis aut requiei mora processit ad oppidum.
Et de l�, sans s'arr�ter � s'approvisionner ou � prendre du repos, il marcha jour et nuit vers cette ville.

Sertorius sut d�jouer son dessein : il ordonna d'emplir d'eau deux mille outres, destin�es aux habitants de Lecobrige, promettant une r�compense p�cuniaire pour chaque outre. Nombre d'Espagnols et de Maurusiens se pr�sent�rent.

CXIII.

Quos inter maxume,
Parmi eux, de pr�f�rence,

Sertorius choisit les plus dispos, et, prenant par le plus court cemin, il ravitailla promptement la place. Metellus, qui dans son camp commen�ait � manquer de vivres, envoie � la provi�sion Aquinus, un de ses lieutenants, avec six mille hommes. Sertorius forme la r�solution de surprendre cet officier :

CXIV.

Consedit in valle virgulata nemorosaque.
Il se place en embuscade dans un vallon couvert de broussailles et de bois.

La troupe d'Aquinus, attaqu�e � l'improviste, est mise en fuite, non sans perdre beaucoup de monde : le convoi est enlev�, et Metellus se voit contraint de lever le si�ge de Leucobrige. On peut juger de la joie des habitants lorsque, pour signal de d�part,

CXV.

Jussu Metelli cornicines occanuere.
Par ordre de Metellus, les trompettes se firent entendre.

Ce nouvel avantage remport� par Sertorius redouble pour lui l'enthousiasme des Espagnols. Rien n'�gale l'attachement de ces peuples pour leurs chefs :

CXVI.

Se regibus devovent et post eum (eos) vitam refutant : adeo est illis ingenita sanctitas regii nominis!
Ils se d�vouent pour les rois, et ne veulent pas leur survivre: tant, chez eux, est inn� le respect pour le nom royal!

Sertorius fit l'�preuve de leur d�vouement dans les revers qu'il dut �prouver. Ayant un jour �t� mis en fuite pr�s d'une ville d'Espagne, les Romains le poursuivirent vivement. Harcel� par eux, il fait volte-face, se retranche de poste en poste,

CXVII.

Neque detrusus aliquotiens terretur.
Et, bien que plusieurs fois d�log�, il ne perd pas courage.

Enfin arriv�, avec les siens, sous les murs de la ville,

CXVIII.

Sertorius portis turbam morantibus et nullo, ut in terrore solet, generis aut imperii discrimine, per calonum corpora, ad medium, quasi deinsuper adstantium manibus in murum adtollitur.
Comme les portes retardaient l'�coulement de la foule, et que la terreur g�n�rale emp�chait de se reconnaitre et d'entendre le commandement, Sertorius, hiss� sur les corps des valets d'arm�e, jusqu'au milieu de la muraille, fut port� au haut, sur les bras de ceux qui s'y trouvaient.

Cependant le s�nat de Rome juge convenable d'adjoindre � Metellus Pomp�e, avec le titre de proconsul. En quarante jours, celui-ci l�ve une arm�e, se fraye, par les Alpes, un chemin plus facile que celui d'Annibal, traverse la Gaule et arrive dans la province romaine.

CXIX.

Narbone concilia Gallorum
A Narbonne, l'assambl�e des Gaulois

lui vote des hommes et des subsides. L'arriv�e de Pomp�e en Espagne fit briller d'un nouvel �clat les talents de Sertorius. Pour aller � la rencontre du jeune proconsul, Sertorius avait � traverser un pays

CXX.

Agreste,
Sauvage,

o� les Characitains �taient post�s

CXXI

Soliis viis
Dans les seuls chemins

qu'il lui f�t possible de traverser. Ils �taient retranch�s sur une montagne inaccessible. Dans l'impuissance de les en d�loger, Sertorius ne voyait d'autre parti � prendre que

CXXII.

Obviam ire et commori hostibus.
D'aller au-devant des ennemis, et de  p�rir avec eux.

Enfin il observa que la terre, au pied de la colline, �tait aussi l�g�re que de la cendre, et que la bise qui r�gne constamment dans cette exposition, lorsque

CXXIII.

Orion oritur juxta solis aestivi pulsum
L'Orion s'�l�ve au moment de l'�qninoxe d'�t�,

donnait directement contre l'ouverture des cavernes. Il fit donc entasser en monceau, vis-�-vis de la colline, une longue tram�e de cette terre friable. D�s le lendemain, au lever de l'aurore, le vent commence � chasser vers les Characitains des nuages de poussi�re qui devinrent intol�rables, surtout

CXXIV.

Medio diei,
Au milieu du jour,

lorsque, favoris�s par la bise, les soldats de Sertorius se mirent � faire passer leurs chevaux sur cet amas de terre. Les Barbares aveugl�s, suffoqu�s par la poussi�re, finirent par se rendre � discr�tion, et laiss�rent le passage libre � Sertorius, qui se dirigea vers Lauron pour en faire le si�ge. Pomp�e, esp�rant le pr�venir, traverse � la h�te le territoire

CXXV

Saguntium,
Sagontin,

et arrive � la vue de Lauron. Il veut se saisir d'une hauteur qui dominait cette ville; Sertorius le pr�vient, et Pomp�e, loin de s'affliger de cet �v�nement, se flatte de tenir son adversaire assi�g� entre la place et sa propre arm�e. Il s'en vante m�me dans une lettre adress�e aux habitants de la ville. Sertorius, � la lecture de cette d�p�che intercept�e, dit en souriant : " J'apprendrai bient�t � cet �colier de Sylla qu'un g�n�ral doit toujours plut�t regarder derri�re que devant lui. Je veux lui donner une si bonne le�on,

CXXVI.

Ad Jovis mandent nostra.
Que le temple de Jupiter en ait des nouvelles.

En effet, six mille soldats d'�lite, laiss�s par lui dans son ancien camp, tinrent Pomp�e dans la m�me position o� il croyait avoir plac� son adversaire. Les Romains n'allaient jamais � la provision sans �tre oblig�s de combattre. Pomp�e fait partir, sous les ordres de Tarquitius, toute sa cavalerie pour aller, le jour suivant, faire un grand fourrage. Inform� de cette disposition,

CXXVIII.

Quibus a Sertorio triplices insidiae per idoneos saltus positae erant: prima quae fronte venientes exciperet.
Sertorius leur dressa une triple embuscade, dans des bois propres � ce  stratag�me : la premi�re devait prendre les fourrageurs en face.

Tout r�ussit � son gr�.Pomp�e envoie aussit�t L�lius, son lieutenant, avec une l�gion, pour r�parer le d�sordre : bient�t lui-m�me sort de son camp avec toute son arm�e. Alors celle de Sertorius descend de la colline en ordre de bataille. A cette vue,

CXXVIII.

Dubitavit acie pars
L'h�sitation se manifeste dans une parte de la ligne

des Romains; Pomp�e n'ose risquer la bataille,  il op�re pr�cipitamment sa retraite. Sertorius se rapproche de Lauron,

CXXIX.

Et propero validam urbem, multos dies restantem pugnando, vicit.
Et bient�t cette place importante, qui depuis plusieurs jours r�sistait �  ses armes, fut dompt�e.

Il y fit mettre le feu pour humilier son adversaire, qui put contempler les flammes de l'incendie.
Tel fut le triste d�but des campagnes si vant�es de Pomp�e en Espagne. Nous verrons la suite r�pondre � de tels commencements, et laisser � l'historien la t�che p�nible d'examiner si Pomp�e n'a pas fait d'autant moins pour sa gloire, que les acclamations des peuples l'ont flatt� davantage : car non seulement il �prouva des �checs en Espagne, en pr�sence de Sertorius, mais encore bien loin de lui, contre les naturels du pays. Arriv�

CXXX.

Apud Lethe oppidum,
Pr�s de la ville de L�th�,

ainsi nomm�e d'une petite rivi�re

CXXXI.

Cui nomem Oblivionis condiderunt,
A laquelle on a donn� le nom d'Oubli,

il voulut s'emparer de cette place; mais,

CXXXII.

Repulsus a Lethe oppido,
Repouss� de la ville de L�th�,

il effectua sa retraite vers le pays des Vacc�ens, et de l� vers les Pyr�n�es.
La m�me ann�e, en Mac�doine, les lieutenants de Curion obtinrent quelques succ�s, dont le plus marqu� fut l'occupation de Sardique, et

CXXXIII.

Magnis operibus profectus (petrfectis), oppidum cepit per L. Catilinam legatum.
Il ne dut la prise de cette ville, apr�s de grands ouvrages de si�ge, qu'� L.Catilina, son lieutenant.

En Italie, cette ann�e fut marqu�e par des prodiges qui effray�rent les esprits. Un tremblement de terre renversa presque en entier la ville de R�ale.

CXXXIV

Ventis per cava terrae citatis, rupti aliquot montes tumulique sedere.
Les vents s'�tant engouffr�s dans  les cavit�s de la terre, des montagnes s'entr'ouvrirent, et des hauteurs s'affaiss�rent.

A ce fl�au se joignit la peste, qui prit naissance en Egypte. La crue du Nil y ayant d�pass� les limites ordinaires, les eaux s�journ�rent trop longtemps sur la terre, et, du limon form� par elles, naquit une infinit� d'insectes et de reptiles.

CXXXV.

Nam ex aeris et aque corruptione frugibus infectis, gravis etiam animantius pestilentia coorta est.
Car, par suite de la corruption de l'air et des eaux, l'infection ayant at teint les productions de la terre, une affreuse contagion se r�pandit sur les animaux.

Le fl�au p�n�tra en Europe,

CXXXVI.

Primum modo lapydiam ingressus,
Apr�s s'�tre d'abord introduit dans l'lapydie,

puis sur toute la c�te orientale de l'Adriatique et il se r�pandit enfin en Italie. Des animaux, le mal gagna les hommes, et bient�t la disette et la famine vinrent s'y joindre.

CXXXVI.

Inde morbi graves ob inediam insolitam vescentibus,
Aussi, de graves maladies atteignant les populations, � cause des �tranges aliments dont la disette for�ait de se nourrir,

CXXXVIII.

Ne simplici quidem morte moriebantur.
Ne succombait-on pas � un seul genre de mort.

 

 

FRAGMENTS DU DEUXI�ME LIVRE.

La famine et l'�pid�mie ne furent pas les seuls fl�aux qui d�sol�rent Rome cette ann�e. On y vit rena�tre les d�bats politiques qui avaient cess� depuis la mort de Sylla. L'ann�e pr�c�dente, le tribun Sicinius avait voulu proposer une loi tendant � rendre au tribunat ses pr�rogatives. Curion, l'un des consuls, s'�tait vivement oppos� � cette pr�tention, et c'est m�me ce qui avait retard� son d�part pour la Mac�doine. Sicinius et ses adh�rents ne lui r�pondirent que par d'ind�centes plaisanteries, et

CXXXIX.

Quia corpore et lingua percitum, et inquietem, nomine histrionis vix sani, Burbuleium appellabant.
Comme Curion avait dans les gestes et dans la parole quelque chose de vif et de saccad�, ils lui donnaient le nom de Burbuleius, bouffon � demi fou.

L'insolence de Sicinius le perdit : on le trouva mort peu de temps apr�s, et Curion passa pour n'�tre pas �tranger � ce sinistre �v�nement.
En Cilicie, Servilius ouvrit la campagne par le passage du mont Taurus, que jusqu'� lui les Romains n'avaient jamais franchi. Apr�s s'�tre assur� du pays des Oryndiens, il entra dans le canton des Solymes, o� son t les pics les plus �lev�s du mont Taurus, et dont plusieurs

CXL.

Omnes qui circum sunt praeminent altitudine millium passuum duorum.
D�passent de deux mille pas la hauteur de tous les sommets environnants.

Servilius �tait peu dispos� � attaquer les Solymes ainsi d�fendus par leurs montagnes inaccessibles; heureusement pour les Romains, Nicon, qui s'�tait r�fugi� dans ce pays, y avait �t� re�u d'une mani�re assez �quivoque; il venait de se jeter dans Isaure. Le proconsul obtient donc sans peine la soumission des Solymes et des �tages. Alors il entra dans l'Isaurie, et vint en assi�ger la capitale, place tr�s forte, bien approvisionn�e, et que d�fendait une garnison r�solue de r�sister jusqu'� la derni�re extr�mit�; mais elle n'�tait aliment�e par d'autre eau

CXLI.

Nisi qua flumen Lurda Tauro monte defluens
Que celle que lui fournit la rivi�re de Lurda, qui descend du mont Taurus.

Ce si�ge devait occuper Servilius pendant plusieurs mois, et ce ne fut que l'ann�e suivante qu'il lui fut possible de retourler � Rome.
En Mac�doine, le proconsul Appius Claudius, apr�s avoir, dans l'�tat languissant de sa sant�, �puis� le peu de vie qui lui restait en combattant les M�des, eut pour successeur Oreste, qui acheva de les r�duire, et qui leur imposa un trait�.

CXLIII.

Eam deditionem senatus, per nuntios Orestis cognitam, approbat.
Le s�nat, inform� de cette soumission par les envoy�s d'Oreste, en approuve les conditions.

Apr�s la mort de L�pide, Perpenna, qui avait obtenu quelque succ�s en Sicile, se vit oblig� de quitter cette �le pour aller joindre ses troupes aux d�bris du parti L�pide en Sardaigne. Mon sujet semble m'inviter � donner un aper�u de la position de la Sardaigne, � rassembler quelques souvenirs sur ses antiquit�s.

CXLIII.

Sardinia in Africo mari facie vestigii humani, in orientem quam in occidentem latior prominet:
La Sardaigne, qui, dans la mer d'A frique, pr�sente la figure de la plante d'un pied d'homme, s'�largit plus � l'orient qu'� l'occident.

CXLIV.

Inde Ichnusa appellata est
De l� elle a �t� appel�e Plante du pied

par les Grecs, qui y abord�rent les premiers. Elle para�t avoir �t� originairement peupl�e d'Aborig�nes, et les c�tes ne paraissent avoir �t� visit�es par des �trangers

CXLV.

Trojanorum tempore, invadendarum terrarum caussa, fuerat navigatio.
Qu'au temps des Troyens, alors que  la navigation avait peur objet d'aller envahir des terres �loign�es.

Selon une autre tradition, quelques g�n�rations auparavant,

CXLVI.

Sardis hercule procreatus cum magna multitudine a Libya profectus, insulam occupavit, et ex suo vocabulo insulae nomen indidit.
Sardis, fils d'Hercule, sorti de la Libye � la t�te d'une nombreuse colonie, vint occuper cette �le, et lui donna son nom.

Dans la suite,

CXLVII.

Apollinis filius et Cyrenes,
Un fils d'Apollon et de Cyr�ne,

CXLVIII.

Aristaeus, post laniatum a canibus Actaeonem lilium, matris instinctu Thebas reliquit et Coam insulam tenuit, primo adhuc hominibus vacuam; postea, ea relicta, cum Daedalo in Sardiniam transitum fecit.
Arist�e, ayant vu son fils Act�on d�chir� par ses chiens, quitta Th�bes, de l'avis de sa m�re, et se fixa d'abord dans l'�le de Cos, jusqu'alors inhabit�e; plus tard, renon�ant � ce s�jour,  il se transporta en Sardaigne, accompagn� de D�dale.

On sait que, selon les m�mes traditions,

CXLIX.

Daedalum ex Sicilia profectum, quum Minonis fugeret iram atque opes
Ce fut de la Sicile que, fuyant la col�re et la puissance de Minos, D�dale partit

avec Arist�e. Au surplus, l� ne s'arr�ta point la vie errante de ce c�l�bre artiste

CL.

Daedalus primo Sardiniam, post delatus est Cumas.
Car D�dale s'�tait transport� en Sardaigne, puis � Cumes.

Selon certains auteurs, Arist�e trouva Ille d�serte, d'une ad�mirable fertilit�, et peupl�e d'une innombrable quantit� de gros oiseaux. Selon d'autres, une ville de Nora avait �t� fond�e en Sardaigne par Norax, fils de Mercure et d'une fille

CLI.

Geryonis,
De G�ryon,

chef d'une colonie venue d'Espagne. On parle encore d'Olbia, fond�e par le Thespien Jolaos, auquel s'�taient joints quelques Ath�niens. Quoi qu'il en soit, la Sardaigne n'offrait sur ses c�tes qu'un petit nombre d'�tablissements, sans aucun lien politique entre eux, jusqu'� l'arriv�e de la colonie th�baine.

CLII.

Mox Aristaeum regnando his proxumum asserunt in urbe Caralis, quam condiderat ipse, conjuncto populo utriusque sanguinis, sejuges usque ad se gentes ad unum morem conjugasse, imperium ex insolentia nihil aspernatas
Bient�t, � ce qu'on assure, Arist�e signala son r�gne, en r�unissant dans la ville de Caralis, dont lui-m�me �tait le fondateur, la population de l'une et l'autre race ; il introduisit la conformit� de moeurs chez les deux nations qui, jusqu'� lui, avaient v�cu �trang�res l'une � l'autre, et qui, n'ayant jamais connu le frein de l'autorit�, ne l'avaient jamais repouss�e.

Enfin, apr�s la ruine de Troie, la Sardaigne re�ut une nouvelle colonie,

CLIII.

Quum multi evaserint trojanum periculum... orbis diversa tenuere, uti Capys Campaniam, Hlelenus Epirum, Antenor Venetiam, alii Sardiniam.
Lorsqu'une foule d'habitants, �chapp�s au d�sastre de leur ville, vinrent se fixer en clivera lieux du monde, comme Capys en Campanie, Helenus en �pire, Antenor en V�n�tie, et d'autres en Sardaigne.

CLIV.

Terra patet in longitudine mill, CXL, latitudine XL.
Cette contr�e a cent quarante milles de long sur quarante de large.

CLV.

ln ea neque serpens gignitur, neque lupus, sed solifuga tantum, animal exiguum, hominibus perniciesum. Venenum quoque ibi non nascitur, nisi herba [quae Sardoa dicitur] apiastro similis, quae comesa ora rictus dolore contrahit, et quasi ridentes interimit.
On n'y trouve ni serpents ni loups, mais seulement un petit animal nom�m� soiifuge, dont la piq�re est fort dangereuse pour les hommes. Il n'y croit non plus aucune herbe v�n�neuse, si ce n'est la plante sardonique, qui ressemble � de l'ache. Quand on en a mang�, elle contracte les muscles de la bouche, et tue en causant la convulsion du rire.

Un d�troit assez resserr� s�pare la Sardaigne de la Corse, qui, dit-on, fut originairement peupl�e par les Liguriens.

CLVI.

Sed, ut ipsi ferunt
Mais, ainsi que ceux-ci le rapportent,

un taureau d�couvrit le premier leur �le.

CLVII.

Nam quaedam, Corsa nomine, Ligus mulier, quum taurum ex grege quem prope litora regebat, transnatare solitum, atque per intervalla. corpore aucto, remeare videret, cupiens scire incognita sibi pabula, taurum a ceteris degredientem usque ad insulam navigio prosequuta est. Cujus regressu insulae fertilitatem cognoscentes Ligures, ratibus eo profecti, eamque nomine mulieris aucttoris et ducis appellaverant.
En effet, une femme ligurienne, nomm�e Corsa, ayant remarqu� qu'un taureau quittait habituellement le troupeau qu'elle conduisait sur le bord de la mer, faisait un trajet � la nage, et quelque temps apr�s revenait avec plus d'embonpoint, voulut savoir quels �taient ces p�turages qui lui �taient inconnus; et, pendant que le taureau s'�loignait du troupeau, elle le suivit.sur une barque jusque dans une �le. A son retour, les Liguriens, inform�s de la fertilit� de cette �le, y d�barqu�rent, et lui donn�rent le nom de la femme qui en avait d�couvert l' existence et le chemin

Tradition �videmment fabuleuse; car, quand on songe � la distance des deux �les, il est impossible de supposer que ces fr�quentes all�es et venues

CLVIII.

Ne illa tauro parata sint.
Aient pu �tre faites par un taureau.

Arriv� en Sardaigne, pour recueillir les d�bris du parti de L�pide, Perpenna grossit son arm�e des insulaires qui avaient servi sous ce chef de parti,

CLIX.

Genus militum suetum a pueritia latrociniis
Esp�ce de soldats accoutum�s d�s l'enfance au brigandage.

Malgr� cet accroissement de forces, ne se sentant pas en �tat de continuer seul la guerre civile dans une �le qui pouvait si promptement recevoir des secours de Rome, et d'ailleurs ne pouvant licencier ses soldats,

CLX.

Nam procul et divorsis ex regionibus
Car (ils venaient) de loin, et de contr�es diverses,

et la plupart d'ailleurs n'�taient que

CLXI.

Urbe patriaque extorres
Des bannis, sans asile et sans patrie,

il r�solut de passer en Espagne. Mais Perpenna avait-il emmen� de Sicile avec lui toutes ses troupes,

CLXII.

Perrexere in Hispaniam an Sardiniam?
Ou firent-elles voile vers l'Espagne directement, ou en passant par la Sardaigne?

c'est ce qu'il n'est pas facile de d�cider, vu la contradiction des t�moignages. En effet, je lis quelque part que Perpenna

CLXIII.

In Gallia civitatem, quae Cale dicitur, cepit.
Prit en Gaule une ville qui a le nom de Cal�.

CLXIV.

At Sertorius, vacuuc hieme, augere copias.
Cependant Sertorius, de loisir pendant l'hiver, d'augmenter ses forces.

CLXV.

Exercitum (more maiorum vertere.
De former son arm�e � la discipline de nos anc�tres.

C'est ainsi qu'il eut bient�t sous ses ordres soixante mille fantassins et dix mille chevaux bien disciplin�s, bien arm�s, et pleins d'ardeur.
Dans la ville d'Osca, au pays des Illerg�tes, il forma une acad�mie pour la jeunesse ib�rienne. Lui qui se plaisait � r�p�ter

CLXVI.

Hispaniam antiquam sibi patriam esse,
Que l'Espagne �tait pour lui, depuis bien longtemps, une patrie,

il fut pour ce peuple, � demi civilis�, un g�nie cr�ateur : il le dota des moeurs, de la discipline et des institutions romaines. Il est vrai qu'il n 'eut pas grand'peine � former � la guerre un peuple si naturellement �pris de la gloire des armes. Les f�tes, la po�sie nationale des Espagnols, sont toutes guerri�res; les m�res et les �pouses contribuent � entretenir la jeunesse dans ces sentiments belliqueux.

CLXVII.

Hispanorum mos erat ut in bella euntibus juvenibus parentum facta memorarentur a matribus.
C'�tait une coutume en Espagne que, lorsque les jeunes gens partaient pour  la guerre, leurs m�res leur rappelaient le souvenir des hauts faits de leurs p�res.

CLXVIII.

Neque vlrgines nuptum a parentibus mittebantur, sed ips� belli promptissumos deligebant.
Les filles, pour se marier, n'attendaient point le voeu de leurs parents; mais elles-m�mes, parmi les plus braves � la guerre, se choisissaient un �poux.

Il faut admirer chez Sertorius la constance de ses succ�s. Tout �tait d� � ses talents, � ses efforts personnels. Le h�ros de l'Espagne se faisait aimer par sa simplicit� et sa mod�ration.

CLXIX.

Ea continentia vlr gravis, et nulla arte cuiquam Inferior,
Respectable par cette mod�ration, et  ne le c�dant en rien � aucun autre,

il r�unissait toutes les qualit�s du chef de parti. Cependant il �tait facile de pr�voir que la guerre ne pourrait se terminer � son avantage. Toute la force de son parti �tait en lui seul, et l'on peut douter que la jonction de Perpenna e�t ajout� � ses forces. Ce g�n�ral, qui avait �t� contraint par ses troupes � se r�unir � Sertorius, travaillait sourdement � d�truire l'influence du col-�gue dont il �tait jaloux : de l� un syst�me de d�nigrement tendant � diminuer l'influence de Sertorius aupr�s des peuples de l'Espagne.

CLXX.

Ad hoc rumoribus advorsa in pravitatem, secunda in casum, fortunam in temeritatem declinando corrumpebant.
Dans ce but, par de perfides rumeurs, on attribuait ses revers � ses fautes, ses succ�s au hasard, et sa fortune � sa t�m�rit�.

CLXVI.

Sed Metellus in Ulteriore provincia.
Cependant ce fut dans la province Ult�rieure que Metellus

passa l'hiver, o� il �tait tenu en observation par les troupes d'Hirtuleius.
Pomp�e, qui avait ramen� ses l�gions au pied des Pyr�n�es, ne demeura point dans l'inaction ; mettant de c�t� la vieille discipline romaine,

CLXXII.

Pompeius cum alacribus saltu, cum velocibus cursu, cum validis recte certabat. Neque enim aliter potuisset par esse Sertorio, nisi se et milites frequentibus exercitiis praeparavisset ad proelia,
Pomp�e le disputait, pour le saut, au plus l�ger; pour la course, au plus agile; pour la lutte, au plus vigoureux. En effet, il ne pouvait se mettre en �tat de lutter avec Sertorius qu'en se livrant assid�ment, lui et ses soldats, aux exercices qui pouvaient le rendre propre aux combats,

aux mouvements, aux surprises de la guerre de chicane et de montagnes. Il les formait

CLXXIII.

Noctu diuque vigilias et stationes tentare.
A rester jour et nuit sur pied et � faire des patrouilles.

Son arm�e manquait de vivres : pour y pourvoir,

CLXXIV.

Argentum mutuum arcessivit
Il fit venir de l'argent emprunt�

en son norn. Pour cette conduite, on doit des �loges � Pomp�e, qui toujours se montra

CLXXV.

Modestus ad omnia alia, nisi ad dommationem.
Mod�r� sur tout autre article que le d�sir de dominer.

Cette mod�ration, au dite de ses ennemis, n'�tait qu'affectation ; car, selon eux, sans aucun scrupule pour parvenir,

CLXXVI.

Pompeius oris probi, anima inverecundo,
Pomp�e, au coeur aussi pervers que son visage �tait modeste,

sacrifiait tout, sans pudeur, � son ambition. Seul, dans sa jeunesse, il se mit au-dessus de Sylla, comme depuis il devait toujours se mettre au-dessus des lois. Lorsqu'apr�s la d�faite des partisans de Marius, en Afrique et en Sicile, Sylla lui ordonna de licencier son arm�e, Pomp�e mit en d�lib�ration s'il ne tirerait pas l'�p�e plut�t que d'ob�ir. Il e�t �t� soutenu dans cette r�volte non seulement par son arm�e, mais, � Rome, par un parti puissant;

CLXXVII.

Nam Sullam consulem de reditu eius legem ferentem ex composito trib. pl. C. Herennius prohibuerat;
Car, lorsque Sylla, en qualit� de consul, avait port� devant le peuple  le d�cret ordonnant le rappel de Pomp�e, le tribun du peuple C. Herennius, apr�s avoir li� sa partie, y forma opposition;

et ce ne fut pas sans peine que l'on obtint d'Herennius

CLXXVIII.

Ut actione desisteret.
Qu'il se d�sist�t de la poursuite decette affaire.

CLXXIX.

Nota aestas
La campagne qui s'ouvrit alors

devait �tre fertile en �v�nements. En B�tique, Hirtuleius, lieutenant de Sertorius, dut faire t�te � Metellus, tandis que Sertorius marcha contre Pomp�e. Pr�s d'ltalica, Hirtuleius vint pr�senter la bataille � Metellus. D�s le lever du soleil, il fit sortir ses troupes de ses retranchements. Metellus leur laissa supporter tout le poids du jour, et se tint longtemps immobile,

CLXXX.

Post ubi fiducia nimius,
Puis lorsque, dans l'exc�s de la confiance,

son adversaire fatigu� commen�ait � mettre moins de vigilance dans ses mouvements, Metellus sortit enfin de ses retranchements. Ayant remarqu� que les principales forces des ennemis �taient au centre,

CLXXXI.

Apud latera certos conlocaverat,
Il avait plac� aux ailes ses hommes s�rs,

et il les fit avancer de mani�re � attaquer les deux ailes d'Hirtuleius, tandis que son centre restait immobile. Le succ�s couronna cette manoeuvre : les deux ailes de l'ennemi ayant �t� enfonc�es et pouss�es dans un endroit coup� de courants d'eau, les fuyards, tombant les uns sur les autres,

CLXXXII.

Ictu eorum, qui in fiumine ruebant, necabantur,
P�rissaient sous les coups de ceux  qui tombaient avec eux dans l'eau.

En vain Hirtuleius, pour r�tablir le combat,

CLXXXIII.

Suos equites hortatus, vade transmittit,
Apr�s avoir exhort� ses cavaliers,  leur fait passer un gu�,

et veut soutenir son infanterie ainsi envelopp�e de trois c�tes � la fois. N�anmoins la victoire est loin encore d'�tre d�cid�e : de part et d'autre, on se la dispute avec acharnement,

CLXXXIV.

Occurrere duci et proelium accendere, adeo uti Metello in sagum, Hirtuleio in brachium, tela venirent.
On s'attaque au g�n�ral, et le combat s'anime au point que Metellus eut sa cotte d'armes, et Hirtuleius sonbras, perc�s d'un javelot.

Enfin, Hirtuleius c�de la victoire, laissant vingt mille des siens sur le champ de bataille. Bient�t, avec de nouvelles troupes, il veut prendre sa revanche pr�s de S�govie, mais il est d�fait et tu� avec son fr�re.
Pomp�e, de son c�t�, eut affaire � deux autres lieutenants de Sertorius, Perpenna et C. Derennius. Ils �taient camp�s pr�s de Valence, ayant

CLXXXV.

Inter laeva moenium, et dextrum flumen Turiam, quod Valentiam parvo intervallo praetefluit.
Leur gauche appuy�e aux murs de cette ville, et leur droite � la rivi�re de Turia, qui coule � une petite distance de Valence.

Pomp�e marche

CLXXXVI.

Audaciter,
Hardiment,

contre eux, les d�fait, les force � la retraite, apr�s une perte de plus de dix mille hommes, et la possession de Valence est le prix de sa victoire. Sans attendre l'arriv�e de Metellus, qui n'�tait pas �loign�, il se h�te de marcher vers Sertorius, qui partageait son empressement. Sertorius craignait un second adversaire; Pomp�e, un rival de gloire. Aussi ne saurait-on exprimer avec quel empressement

CLXXXVII.

Obviam fuere.
Ils vinrent au-devant l'un de l'autre.

D�s qu'ils furent en pr�sence, pr�s des rives du Sucron, l'action s'engagea ; mais,

CLXXXVIII.

Vespera,
Sur le soir,

Sertorius avait d�j� fait plier l'aile que commandait Afranius, lorsqu'il fut averti que son aile droite, aux ordres de Perpenna, �tait en pleine d�route. Il court sur ce point, et, voyant les soldats fuir en jetant leurs armes, il leur crie qu'ils se couvrent de honte,

CLXXXIX.

Neque inermes ex proelio viros quemquam agnoturum.
Et que, en les voyant revenir d�sarm�s du combat, personne ne les reconna�tra pour des hommes.

Ses discours, son exemple, produisent leur effet. Pomp�e voit la victoire lui �chapper; dans la m�l�e, il re�oit une blessure, et d'un revers coupe le bras � l'Africain qui vient de l'atteindre. Il n'�chappa m�me aux Barbares qu'en abandonnant son cheval, richement enharnach�, qui tentait leur cupidit�. Cependant Afranius, lieutenant de Pomp�e, avait, de son c�t�, r�tabli le combat. Voyant plier l'aile gauche des Espagnols, il pr�cipita, en quelque sorte, sa victoire

CXC.

Antequam egressus Sertorius pugnae instrueret suos,
Avant que Sertorius, de retour, e�t  rang� les siens en bataille,

enfon�a les lignes ennemies, qui, n'�tant plus �lectris�es par la pr�sence de Sertorius, fuyaient dans toutes les directions, et livr�rent ainsi � Afranius

CXCI.

Castra sine volnere introitum.
L'entr�e du camp sans coup f�rir.

Sertorius, de retour, est tout �tonn� de trouver son camp au pouvoir de l'ennemi ; il voit les Romains occup�s � piller; ce spectacle excite la fureur des soldats qui viennent de vaincre sous Sertorius. Profitant de la surprise que cause leur arriv�e, ils se pr�cipitent l'�p�e � la main dans toutes les lignes du camp, et tuenttout ce qu'ils rencontrent d'ennemis. Ainsi, dans cette journ�e, o� les succ�s et les revers furent si balanc�s, Setorius eut la gloire d'attirer la victoire partout o� il se montrait. Cependant, comme Perpenna abandonna son camp, Pomp�e se donna pour vainqueur. Le lendemain, Sertorius aurait voulu encore en venir aux mains ; mais il rentra dans son camp � la vue de Metellus qui revenait de la B�tique, o� il avait vaincu Hirtuleius. Cette nouvelle, et encore plus la jonction des deux g�n�raux, d�termina sa retraite.
Grande fut la joie des deux arm�es romaines en op�rant leur r�union : on e�t vu les soldats se chercher, se reconna�tre, se parler avec l'empressement d'anciens amis, comme il arrive eu pareille circonstance.

CXCII.

Inde ortus sermo, percunctantibus utrimque, satin' salve? quam grati ducibus suis, quantis familiaribus copiis augerentur.
De l� naissent les propos de gens qui se demandent r�ciproquement comment ils se portent, s'ils sont bien avec leurs chefs, et de quels profits  personnels ils ont augment� leur avoir.

Les deux chefs se donn�rent des t�moignages r�ciproques de respect et d'estime. Pomp�e fit baisser ses faisceaux devant Metellus : Metellus refusa cet honneur, et accepta seulement le droit de donner le mot d'ordre.
Ici se place le trait de la biche de Sertorius, qui savait si bien mettre � profit la superstition espagnole. Il l'avait perdue, il la retrouva, et fit subitement repara�tre � leurs yeux cet animal proph�tique. A cette vue, cette arm�e, nagu�re si d�courag�e, reprend une ardeur si vive,

CXCIII.

Ut tanta repente mutatio non sine deo videretur.
Qu'un chanement si subit ne semblait s'�tre op�r� que par la volont� d'un dieu.

Les g�n�raux romains, intimid�s, se replient sur Sagonte. Quels sentiments de respect et de sympathie ne r�veill�rent pas dans l'arm�e romaine

CXCIV.

Saguntini fide atque �rumnis inclutl, per mortalium studium majores quam opibus; quippe queis etiam tum semiruta moenia, domus intectae, parietesque templorum ambusti, manus punicas ostentabant;
Les Sagontins, fameux par leur fid�lit� et leurs malheurs, plus grands par les souvenirs qu'ils ont laiss�s dans la m�moire des hommes que par leurs forces; car alors, chez eux encore, leurs remparts � moiti� d�truits, leurs maisons d�couvertes, les murailles de leurs temples noircies par les flammes, montraient que la main des Carthaginois avait pass� par l�.

Sous les murs de Sagonte fut livr�e une bataille o� Sertorius fut sur le point d'arracher la victoire � ses deux adversaires. Dans cette journ�e, on combattit de part et d'autre

CXCV.

Avidisque ita, promptisque ducibus, uti Metellus ictu tragulae sauciaretur;
Sous des chefs si ardents, si braves de leur personne, que Metellus fut bless� d'un coup de demi-pique.

et cette heureuse blessure donna la victoire aux Romains : � la vue de leur g�n�ral couvert de sang,

CXCVI.

Immane qantum animi exarsere.
On ne saurait exprimer � quel point la fureur embrasa leurs coeurs.

CXCVII.

Quo cupidius in ore ducis sese quisque bonum et strenuum ostentantes,
Ce n'est qu'avec plus d'ardeur que, sous les yeux de son chef, chacun d'eux cherchant � se montrer plus d�vou� et plus intr�pide,

se pr�cipite sur les Espagnols, arrache le vieux Metellus de la m�l�e, et renverse tout ce qui s'oppose � leurs efforts.

CXCVIII.

Sed Metellus in vulnere
Cependant Metellus, malgr� sa blessure,

se mit sans rel�che � la poursuite de Sertorius, qui, marchant � grandes journ�es � travers l'�d�tanie, op�ra sa retraite jusqu'au pays dus Vascons. Il arriva ainsi jusqu'� la rivi�re Bilbilis, qu'il passa en pr�sence de l'ennemi, au moyen d'un habile stratag�me. Calagurris, o� il voulait s'arr�ter, n'�tait pas �loign�e : arriv� � la vue de cette ville, voyant que les Romains le serraient de trop pr�s, il donna ordre � son arm�e de se disperser.

CXCIX.

At illi, quibus res (regio) incognita erat, ivere (ruere) cuncti ad portas, in (alii) cognita tendere.
Alors ceux qui ne connaissaient pas le pays se port�rent en foule vers les portes; ceux qui le connaissaient se mirent � la d�bandade.

Les Romains, aux yeux desquels disparut ainsi tout � coup l'arm�e qu'ils poursuivaient, se virent dans l'obligation de s'�loigner du pays. Sertorius, en leur coupant les vivres, les mit bient�t hors d'�tat de tenir la campagne. Une escadre interceptait par mer les convois des Romains,

CC.

Ad hoc pauca piratica adjungit actuaria navigia;
Il y joignit en outre quelques vaisseaux corsaires tr�s lestes � la manoeuvre;

en m�me temps, il tirait d'Afrique des grains qu'il faisait acheter par un transfuge important du pays,

CCI.

Quem ex Mauritania rex Leptasta proditionis insimulatum cum custodibus miserat.
Que le roi Leptasta avait envoy� de Mauritanie sous escorte, comme accus� de trahison.

Il devait �tre livr� aux g�n�raux romains du parti du s�nat; mais il avait eu le bonheur de tromper la surveillance de ses gardes, et s'�tait r�fugi� dans le camp de Sertorius. Ainsi Sertorius sut m�nager l'abondance � ses troupes et � ses partisans, tandis que les Romains �taient dans la disette. Pour eux point de convois, point de magasins, m�me

CCII

Neque subsidiis uti soluerat compositis
Apr�s avoir �puis� les ressources ordinaires des imp�ts

et des r�quisitions particuli�res.
Pomp�e prit ses quartiers d'hiver pr�s des Pyr�n�es comme l'ann�e pr�c�dente.

CCIII.

At Metellus in ulteriorem Hispaniam post annum regressus, magna gloria concurrentium undique, virile et muliebre socus, per vias ac tecta omnium visebatur. Quum quastor C. Urbinus aliique, cognita voluntate, eum ad coenam invitaverant, ultra Romanorum et mortalium etiam morem curabant: exornatis aedibus per aulaea et insignia, scenisque ad ostentationem histrionum fabricatis ; simul croco sparsa humus, et alla in modum templi celeberrumi. Praeterea quum, sedenti, transenna demissum Victoriae simulacrum, cum machinale strepitu tonitruum, coronam capiti imponebat: tum venienti, thure, quasi deo,supplicabatur. Toga picta plerumque amiculo erat ei accumbenti : edulae quaesitissumae; neque per omnem modo provinciam, sed trans maria, ex Mauritania, volucrum et ferarum incognita antea plura genera : queis rebus aliquantam partem glorias demserat, maxume apud veteres et sanctas viros, superba illa, gravia, indigna romano imperio aestumantes.
Metellus, � son retour de l'Espagne ult�rieure, apr�s une ann�e d'absence, vit de toutes parts accourir, au bruit de sa gloire, hommes et femmes qui, pour le voir, couvraient toutes les routes et tous les toits. Lorsque le questeur C. Urbinus et d'autres personnes qui connaissaient son faible l'invitaient � souper, ils lui rendaient des hommages qui n'�taient ni dans les moeurs romaines, ni convenables � un mortel. Les maisons �taient orn�es de tapisseries et de draperies �clatantes, et des th��tres dress�s pour y repr�senter des jeux sc�niques; enfin la terre �tait jonch�e de safran, et tout rappelait l'image du temple le plus magnifique. De plus, quand il �tait assis, une figure de la Victoire, descendant par le moyen d'une machine, lui posait une couronne sur la t�te, au milieu d'un bruit imitant le tonnerre; puis, quand il marchait. on lui offrait, comme � un dieu, de l'encens et des voeux. Pendant les repas il �tait, le plus souvent, rev�tu d'une toge relev�e de broderies de diverses couleurs: rien de plus recherch� que les mets de sa table; et ce n'�tait pas de la province seulement, mais d'outre-mer, de la Mauritanie, qu'on apportait des oiseaux ou des animaux de diverses esp�ces jusqu'alors inconnues. Tout ce faste avait port� quelque atteinte � sa gloire, surtout aux yeux des hommes vertueux et de la vieille roche, qui trouvaient ces pratiques bl�mables, et indignes de la majest� de Rome.

Cependant Curion, l'un des consuls de l'ann�e pr�c�dente, �tait en Mac�doine avec l'autorit� proconsulaire. Il voulait porter la guerre chez les Dardaniens, qui n'avaient pas encore subi la victoire romaine. Ces barbares, ainsi que les Bastarnes et les Scordisques, ont conserv� leur f�rocit� primitive. Comme

CCIV.

Germani intectum rhenonibus corpus tegunt: 
Les Germains, ils couvraient leurs corps nus de rhenons:

CCV.

Vestes de pellibus rhenones vocant.
Ils appellent ainsi des pelisses faites de peaux de b�tes.

Les Dardaniens ont la m�me origine que les Mysiens qui habitent le nord de la Phrygie. De l� une partie de cette contr�e est nomm�e

CCVI.

Dardania, sic dicta a rege Dardano rum Mida qui Phrygiam tenuit.
Dardanie, de Midas, roi des Dardaniens, qui vint se fixer en Phrygie.

Les Dardaniens de l'Asie sont aussi polic�s que ceux d'Europe sont demeur�s farouches; ceux-ci inspiraient tant de terreur aux soldats romains, qu'une l�gion refusa de suivre Curion. Le proconsul, montrant � la t�te de l'arm�e la fermet� qu'il avait d�ploy�e sous son consulat, casse toute la l�gion,

CCVII.

Copiis integra,
Bien que pr�sentant un effectif cornplet,

et incorpore les soldats dans ses quatre autres l�gions. A la vue de leurs enseignes bris�es, les l�gionnaires donn�rent les signes du plus violent d�sespoir.

CCVIII.

Circumventi, dextera unde ferrum erat, saxa aut quid tale capiti adfligebant.
Entour�s de toutes parts, leur main, d�sarm�e de leur glaive, frappait leur t�te avec des cailloux, ou avec tout ce qu'ils pouvaient atteindre.

Ces divers incidents emp�ch�rent Curion de faire rien de m�morable durant cette campagne.
En ce temps-l�, Nicom�de, roi de Bithynie, l�gua par testament ses �tats au peuple romain. Le s�nat chargea le pr�teur Silanus de r�duire la Bithynie en province romaine. Mais Mithridate, qui, du vivant de Nicom�de, avait toujours convoit� et plusieurs fois envahi cette contr�e, n'�tait pas d'humeur � laisser les Romains jouir en paix d'une si belle acquisition.
Le sujet m'invite � faire connattre ce prince, qui fut pour les Romains un adversaire plus redoutable que Pyrrhus et qu'Annibal. Il convient aussi, ce me semble, de donner une id�e de la situation et de l'�tendue de son empire, qui s'�tait extr�mement agrandi par sa politique et par ses armes, et qui comprenait tout le p�riple du Pont-Euxin. Cette mer n'a de communication avec les autres mers que par un �troit canal qui s�pare le continent d'Europe de celui d'Asie; on le nomme Bosphore ou trajet du Boeuf, parce que cet animal le peut sans peine traverser � la nage, dans sa partie la plus �troite. L'eau de l'Euxin coule dans ce canal d'un cours presque uniforme, de-puis son ouverture jusqu'en cet endroit, o�, se trouvant resserr�e par les continents qui se rapprochent, elle acquiert, pendant quelques stades, une extr�me rapidit�. Plus loin, le rivage s'arrondit en une large baie.

CCIX.

Se angustiae pontici oris illic dilatant;
L�, les d�troits de l'embouchure de l'Euxin commencent � s �largir;

alors les eaux tombent sans violence dans la Propontide, venues de l'Euxin, et se d�chargent ainsi perp�tuellement dans la mer �g�e.
Vers l'entr�e du Bosphore � la Propontide, les c�tes s'�largissent extr�mement de c�t� et d'autre, et se creusent en sinuosit�s circulaires, mais peu marqu�es, si ce n'est � l'endroit o� s'avance dans la mer le cap Carambis, comme sur la c�te oppos�e, il existe un rocher de la Cherson�se Taurique,

CCX.

Proxumum de promontoriis Paphlagonum, quod Κριοῦ μέτωπον Graeci appellaverunt.
Le plus voisin des promontoires de la Paphlagonie, que les Grecs ont appel� Front de b�lier.

La longue saillie de ce cap forme ce que les Grecs du pays appellent le Pli de l'arc,

CCXI.

Nam speciem efficit scythici arcus.
Car il a la forme d'un arc scythe,

Tout l'Euxin, renferm� dans un vaste cercle de montagnes, est presque toujours couvert de brouillards, � moins que la surface ne soit battue des vents : dans ce dernier cas, le roulis des vagues y est fort dangereux,

CCXII.

Crebritate fluctuum, ut Aquilone solet,
Par l'oscillation fr�quente des flots, effet ordinaire de l'Aquilon,

tandis que le choc du rivage en renvoie d'autres en sens contraire. Leur rencontre �l�ve des lames si rapides et si serr�es, que,

CCXIII.

Triplici fluctu,
Au troisi�me flot,

il n'est point de barque qui puisse aborder � la c�te.

CCXIV.

Ipsum mare Ponticum dulcius quam cetera,
L'eau du Pont-Euxin est moins sa l�e que celle des autres mers,

� cause du grand nombre de rivi�res qui s'y jettent,

CCXV.

Unde hic tulit colorem
D'o� il tire la couleur

blanch�tre qui le distingue des autres mers. L'Euxin est tr�s favorable � la p�che, surtout en �t�.

CCXI.

Qua tempestate ex Ponte vis piscium erumpit,
Durant cette saison, il sort de l'Euxin une prodigieuse quantit� de poissons,

qui reflue dans le lac M�otis et dans la Propontide.
Le Pont-Euxin re�ut d'abord des Grecs le nom de Pontus, mer par excellence, puis celui d'Axenos, inhospitalier, qu'il changea contre celui d'Euxenos, nom de meilleur augure, quand les Ioniens y eurent fond� un grand nombre de colonies. Au reste, ce fut assez tard que les Grecs connurent cette mer :

CCXVII.

Namque primum Jasonem novo itinere maris Aetae hospitis domum violasse.
Car Jason fut le premier qui, parmi eux, osa se frayer une route nouvelle  � travers la mer, lorsqu'il alla violer la maison d'��t�s, son h�te.

En parcourant les c�tes du Pont-Euxin,

CCXVIII.

Ergo introrsus prima Asiae Bithynia est multis ante nominibus appellata; nam prius Bebrycia dicta, deinde Mygdonia, mox a Bithyno rege Bithynia nuncupata est. Ipsa est et Major Phrygia.
La premi�re contr�e de l'Asie que  l'on rencontre dans l'int�rieur des terres est donc la Bithynie, auparavant appel�e de divers noms, car c'est le m�me r�gion nomm�e B�brycie, ensuite Mygdonie; plus tard le roi Bi-thynus la fit appeler Bithynie : c'est aussi la m�me r�gion qu'on appelle Grande Phrygie.

Tout porte � croire que cette contr�e fut, ainsi que les pays environnants, peupl�e par diff�rentes colonies venues de Thrace. Ce sont �galement des Thraces, partis des alentours du cap Tinias, qui ont occup� l'Ascanie,

CCXIX.

Quem trans stagnum omnis usque ad flumen
Qui s'�tend tout enti�re au del� du lac jusqu'au fleuve

nomm� Ascan, entre la mer, le fleuve Sangar et le mont Olympe. Vous trouvez

CCXX.

ln Paphlagonia Teium oppidum,
En Paphlagonie la ville de Teios,

H�racl�e, S�same, Sitore, etc. Plus loin est Sinope. A l'est de la Paphlagonie se trouve le Pont avec les villes d'Amise et d'Amasie.

CCXXI.

Dein campi Themyscirii, quos habuere Amazones a Tanai flumine incertum quamobrem digressae
Ensuite sont les campagnes th�mysciriennes, qu'occup�rent les Amazones, lorsqu'elles quitt�rent, on ne sait pour quel motif, les bords du Tana�s.

Apr�s les champs th�mysciriens, se trouve le territoire de Cerasus, puis Trap�zunte. Vient enfin la Colchide, qui forme � elle seule tout le rivage oriental de l'Euxin. Elle est arros�e par le Phase, dont l'embouchure forme un vaste golfe. L� se trouve la ville d'Aea, qui fut, au temps des Argonautes, la demeure du roi Ae�t�s. Les Mosques, les Albaniens, habitent les bords du Phase et du Cyrus, entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne. Entre ces deux mers s'�l�ve la plus haute cha�ne du Caucase.
Le long de la c�te, au nord du Phase, est la ville de Dioscuriade, dans le pays des Dandariens et des H�nioques, puis les Ach�ens du Bosphore, qui se distinguent entre tous les peuples par la barbarie de leurs moeurs.

CCXXII.

Namque omnium ferocissumi ad hoc tempus Achaei atque Tauri sunt, quod, quantum conjicio, locorum egestater apto vivere coacti.
Car les plus f�roces de tous, m�me de notre temps, sont les Ach�ens et  ceux de la Tauride. ce qui, autant que je puis le pr�sumer, vient de ce que la st�rilit� de leur territoire les a forc�s de vivre de rapines.

Au milieu de tant de peuples sauvages, le petit royaume du Bosphore Cimm�rien s'est maintenu pendant plus de quatre si�cles, il renferme plusieurs villes tr�s commer�antes. Le lac M�otide a son issue dans l'Euxin, au milieu du Bosphore, dont les c�tes maritimes bordent en partie ce vaste lac. L� sont les villes Panticap�e, sur la c�te d'Europe, et Phanagor, en Asie. A l'entr�e de l'isthme qui rejoint la Cherson�se Taurique au continent de l'Europe se trouve la ville de Taphr�, fond�e par des esclaves du continent. Ayant eu commerce avec les femmes de leurs ma�tres, qui �taient alors � la guerre contre les Thraces, ils r�solurent, soit par crainte, soit

CCXXIII.

Ad mutandum modo in melius servitium,
Pour changer seulement leur servitude contre une meilleure condition,

de se r�fugier dans l'isthme, et de se fortifier dans la ville de Taphr�, qu'ils b�tirent. Telle est

CCXXIV.

Maetici situs aequoris.
La description de la mer M�otide.

Depuis Taphr� jusqu'au Borysth�ne, le pays est occup� p�r des Scythes nomades qui se tiennent sur de vastes p�turages,

CCXXV.

In quibus plaustra sedes sunt.
O� ils ont leurs demeures sur des chariots.

Dans l'�le de Leuc�, form�e par des atterrissements � l'em�bouchure du Borysth�ne, est un temple r�v�r�.

CCXXVI.

Primus Graecorum Achilles,
Achille, le premier des Grecs,

ayant travers� l'Euxin pour chercher Iphig�nie, s'arr�ta, dit-on, dans cette �le, afin d'y c�l�brer des jeux. Th�tis, sa m�re, lui fit pr�sent de cette terre �loign�e, o� s'�l�ve encore aujourd'hui le temple de ce h�ros.

CCXXVII.

Tota autem insula modica, et cultoribus inanis est.  
Toute l'�le est peu �tendue, et vide d'habitants.

De l'autre c�t� du Borysth�ne, sont les Sarmates Basilides, puis les G�tes, et plus avant les Bastarnes, dont le pays est arros� par le Danaster.

CCXXVIII.

Omnium fluminum, quae in maria qua imperium remanum est, fluunt, quem Graeci τὴν εἴσω θάλασσαν appellant, maxumum esse Nilum consentitur, proxuma magnitudine est lster :
De tous les fleuves qui affluent dans les mers d�pendantes de la domina-tion romaine, le plus grand, celui que les Grecs appellent seconde mer, est le Nil; et, apr�s lui, le plus grand est l'ister:

ainsi l'appel�rent les Grecs et les hommes du pays,

CCXXIX.

Nomenque Danubium habet.
Mais il a aussi le nom de Danube.

Il est temps de revenir � l'histoire de Mithridate.

CCXXX.

Artabanes condilor regni
Artaban, fondateur du royaume

de Pont, et fils de Darius, fils d'llystaspes, �tait le premier des anc�tres paternels de Mithridate. Le p�re de celui-ci avait �t� l'alli� fid�le des Romains. Il mourut laissant deux fils en bas �ge. Mithridate, l'acn�, vit se liguer contre lui ses tuteurs, sa m�re et son jeune fr�re.

CCXXXI.

Sed Mithridates, extrema pueritia regnum ingressus, matre veneno interfecta,
Mais, bien qu'arriv� au tr�ne au sortir de l'enfance, Mithridate, apr�s avoir fait mourir sa m�re par le poison,

puis son jeune fr�re, car il fut toujours

CCXXXII.

Ipse animi atrox,
Implacable dans ses vengeances,

s'annon�a comme un roi digne de porter le sceptre. Ennemi pers�v�rant des Romains, il manifesta sa haine contre eux en d�pouillant de leurs �tats plusieurs princes alli�s de la r�publique. Il ne reculait devant aucune mesure atroce. On dit que, par ses ordres, Zenobius, son g�n�ral, apr�s avoir ran�onn� les habitants de Chios,

CCXXXIII.

Omnia sacrata corpora in ratem imposuisse.
Fit jeter dans un vaisseau tous ces malheureux,victimes d�vou�es.

Mais ce qui surpasse tous ses crimes, c'est le massacre de plus de cent mille Romains, dans l'Asie, le m�me jour. Il fut une premi�re fois ch�ti� par Sylla, qui le for�a de souscrire au trait� de Dardanum. Dans une seconde guerre contre la r�publique, il eut � combattre Murena. Un mot de Sylla fit cesser cette guerre. Ce fut au sujet de la Bithynie que Mithridate prit les armes contre les Romains une troisi�me fois. Il produisit, comme h�ritier du royaume de la Bithynie, un prince n�, selon lui, de Nicom�de et de Moysa, soeur de Mithridate. Mais, lorsque ses partisans se mirent en devoir de le proclamer,

CCXXXIV.

Quos advorsum multi ex Bithynis volentes occurrere, falsum filium arguituri.
Contre eux on vit spontan�ment s'�lever une foule de Bithyniens, pour leur apporter la preuve que ce n'�tait qu'un fils suppos�.

Le s�nat opposa au Nicom�de, neveu de Mithridate, un autre Nicom�de surnomm� Frugi, que le roi de Pont disait �tre fils d'une danseuse; mais le r�le de ces deux fant�mes fut court. Bient�t Mithridate fit alliance avec Sertorius. Ce prince, curieux de savoir ce qui se passait dans les pays �trangers, s'entretenait volontiers avec les navigateurs. Des commer�ants qui fr�quentaient

CCXXXV.

Tartessum Hispaniae civitatem, quam nunc Tyrii, mutato nomine, Gadir habent, ut alii tradiderunt,
Tartessus, ville d'Espagne, que, par un changement de nom, les Tyriens appellent aujourd'hui Gadir,

�tant venus trafiquer dans l'Euxin, lui vant�rent les talents et la puissance de Sertorius.

CCXXXVI.

Ibi fimbriana seditione, qui regi per obsequelam orationis, et maxume odium Sullae, graves carique erant,
L� se trouvaient quelques Romains, d�bris de la d�sertion fimbriane, qui, par leurs discours obs�quieux, et encore plus par leur haine contre Sylla, s'�taient bien fait voir aupr�s du roi,

entre autres, L. Magius et L. Fannius. Ils lui inspir�rent le des sein de faire alliance avec ce chef de parti. Le roi les fit partit pour l'Espagne avec le plus intime de ses confidents.

CCXXXVII.

Metrophanes promeruit gratiam Mithridatis obsequendo;
M�trophane, par son z�le obs�quieux  avait m�rit� la faveur de Mithridate;

ce prince l'employait de pr�f�rence � tous les autres; mais comme il arrive le plus souvent aux flatteurs des rois, M�trophane devait finir par trahir son ma�tre.
A Rome, on s'attendait bien � une guerre contre Mithridate Les consuls Lucullus et M. Cotta en sollicitent tous deux la conduite. Le sort avait d�f�r� � Lucullus le gouvernement de la Cisalpine. Mais Octavius, proconsul de Cilicie, �tant mort, Lucullus se mit sur les rangs pour obtenir ce gouvernement, assur� d'avoir ainsi part � la guerre pontique. A cet effet, il s fit le courtisan assidu de Precia, ma�tresse du tribun Cethegus. Cette femme, souill�e de tous les vices. mais

CCXXXVIII.

Cultu corporis ornata egregio,
Orn�e de tous les charmes ext�rieurs,

exer�ait sur son amant un empire absolu : elle se pr�ta aux vues du consul, qui se montra g�n�reux, et Cethegus n'eut plus � la bouche que l'�loge de Lucullus, qui obtint ainsi le proconsulat de Cilicie, avec l'arm�e destin�e contre ce prince ; mais son coll�gue M. Cotta arracha du peuple, � force d'instances, la Bithynie, avec le commandement d'une flotte dans la Propontide.
Lucullus n'emmena d'Italie qu'une seule l�gion, comptant y joindre les troupes romaines r�pandues en Orient, et principalement les bandes fimbrianes que Sylla avait laiss�es en Asie; mais, pour les villes de l'Asie, ces troupes indisciplin�es

CCXXXIX.

Graviore belle quo prohibituri venerant socii fregere.
�taient des ennemis cruels plut�t que des alli�s venus pour les prot�ger.

Lucullus sut les discipliner et leur apprendre ce qu'�tait un g�n�ral. En m�me temps, il adoucit, par son administration mod�r�e, le sort des villes d'Asie, et les rattaeha ainsi � l'ob�issance de Rome.
Mithridate ouvre la campagne en mena�ant Chalc�doine, l'une des m�tropoles de la Bithynie, avec une arm�e de plus de cent soixante mille hommes. Cotta, sans attendre Lucullus, prit la r�solution de le combattre seul. Il confie l'arm�e � Nudus, et reste � la garde de Chalc�doine : Nudus est forc� dans sa position, et op�re une retraite pr�cipit�e vers la ville. Les portes sont bient�t encombr�es par les fuyards. Le soldat, pouss� de toutes parts, ne peut fuir ni se d�fendre :

CCXL.

Ruuntque pars magna suismet, aut proxumorum telis; ceteri vicem pecorum obtruncabantur.
Une benne partie tombe bless�e  par ses propres armes, ou par celles de leurs voisins; le reste se laissa �gorger comme de vils troupeaux.

Le m�me jour, Mithridate for�a la flotte romaine dans le port de Chalc�doine, sans que Cotta os�t s'y opposer. Mithridate avait laiss� peu de troupes dans cette place ; on conseillait � Lucullus de la ch�tier. Il aima mieux aller au secours de Cotta, puis ensuite parut devant Chalc�doine ; mais il ne songea pas � attaquer d�s lors Mithridate : en voyant le nombre prodigieux de ses troupes, il compta d'avance le nombre de jours qu'il fallait pour les affamer. En effet, le roi fut oblig� de se replier dans la Troade, o� le consul le suivit. Malgr� la rapidit� de ces mouvements, l'arm�e romaine eut � souffrir, bien que

CCXLI.

Frugum pabulique laetus ager.
La campagne f�t fertile en vivres et fourrages.

CCXLII.

At Lucullum regis cura machinata fames brevi fatigabat,
Mais, occasionn�e par les mesures du roi, la disette avait bient�t fatigu� Lucullus;
Multique commeatus interierant insidiis latronum.
En outre, nombre de convois �taient tomb�s dans les emb�ches des pirates.

Bient�t Mithridate vient mettre, par terre et par mer, le si�ge devant Cyzique. Cette ville est situ�e sur lit c�te de Phrygie, au pied du mont Art�, dans un emplacement uni au continent par un isthme.

CCXLIII.

Dubium an insula sit, quod Eurl  atque Austri superjactis fluctibus, circumlavit.
On ne saurait dire si c'est une �le: car cet isthme, battu par l'Eurus et  par l'Auster, est sans cesse baign� par les vagues.

La c�te s'avance encore dans la mer par un autre promontoire.

CCXLIV.

Unde pons in oppidum pertinens explicetur.
L� est b�ti un pont qui communique avec la ville.

Mithridate n'�pargna rien pour triompher de la r�sistance des habitants, que commandait Lysistrate, guerrier habile et courageux. Le roi avait en son pouvoir trois mille Cyzicains, pris tant devant Chalc�doine que dans d'autres rencontres; il les lit amener dans des bateaux et exposer sur le rivage, au pied des murs de Cyzique, d'o� ces infortun�s tendaient leurs mains suppliantes vers leurs concitoyens, les conjurant de ne pas les exposer � une mort certaine par une r�sistance opini�tre. Ils rest�rent ainsi entre la terre et la muraille, expos�s aux coups, � la faim, aux injures de l'air, n'ayant d'autre retraite

CCXLV.

Quae mapalia sunt circumjecta civitati, suburbana aedificia.
Que les masures qui se trouvaient �� et l� autour de la ville, dans les  faubourgs.

Le gouverneur de la place, dans la disette o� l'on �tait de vivres, ne put leur y accorder un asile; leurs concitoyens prirent piti� d'eux, et, ne pouvant leur faire passer des vivres,

CCXLVI.

E muris canes sportis demittebant.
Leur coulaient des chiens dans des paniers, le long des murs.

Tel �tait, au reste, le spectacle qu'offraient toutes les campagnes de la Bithynie o� l'arm�e pontique avait exerc� les plus grands ravages ; et ce qui justifiait les s�v�res mesures de Lysistrate, c'est que

CCXLVII.

Magna vis hominum convenerat agris pulsa aut civitate ejecta
Une multitude d'hommes, chass�s de leurs champs ou de leurs villes, s'�taient r�unis

dans Chalc�doine. Mithridate, pourvu de machines de guerre, donna plusieurs assauts � la place. A l'acharnement des assaillants, Lysistrate et sa courageuse garnison r�pondent par la d�fense la plus pers�v�rante. Si les tours de Mithridate am�nent ses soldats sur le rempart, Lysistrate

CCXLVIII.

Moenibus deturbat.
Les repousse des murailles.

La redoutable h�l�pole avait renvers� une partie des remparts voisins d'un marais. Lysistrate, mettant � profit la soir�e et la nuit, appelle au travail tous les habitants,

CCXLIX.

Murum ab angulo dextri lateris ad paludem haud procul remotum duxit.
Fait �lever un mur, depuis l'angle du c�t� droit, jusqu'� un �tang qui n'�tait pas �loign�.

Cependant Lucullus, persuad� que le roi n'aurait pas longtemps de quoi faire subsister une si grande arm�e, ne s'effraya point de ces immenses moyens d'attaque; s�r de vaincre sans tirer l'�p�e, il se contenta de tenir en observation l'arm�e pontique; l'�v�nement devait justifier ses pr�visions.

CCL.

Eodem anno in Macedonia C. Curio principio veris cum exercitu profectus in Dardaniam quibus potest modis dictas pecunias coegit;
La m�me ann�e, C. Curion, qui �tait  en Mac�doine, �tant parti au commencernent du printemps pour la Dardanie, mit tous les moyens en usage pour imposer � ce pays les plus grosses contributions en argent;

apr�s quoi il ramena ses l�gions en Mac�doine, et transporta ses quartiers d'hiver

CCLI.

Stabos.
A Stobes.

A Rome, la querelle du tribunat �tait s�rieusement engag�e. Ce qui augmentait encore le m�contentement publie, c'est que l'iniquit� r�gnait sans contr�le dans les tribunaux, pour peu que des coupables fussent puissants.

CCLII.

In fiducia quam argumentis purgatiores, demittuntur.
Leur assurance audacieuse, plut�t que leurs arguments, les fait renvoyer absous.

 

FRAGMENTS DU TROISI�ME LIVRE.

 

La famine continuait � se faire sentir dans Rome. Le gouvernement se voyait sans pouvoir pour faire cesser le mal, et

CCLIII.

Festinantibus in summa inopia patribus,
Les s�nateurs, s'agitant sans but  dans ce d�n�ment extr�me,

�taient accus�s, non pas d'imp�ritie, mais de malveillance.
Dans la violence de leur m�contentement, les pl�b�iens s'�crient que la disette est l'oeuvre des implacables patriciens ; ils s'attroupent autour du temple de la Concorde, o� �tait assembl� le s�nat. Le consul C. Aurelius Cotta, objet principal de ces clameurs s�ditieuses, ose les braver : il descend dans le Forum, et s'exprime � peu pr�s en ces termes :

ORATIO C. COTTA CONSULIS AD POPULUM.
Quirites, multa mihi pericula domi, militiae mulla advorsa fuere; quorum alia toleravi, partim repuli deorum auxiliis et virtute mea; in quis omnibus, neque animus negotio defuit, neque decretis labos. Malae secundaeque res opes, non ingenium, mihi mutabant. At contra in his miseriis cuncta me cum fortuna deseruere : praeterea senectus, per se gravis, curam duplicat; cui misero, senecta jam �tate, ne mortem quidem honestam sperare licet. Nam si parricida vestri sum, et bis genitus hic deos penates meos, patriamque, et summum imperium vilia habeo, quis mihi vivo cruciatus satis est, aut quae poena mortuo? quum omnia memorata apud inferos supplicia scelere meo vice.
A prima adolescentia in ore vestro, privatus et in magistratibus egi : qui lingua, qui consilio meo, qui pecunia voluere, usi sunt : neque ego callidam facundiam, neque ingenium ad malefaciundum exercui. Avidissumus privatae gratiae: maxumas inimicitias pro republica suscepi; qui victus cum illa simul, quum egens alien� opis plura mala exspectarem, vos, Quirites, rursus mihi patriam, deos penates, cum ingenti dignitate dedistis. Pro quibus beneficiis, vix satis gratus videar, si singulis animam, quam nequeo, concesserim. Nam vita et mors jura naturae sunt : uti sine dedecore cum civibus, fama et fortunis integer agas, id dono datur, atque accipitur.
Consules nos fecistis, Quirites, domi bellique impeditissuma republica. Namque imperatores Hispaniae stipendium, milites, arma, frumentum poscunt : et id res cogit; quoniam post defectionem sociorum, et Sertorii per montis fugam, neque manu certare possunt, neque utilia parare. Exercitus in Asia Ciliciaque ob nimias opes Mithridatis aluntur; Macedonia plena hostium est; nec minus Italiae marituma, et provinciarum ; quum interim vectigalia parva, et bellis incerta, vix partem summum sustinent : ita classe, qua commeatus vehebatur, minore, quam antea navigamus. H�c si dolo aut socordia nostra contracta sunt, agite, et, uti monet ira, supplicium sumite; sin communis fortuna asperior est, quare indigna vobis nobisque et republica incipitis? Atque ego, cujus aetati mors propior est, non deprecor, si quid ea vobis incommodi demitur; neque mox ingenui corpori honestius, quam pro vestra salute finem vitae fecerim. Adsum en C. Cotta consul : facio, quod saepe majores asperis bellis fecere; voveo dedoque me pro republica quam dein, cui mandetis, circumspicite. Nam talem honorem bonus nemo volet, quum fortunae, et maris, et belli ab aliis acti, ratio reddenda, aut turpiter moriuudum sit. Tantummodo in animis habetote, non me ob scelus, aut avaritiam caesum, sed volentem pro maxumis beneficiis animam dono dedisse.
Per vos, Quirites, et gloriam majorum, tolerate advorsa, et consulite reipublicae. Multa cura summo imperio inest, multi ingentes labores; quos nequidquam abnuitis, et pacis opulentiam quaeritis, quum omnes provlnciae, regna, maria, terraeque aspera, aut fessa bellis sint.

DISCOURS DU CONSUL C. COTTA AU PEUPLE.
Citoyens, j'ai eu � subir bien des dangers dans nos crises politiques, � la guerre bien des revers; j'ai support� les uns et d�tourn� les autres par le secours des dieux et par mon courage, et, en toutes ces �preuves, ni la r�solution n'a, de ma part, manqu� aux affaires, ni la fermet� d'ex�cution aux d�cisions prises. La mauvaise et la bonne fortune changeaient pour moi l'�tat des choses, et non mon caract�re. Mais aujourd'hui, dans notre position malheureuse, tout m'abandonne avec la fortune; de plus, la vieillesse, par elle-m�me pesante, aggrave ma peine; et j'ai la douleur, dans un �ge d�j� vieux, de ne pouvoir esp�rer m�me une mort honorable. En effet, si je suis envers vous un parricide; si, apr�s avoir re�u ici deux fois l'existence, je compte pour rien et mes dieux p�nates, et ma patrie, et mon autorit� supr�me, quel supplice assez cruel pour moi pendant ma vie, quel ch�timent apr�s ma mort, puisque tous les supplices connus aux enfers sont au-dessous de mon crime?
D�s ma premi�re jeunesse j'ai, comme particulier ou comme magistrat, v�cu sous vos yeux : quiconque a r�clam� ma voix, mes conseils, ma bourse, en a dispos�, et je n'ai employ� ni les prestiges de l'�loquence ni mes talents pour nuire. Bien que fort avide de la faveur de chacun des citoyens, j'ai encouru les haines les plus puissantes pour la r�publique; et, lorsque vaincu avec elle et r�duit � implorer le secours d'autrui, je m'attendais � de nouveaux malheurs, c'est vous, citoyens, qui m'avez rendu ma patrie, mes dieux p�nates, en y joignant la plus haute dignit�. Pour tous ces bienfaits, je me croirais � peine assez reconnaissant, quand m�me je pourrais donner ma vie � chacun de vous; en effet, la vie et la mort sont entre les mains de la nature : mais une vie honorable au milieu de ses concitoyens, l'honneur avec toute une r�putation, une fortune sans atteinte, c'est l� un don qui s'accorde et qu'on accepte.
Vous nous avez faits consuls, citoyens, dans un moment bien critique au dedans et au dehors. En effet, nos g�n�raux en Espagne demandent de l'argent, des hommes, des armes, du bl�; ils y sont bien forc�s, puisque, par la d�fection des alli�s et la retraite de Sertorius sur les montagnes, ils ne peuvent ni combattre ni pourvoir � leurs besoins. En Asie et en Cilicie, les forces immenses de Mithridate nous forcent � entretenir des arm�es; la Mac�doine est infest�e d'ennemis : on en peut dire autant des c�tes de l'Italie et des provinces; en m�me temps le produit des imp�ts diminue, et, rendu incertain par la guerre, couvre � peine une partie des d�penses : aussi la flotte qui nous ap�provisionnait de vivres est-elle devenue moins nombreuse qu'auparavant. Si ces maux sont l'effet de notre perfidie et de notre n�gligence, allez, et au gr� de votre col�re livrez-moi au supplice; mais, si c'est la fortune qui nous accable tous de ses rigueurs, pourquoi vous porter � des actions indignes de vous, de moi et de la r�publique? Cette mort, que mon �ge me rend si prochaine, je ne la refuse point, si elle peut en quelque chose all�ger vos maux; et une vie irr�prochable, qui touche � son terme, ne peut finir plus honorablement que pour votre salut. Je remets donc entre vos mains votre consul C. Cotta. Je fais ce que souvent nos anc�tres ont fait dans les guerres p�rilleuses : je me d�voue et me sacrifie pour la r�publique. Cherchez ensuite autour de vous � qui vous en confierez l'administration, car un tel honneur, aucun homme de bien n'en voudra, lorsqu'il faudra qu'il r�ponde de la fortune, de la mer, d'une guerre faite par d'autres. ou qu'il meure honteusement. Seulement, pensez bien que ce ne sera point par trahison ou par malversation que j'aurai perdu la vie, mais volontairement, en homme qui, par reconnaissance pour de grands bienfaits, sait faire le sacrifice de son existence.
Je vous en conjure, Romains, par votre gloire, par celle de vos anc�tres, supportez l'adversit�, et pourvoyez au salut de la r�publique. Il n'est point de vaste puissance sans de nombreuses difficult�s, sans de p�nibles efforts; en vain vous flatteriez-vous de vous y soustraire, et demanderiez-vous l'abondance de la paix, lorsque toutes les provinces, les royaumes, les mers, toute la terre, enfin, sont accabl�s des maux et des fatigues de la guerre.

Ce discours, prononc� avec dignit� par un homme qui n'avait point la d�faveur populaire, produisit une heureuse impression. La s�dition s'apaisa ; mais Cotta, voulant en pr�venir le retour, fit faire des distributions de grains aux d�pens du tr�sor. Une autre concession bien importante mit le comble � sa popularit�.

CCLV.

Legem in concione tulit, repugnante nobilitate, magno populi studio, ut iis qui tribuni plebis fuissent, alios quoque magistratus capere liceret : quod lex a L. Sulla paucis ante anis prohibebat.
Il porta dans l'assembl�e g�n�rale, en d�pit de la noblesse, mais � la grande satisfaction du peuple, une loi qui donnait � ceux qui avaient �t� tribuns la facult� d'arriver aux autres magistratures, facult� qu'une loi de L. Sylla leur avait interdite quelques ann�es auparavant.

En Espagne, les arm�es se trouvaient r�ciproquement r�duites � la plus grande disette.

CCLVI.

Namque his praeter solita vitiosis magistratibus (magis aestatibus) , quum per omnem provinciam infecunditate biennii proxumi grave pretium fructibus esset.
Car, � cause du d�rangement absolu des saisons, la st�rilit� des r�coltes par toute la province, dans ces deux derni�res ann�es, avait fait monter les denr�es � un prix exorbitant.

Pomp�e surtout avait en vain �crit lettres sur lettres au s�nat. On ne pouvait gu�re satisfaire � sa demande ; car la disette �tait g�n�rale dans tout l'empire.

CCLVII.

Quae pecunia ad hispaniense bellum Metello facta erat,
L'argent lev� � l'intention de Metellus, pour la guerre d'Espagne,

avait �t� employ� � des achats pour nourrir le peuple de Rome. C'est dans cette circonstance que Pomp�e �crivit au s�nat une lettre dont voici la teneur :

CCLVIII.

EPISTOLA CN. POMPEII AD SENATUM.
Si advorsus vos patriamque, et deos penates, tot labores et pericula suscepissem, quotlens a prima adolescentia ductu meo scelestissumi hostes fusi, et vobis salus quaesita est; nihil amplius in absentem me statuissetis, quam adhuc agitis, P. C., quem contra aetatem projectum ad bellum saevissumum, cum exercitu optume merito, quantum est in vobis, fame, miserruma omnium morte, confecistis. Hac in spe populus romanus liberos suos ad bellum misit? H�c sunt praemia pro volneribus; et totiens ob rempublicam fuso sanguine? fessus scribundo, mittundoque legatos, omnes opes et spes privatas meas consumsi, quum interim a vobis per triennium vix annuus sumtus datus est. Per deos immortales, utrum censetis me vicem �rarii praestare, an exercitum sine frumento et stipendio habere posse?
Equidem fateor, me ad hoc bellum majore studio, quam consilio, profectum; quippe qui nomine modo imperii a vobis accepto, diebus quadraginta exercitum paravi, hostesque in cervicibus jam Italiae agentes ab Alpibus in Hispaniam summovi; per eas, iter aliud atque Annibal nobis obportunius patefeci. Recepi Galliam, Pyrenmum, Lacetaniam, Indigetes: et primum impetum Sertorii victoris novis quidem rnilitibus, et multo paucioribus sustinui: hiememque in castris inter saevissumos hostes, non per oppida, neque ex ambitione mea, egi.
Quid dein proelia, aut expeditiones hibernas, oppida excisa, aut recepta enumerem? quando res plus valent quam verba. Castra hostium apud Sucronem capta, et proelium apud flumen Durium, et dux hostium C. Herennius cum urbe Valentia et exercitu deleti, satis clara vobis sunt: pro quis, o grati Patres, egestatem et famem redditis. !taque meo et hostium exercitui par conditio est : namque stipendium neutri datur : victor uterque in Italiam venire potest. Quod ego vos moneo, quaesoque, ut animadvortatis; neu cogatis necessitatibus privatim mihi consulere.
Hispaniam Citeriorem, quae non ab hostibus tenetur, nos aut Sertorius ad internecionem vastavimus; praeter maritumas civitates, quae ultro nobis sumtui onerique. Galba superiore anno Metelli exercitum stipendio frumentoque aluit; et nunc malis fructibus, ipsa vix agitat. Ego non rem familiarem modo, verum etiam fidem consumsi. Reliqui vos estis; qui, nisi subvenitis, invito et praedicente me, exercitus hinc, et cum eo omne bellum Hispaniae in Italiam transgrediuntur.

LETTRE DE CN. POMP�E AU S�NAT.
Si, combattant contre vous, contre la patrie et nos dieux p�nates, j'avais essuy� tous les travaux, tous les dangers qui m'ont valu, d�s ma premi�re jeunesse, sur des ennemis trop coupables, la victoire � laquelle vous devez votre salut, vous n'auriez pas pris contre moi, en mon absence, s�nateurs, des mesures plus cruelles que vous ne le faites aujourd'hui encore. Apr�s m'avoir jet�, malgr� mon �ge, au milieu des p�rils d'une si rude guerre, vous m'exposez, autant qu'il est en vous, moi, et mon arm�e qui a rendu les plus grands services, au tr�pas le plus cruel, c'est-�-dire � mourir de faim. Est-ce dans cette esp�rance que le peuple romain a envoy� ses enfants � la guerre? est-ce l� le prix de tant de blessures, de tant de sang vers� pour la r�publique? Fatigu� d'�crire et d'envoyer des messa�ges, j'ai �puis� toutes mes ressources, toutes mes esp�rances personnelles, tandis que vous nous avez � peine donn�, pendant trois ans, la subsistance d'une ann�e. Au nom des dieux, pensez-vous que je puisse suppl�er au tr�sor, ou entretenir une arm�e sans vivres et sans argent?
Je confesse, il est vrai, que je suis parti pour cette guerre avec plus d'ardeur que de pr�voyance, puisque, n'ayant re�u de vous que le titre de g�n�ral, en quarante jours j'ai su me donner une arm�e. L'ennemi �tait d�j� maitre des d�fil�s qui m�nent en Italie; du pied des Alpes je l'ai refoul� en Espagne. A travers ces montagnes je me suis ouvert une route autre que celle d'Annibal, et pour nous plus commode; j'ai reconquis la Gaule, les Pyr�n�es, la Lal�tanie, les Indig�tes le premier choc de Sertorius victorieux je l'ai soutenu avec des soldats novices et de beaucoup inf�rieurs en nom�bre : et l'hiver, c'est dans les camps. au milieu d'ennemis acharn�s, et non dans les villes, que, sans �couter mon d�sir de complaire aux troupes, je l'ai pass�.
Qu'est-il besoin encore d'�num�rer nos combats, nos exp�ditions au coeur de l'hiver, les villes d�truites ou reprises? les faits en disent plus que les paroles. Le camp ennemi pris pr�s de Sacron, la bataille livr�e pr�s du fleuve Durius, le g�n�ral ennemi, C. Herennius, compl�tement battu avec son arm�e, et Valence emport�e, tout cela vous est assez connu; et, pour de tels services, votre reconnaissance, s�nateurs, nous donne la mis�re et la faim. Ainsi, pour mon arm�e et pour celle de l'ennemi, traitement pareil de votre part : car de paye, aucune pour l'une ni pour l'autre. Quel que soit le vainqueur, il peut venir en Italie. Je vous en avertis donc, et je vous en conjure, r�fl�chissez-y bien; ne me forcez pas, dans mes besoins extr�mes, � ne prendre conseil que de moi seul pour y pourvoir.
L'Espagne cit�rieure, qui n'est point occup�e par l'ennemi, a �t� d'un bout � l'autre d�vast�e par nous ou par Sertorius; j'en excepte les villes maritimes, et encore sont-elles pour nous un surcro�t de charges et de d�penses. La Gaule, l'an pass�, a fourni � l'arm�e de Metellus les vivres et la solde; aujourd'hui, avec sa mauvaise r�colte, elle peut � peine se suffire � elle-m�me. J'ai �puis� non seulement ma fortune personnelle, mais aussi mon cr�dit. Vous seuls me restez : or, si vous ne venez � mon secours, je vous le pr�dis, et ce sera bien malgr� moi, on verra mon arm�e, et avec elle toute la guerre d'Espagne, prendre la route de l'Italie.

Le style mena�ant de cette lettre fit impression sur le s�nat et sur le peuple. Ce fut un bruit g�n�ralement r�pandu que Pomp�e allait revenir, mais que Sertorius arriverait avant lui.
Rien ne servit mieux la demande de Pomp�e que l'ambition personnelle de Lucullus, qui, tremblant d'avoir ce dernier pour comp�titeur � la conduite de la guerre contre Mithridate, lui fit promptement envoyer des secours p�cuniaires. On n'en doit pas moins s'�tonner du ton arrogant qu'avait pris, en �crivant au s�nat, le coll�gue de Metellus; c'�tait plut�t le langage d'un roi que celui d'un citoyen. Bien que Metellus f�t en butte aux m�mes embarras, on ne vit rien de tel de sa part dans sa correspondance avec le s�nat : car, malgr� les travers que nous avons pu relever chez lui, il �tait


CCLIX

Sanctus alia;
Sans reproche sous tout autre rapport;

CCLX.

Sane bonus ea tempestate contra pericula et ambitionem.
Assez vertueux � cette �poque pour �tre exempt d'ambition et des d�marches hasard�es qu'elle inspire.

CCLXI.

Sed Pompeius a prima adolescentia, sermone fautorum, similem fore se credens Alexandro regi, facta consultaque ejus quidem aemulus erat.
Mais Pomp�e, d�s son adolescence, gr�ce aux flatteries de ses partisans, jaloux de ressembler au roi Alexandre, se piquait d'imiter les projets et les actions de ce prince.

En attendant la r�ponse du s�nat, il fit une exp�dition heureuse dans un pays que sa situation au milieu d'�paisses for�ts avait jusqu'alors pr�serv� des fl�aux de la guerre.

CCLXII.

His saltibus occupatis, tum externorum (Termestinorum) agros invasere, frumentique ex inopta gravi satias facta.
Apr�s avoir occup� ces d�fil�s bois�s, les Romains envahirent le pays des Termestins : et l'extr�me disette fit place � l'abondance des grains.

Cependant Sertorius avait re�u, � Dianium, les envoy�s de Mithridate, � la t�te desquels �tait le transfuge romain L. Marius.

CCLXIII.

Eum atque Metrophanem senatus magna industria perquirebat, quum per tot scaphas quas ad ostia cum paucis fidis percunctatum miserant.
Le s�nat le faisait chercher, ainsi que M�trophane, avec le plus grand soin, tandis que, de leur c�t�, ils avaient envoy� � chacun des ports o� ils devaient aborder, des barques mont�es par quelques hommes de confiance, pour prendre des informations.

Sertorius re�ut les ambassadeurs de Mithridate avec la m�me fiert� que s'il e�t �t� consul � Rome, donnant audience en plein s�nat; il envoya au roi un corps de soldats romains, command�s par M. Marius, avec le titre de proconsul. Marius fut re�u avec respect par Mithridate, qui, dans toutes les occasions, lui donnait le premier rang.
Metellus et Pomp�e, depuis leur jonction, n'avaient obtenu d'autres r�sultats que la prise de quelques forts et la ruine de quelques bourgades. Sertorius devait se maintenir � Dianium, � Tarragone et dans quelques autres places jusqu'� sa mort. Quel autre que lui aurait pu tenir si longtemps la fortune en suspens?
Durant le cours de la m�me campagne, �pris de la gloire de donner le Danube pour limites aux conqu�tes romaines, Curion s'engagea dans les d�fil�s de la branche septentrionale des monts Bor�es. La difficult� des chemins allait le faire renoncer � cette entreprise, lorsque

CCLXIV.

Profectus quidam Ligus ad requisita naturae.
Un soldat ligurien, sorti du camp pour un besoin naturel,

CCLXV.

Radicem montis excessit.
S'�leva au-dessus de la base de la montagne,

et d�couvrit, par une �chapp�e de vue qui donnait sur la plaine, un chemin assez facile pour y p�n�trer. De retour au camp, il rendit compte � son tribun l�gionnaire et de ce qu'il avait vu et de l'usage que l'on pouvait faire de sa d�couverte. L'officier s'empresse

CCLXVI.

Duci probare
De faire agr�er au g�n�ral

l'id�e con�ue par le soldat,

CCLXVIII.

Atque eum Curio laudatum, accensumque praemiorum spe, quibuscum  optavisset, ire jubet
Et Curion, apr�s avoir lou� et enflamm� ce soldat par l'espoir des r�compenses, lui donne ordre d'aller avecceux qu'il choisira

pour essayer le passage. La chose r�ussit; l'arm�e p�n�tra par le d�fil�, et les Barbares n'os�rent tenir de toute cette ann�e la campagne.
A son arriv�e devant Chalc�doine, Lucullus, en voyant l'effroyable multitude que commandait Mithridate, s'�tait senti un instant

CCLXVIII.

Dubius consilii
Incertain du parti

qu'il avait � prendre; mais il ne tarda pas � s'apercevoir, dans quelques escarmouches, que cette tourbe d'Asiatiques n'�tait rien moins que redoutable,

CCLXIX.

Dedecores multique terga ab hostibus caedebantur.
Et que, l�ches, incapables de r�sister, ils se laissaient tuer par derri�re.

Aussi, plein de confiance, voulut-il tenter une action d�cisive, mais le ciel sembla s'y opposer,

CCLXX.

Nubes foedavere lumen.
Les nuages obscurcirent le jour.

CCLXXI.

Nam tetra tunc erat et sublima nebula caelum obscurabat.
Car l'horizon �tait alors tout noir, et � une grande hauteur assombrissait le ciel.

Ce ph�nom�ne effraya les deux arm�es, qui se retir�rent sans en venir aux mains. A peine eut-il d�gag� Cotta, il suivit Mithridate.

CCLXXII.

Postquam egressus angustias,
Et apr�s �tre sorti des d�fil�s,

o� l'arm�e de Mithridate aurait pu facilement l'arr�ter,

CCLXXIII.

Ad Cyzicum pervertit firmatus animi.
Il se dirigea vers Cyzique, le coeur plein d'assurance.

Pour faire conna�tre aux assi�g�s son approche, il eut recours � un exp�dient ing�nieux. Un soldat des l�gions Val�riennes, excellent nageur, se fit fort de p�n�trer, par mer, jusque dans Cyzique.

CCLXXIV.

Duos quam maxumos utres levi ta bula; subjecit : qua super omni corpore quietus, invicem tractu pedis quasi gubernaor exsisteret : ea inter molem atque insulam mari vitabundus classem hostium, ad oppidum pervenit.
Il attacha deux outres des plus grosses � une planche d'un bois l�ger, sur laquelle, �tendu de tout son long sans  remuer le corps, il se servait alternativement de chacun de ses pieds comme d'un gouvernail. Ainsi, nageant entre le m�le et l'ile, il �vita la flotte ennemie, et parvint dans la ville.

Grande fut la joie des habitants en voyant l'�missaire de Lucullus ; mais, pour arriver sous les murs de Cyzique, il lui fallait traverser un d�fil� inexpugnable, que le roi faisait soigneusement garder. Ici encore la ruse suppl�e � la force : le proscrit romain Magius, que le roi avait envoy� en Espagne, pr�voyant le d�clin des affaires de Sertorius, d�sirait vivement rentrer en gr�ce aupr�s des Romains. Il �crivit plusieurs lettres au proconsul.

 CCLXXV.

Quarum unam epistolam forte cum servo nacti praedatores Valeriani scorpione in castra misere
Une de ces lettres, que portait un esclave, ayant, de fortune, �t� trouv�e par des maraudeurs Val�riens, ils la  lanc�rent, avec une arbal�te � scorpion, dans le camp

des Romains. Le proconsul promet l'amnistie � Magius; celui-cl engage le roi � laisser les Romains franchir, occuper le d�fil�; il l'assure que les l�gions Val�riennes d�serteraient aussit�t de son c�t�, et que, de la sorte, il aurait bon march� du reste de l'arm�e romaine. Mithridate donne dans le pi�ge : Lucullus s'empresse d'occuper les gorges; les Val�riens restent fid�les, et le roi de Pont n'�tait pas en �tat de les d�loger. Il n'en fut que plus ardent � presser les travaux de si�ge : il fit donner un assaut g�n�ral. Ses soldats mirent beaucoup d'ardeur � l'escalade; mais,

CCLXXXVI.

Quum murum hostium successisset, poenas dederat :
D�s que l'un deus s'approchait du mur des ennemis, son ch�timent ne se faisait pas attendre:

il �tait pr�cipit� du rempart. Les assi�geants de revenir � la charge, apr�s avoir d�pos� la cuirasse et le bouclier pour �tre plus agiles; mais ce soin leur devint funeste : les assi�g�s �taient munis de mati�res br�lantes qui,

CCLXXVII.

ln nuda injecta corpora,
Jet�es sur les corps d�couverts,


oblig�rent bien vite les Asiatiques � fuir. Pas d'effort, pas de sacrifice qui paraisse trop p�nible aux assi�geants. �lectris�s par leur brave commandant, tous jurent � Lysistrate de s'ensevelir sous les ruines de la place plut�t que de se rendre : puis,

CCLXXVIII.

Ut res magis quam verba gererentur, liberos parentesque in muris locaverant.
Pour en donner la preuve par les effets mieux que par les paroles, ils  avaient plac� sur les remparts leurs enfants et les auteurs de leurs jours.

Bient�t Mithridate renouvelle l'assaut par terre et par mer; la redoutable h�l�pole menace les murs de Cyzique : sur ce point se concentrent les principaux efforts des assi�g�s. Eux-m�mes firent de ce c�t� br�che � la muraille, en enlevant le ciment;

CCLXXIX.

Saxaque ingentia, et trabes axe vinctae per pronum incitabantur, axibusque eminebant, in modum ericii militaris. veruta binum pedum. 
Puis de grosses pierres, et des poutres li�es par un axe de fer, �taient  dispos�es en pente, faisant, au moyen de ces axes, saillie en dehors, � l'image de la herse de guerre, et s'appuyant sur des poteaux fix�s en terre.

Cette construction improvis�e amortit l'effort de la machine; mais, tandis que les Cyzicains obtiennent de ce c�t� quelque avantage, quatre soldats des plus hardis, mont�s sur une gal�re,

CCLXXX.

Muras successerant.
Avaient escalad� les murs.

De ce c�t�, le bruit de cette attaque jette les habitants dans le d�sespoir,

CCLXXXI.

At tum maxume, uti solet extremis in rebus, sibi quoque carissumum domi recordari, cunctique omnium oidinum extrema munia sequi.
Et alors, comme il arrive dans les dangers extr�mes, chacun de se rappeler les objets ch�ris qu'il avait laiss�s � la maison; tous ensemble, quel que soit leur rang, s'acquittent des plus humbles offices.

De ce c�t� encore, les assi�geants sont repouss�s; le lendemain, nouvel assaut. D�j� les murailles de la ville, partout �branl�es, semblaient devoir donner acc�s aux assi�geants, lorsqu'une temp�te, qui s'�leva tout � coup, vint d�truire les machines de Mithridate.

CCLXXXII.

Et onere turrium incertis navibus,
Et d'abord, vacillant sous le poids des tours, les vaisseaux

furent bient�t submerg�s. Les cris, la confusion

CCLXXXIII.

lmpediebant jussa nautarum.
Rendaient impossibles les ordres des pilotes.

Plusieurs navires furent engloutis, et presque tous les �quipages p�rirent.
�taxie, ccLxxxly.
D�j� tl n'�tait plus possible de tenir Neque jam sustineri poterat hume
la mer, les vagues s'�levant � une sum aucto mari, et vento gliscenti.
hauteur immense, et les vents se d�
chainanL
ccLxxxv.
Car ceux qui tent�rent de se sauver � la nage, frapp�s � tout moment par tes ferrures des vaisseaux, ou bless�s par leurs compagnons, ou jet�s contre les car�nes par la force des vagues, p�rirent enfin, le corps horriblement mutil�.
Cependant,
Cccxxxvr.
Dans la ville, �pouvante � peu pr�s �gale : on craint vivement que l'inon�dation n'�branle sur ce point les rem-parts nouvellement construits, car le pied des murs y baignait dans les flots, l'agitation de la mer faisant par-tout refluer les �gouts.
D�courag� par tant de revers, accabl� par la disette, Mithri�date leva le si�ge et s'embarqua. On peut juger de la joie des habitants de Cyzique.
CCLIxx vu. CCL(XEVI1.
Aussit�t on e�t vu une foule in- Simul immanis hominum vis ex lq
nombrable d'habitants s'�chapper de eis invasere patentes tum et pacls
toutes les issues, alors que, comme en modo el'fusas, pleine paix, r�pandus au dehors,


ils se livraient aux charmes d'une s�curit� si longtemps inter-rompue. Les lieutenants de Mithridate, ramenant son arm�e par terre, furent atteints par Lucullus, au passage du Rhyn�daque, et mis en d�route avec perte de vingt mille hommes.
CCLxxXVIII.
Tum primum Romanis visi cameli.


D�s ce moment, les fl�aux de la guerre avaient cess� pour cette ville,

FRAGMENTS. 387

GeLI%EIR. CCL%%x12.
Aperte portm, replets arva cultori- Les portes en restent Mettes, et
bus. les champs sont remplis de dlhiva
leurs.
L'entr�e du proconsul dans cette ville fut un triomphe; mais, sans se laisser retenir par les f�tes qui lui �taient offertes, il se mit � poursuivre vivement la flotte royale sur les mers adja�centes. Dans une premi�re action, qui eut lieu pr�s de T�n�dos, il mit hors de combat une escadre de treize vaisseaux ponti�ques; puis, dans une seconde rencontre, � la vue de Lemnos, il eut affaire � toute la flotte royale, mont�e par dix mille hommes de troupes, outre les soldats que Sertorius avait en�voy�s d'Espagne, et qui �taient sous les ordres du transfuge Marius. Ces derniers firent la plus vigoureuse r�sistance, car ils �taient dans une situation o�

ccxc. ccxc.
Nihil socordia claudebat. La l�chet� ne pouvait en rien les mettre � couvert.
Lucullus, voyant que par les moyens ordinaires il ne pou�vait �branler l'ennemi, transforme en quelque sorte cette action navale en un combat de terre. Par ses ordres, les Romains
CC%CT. CCxCI.
Fine inguinum ingrediuutur mare, Entrent dans la mer jusqu'� la cein�ture
et, venant � l'abordage, triomphent de l'ennemi. Marius, fait prisonnier, est tu� par l'ordre de Lucullus. Cependant Mithri�date, cern� dans Nicom�die, trouve moyen de s'�chapper. A la vue des c�tes de Bithynie, il est surpris par une temp�te, qui dura plusieurs jours; le vaisseau qu'il montait faisait eau de toutes parts; il �tait sur le point d'�tre submerg�, lorsque
CCXCII. CCXCII.
Primo incidit forte per noctem in La nuirdh lard, p�cheur, rencontre
-nunculo piscantis, d'une barque
luttant � grand'peine contre les vagues. Mithridate confie sa personne � ce fr�le esquif, et d�barque non loin d'll�racl�e. L� il trouve moyen de surprendre cette ville au moyen de secr�tes intelligences avec Lamachus, qui en �tait gouverneur; or il fut convenu que, d�s la nuit m�me, � la faveur d'une f�te reli
gieuse, et d�s qu'on pourrait

 

 

 

 

 

 

L'Italie �tait alors le th��tre d'une guerre qui mena�a un instant le si�ge de la r�publique. Soixante-treize esclaves, d�tenus � Capoue dans une acad�mie de gladiateurs, brisent leurs armes et se r�fugient sur le mont V�suve : voil� le faible commencement d'un embrasement qui, comme une lave br�lante, remplit l'Italie de sang et de ruines. Les esclaves avaient � leur t�te un homme sup�rieur : c'�tait Spartacus,

CCXCVI
lngens ipse virium atque animi.
Grand par son courage et sa vigueur,

Le pr�teur de la province, Claudius Pulcher, vient avec trois mille hommes les investir sur cette montagne. Les gladiateurs lui �chappant par un stratag�me hardi, et se r�pandent dans la Campanie. L� ils voient leur troupe se grossir d'une foule de montagnards et de brigands du pays . Spartacus appelle tous les esclaves � la libert� . Dans les discours qu'il leur adresse, il insiste surtout sur la mollesse et la tyrannie des ma�tes, qui tirent du travail et des sueurs de leurs esclaves le moyen de vivre au sein du luxe et des volupt�s. De tels hommes sont faciles � vaincre :

CCXCVII
Hi sunt qui secundum pocula et alias res aureas, diis sacrata instrumenta convivia mereantur.
Ce sont ceux qui, profanant des coupes et d'autres vases d'or, instruments consacr�s au culte des dieux, font � table toutes leurs campagnes.

De toutes parts les esclaves accoururent sous ses drapeaux. Bient�t il compte dix mille hommes sous ses ordres, et, pour les �quiper convenablement, il leur prescrit

CCXCVIII
Exuant armis equisque
De d�pouiller de leurs armes et de leurs chevaux

les habitants des campagnes.

CCXCIX
Repente incautos agros invasis
Tout aussit�t, sur ces contr�es sans d�fense on vit fondre

Cette arm�e d'esclaves . La Campanie est le premier th��tre de leurs exc�s . Chacun d'eux,

CCC
Ex insolentia avidus male faciundi
D�autant plus ardent � mal faire que le pouvoir de nuire est nouveau pour lui

se livre, comme � plaisir, � tous les abus de la force. Apr�s avoir saccag� Cora, ils se surpassent encore par les horreurs qu'ils commettent � Nucera, � Noles. A leur entr�e dans cette ville, chacun d'eux courut s'attacher aux objets de sa haine ou de son ressentiment personnel. On fr�mit au tableau de leurs cruaut�s :

CCCI
Nefandum in modum perverso volnere et interdum lacerum corpus semianumum omittentes, alii in tecta jaciebant ignes, multique ex loco servi, quos ingenium socios dabat, abdita a dominis aut ipsos trahehant ex occulto ; neque sanctum aut nefandum quicquam fuit irae barbarorum et servilii ingenio. Quae Spartacus nequiens prohibere multis precibus quo moraret (quum oraret) celeritate praevertere..... nuntios...,
Dans leurs caprices atroces, ils se plaisent � laisser � demi morts les corps d�chir�s des plus cruelles blessures ; on en voyait qui jetaient des feux sur les toits des maisons; nombre d'esclaves de l'endroit m�me, dispos�s par caract�re � s'associer aux fugitifs, arrachaient des lieux les plus secrets les objets cach�s par leurs ma�tres ou leurs ma�tres eux-m�mes. Rien n'est sacr�, rien ne para�t trop criminel � la fureur de ces barbares, � leur naturel d'esclaves Spartacus, ne pouvant emp�cher ces exc�s, malgr� des pri�res r�it�r�es...,

leur fit donner, par quelques affid�s, le faux avis que le pr�teur Varinius Glaber arrivait avec ses troupes. Ce g�n�reux stratag�me sauva Noles d'une enti�re destruction. Ce pr�teur, en effet, n'�tait pas loin : Spartacus voulait, � son approche, abandonner les plaines de la Campanie et se replier en Lucanie, derri�re les montagnes de l'Apennin. Trois mille fugitifs gaulois, ayant pour chef Oenoma�s, voulurent au contraire attaquer Varinius : ils furent d�faits, Oenoma�s resta sur la place. Ses compagnons, �mules de sa valeur, vendirent ch�rement cet avantage aux Romains, et, apr�s l'action, on trouva leurs cadavres

CCCII
Locum nullum, nisi in quo armati institissent
Sur la place m�me o� ils avaient combattu.

Alors le reste des esclaves revint � l'avis de Spartacus, et la retraite commen�a, inqui�t�e par quelques corps de cavalerie qu'avait envoy�s en avant le pr�teur. Spartacus,

CCCIb
Priusquam cum reliquo exercitu adesset Varinius, propere nanctus idoneos ex callibus duces, Picentinis, deinde Eburinis jugis occultus ad Nares Lucanas, atque inde, prima luce, pervenit ad Popili forum ignaris cultoribus. Ac statim fugitivi contra praeceptum ducis rapere ad stuprum virgines, matres; et alii...
Avant que Varinius arriv�t avec le reste de son arm�e, s'�tant sur-le-champ assur� de bons guides � travers les sentiers, d�roba sa marche en s'enfon�ant dans les gorges des Picentins, puis des Eburinins, arriva � Nar�s de Lucanie, et de l�, � la pointe du jour, � Popliforme , dont les habitants ignoraient leur marche. Aussit�t les fugitifs, au m�pris des ordres de leur chef, violent les femmes et les filles, puis d�autres ...

ne songent qu'au meurtre et au pillage. Spartacus surprend Furius, lieutenant de Varius, et lui tue deux mille hommes. Varinius n'en parvint pas moins � resserrer les fugitifs dans une position d�savantageuse,

CCCIc
Deinde fugitivi consumptis iam alimentis, nec suppeditantibus ex propinquo,...tis ... instar et solita militiae vigilias stationesque et alia munia exsequentes, secunda vigilia cuncti egrediunlur, relicto buccinatore in castris et ad vigiliarum speciem procul visenti, erexerant fulta palis retentia cadavera ac signa.

Ensuite les fugitifs ayant consomm� tous leurs vivres, et n�en pouvant tirer du voisinage, . . . sortent tous � la seconde veille, laissant dans leur camp un trompette, et, pour offrir � quiconque e�t regard� de loin l'aspect de sentinelles, ils dress�rent sur des poteaux des corps r�cemment morts et des enseignes.

Spartacus, sorti de ce pas dangereux, s'achemine vers la mer Sup�rieure, o� il esp�rait se m�nager une place de refuge. Cossinius, d�tach� pour s'opposer � ce dessein, vient camper aux bains salants de l'Apulie, entre les rivi�res du Cerbale et de l'Aufide. Les gens du pays tomb�rent � l'improviste sur son camp. En ce moment

CCCIII
Cosinius in proximo fonte lavabatur
Cosinius se baignait dans une fontaine voisine

Il se sauva nu, et fut tu� dans sa fuite. Bient�t les fugitifs attaquent Varinius lui -m�me, non qu'ils fussent tous arm�s en guerre, mais toute chose devenait une arme pour leur fureur : un �pieu, une fourche ou tout autre outil de bois durci au feu, auxquels ils avaient donn�

CCCId
M. Or trequii praeter s r ciem (duritiem) bello necessario (necessariam) haud multo secus quam ferro noceri poterat.
La duret� n�cessaire pour combattre, portait des coups presque aussi dangereux que le sont ceux des armes de guerre .

CCCIe
At Varinius, dum haec aguntur a fugtiivis, aegra parte militum autumni gravitate, neque ex postrema fuga, quum severo edicto juberentur, ullis ad signa redeuntibus, et qui reliqui erant per summa flagitia detrectantibus militiam, quaestorem suum C. Thoranium ex quo praesente vera facillume noscerent. Commiserant (in Urbem miserant) et tamen interim cum volentibus numero quatuor,
Mais, tandis que les fugitifs obtenaient tous ces succ�s, voyant qu�une partie de ses soldats �tait atteinte des maladies qu�am�re l�automne ; que, depuis leur derni�re d�route, aucun ne revenait aux drapeaux, malgr� l'�dit s�v�re qui il avait rendu, et que ceux qui restaient mettaient la plus honteuse l�chet� � se refuser au service, Varinius envoya C. Thoranius, son questeur, � Rome, afin que, par t�moin oculaire, on s�t mieux l'�tat des choses. N�anmoins, en attendant son retour avec quatre cohortes de soldats de bonne volont�,

il alla en avant contre l'ennemi ; mais, ayant re�u quelques renforts, il put �tre ma�tre de la campagne, resserra les fugitifs dans leurs incursions, et leur interdit l�acc�s de la Lucanie.  Spartacus, dans la vue de r�tablir ses communications avec cette province, s'approche du camp romain ; mais il �tait si bien fortifi�, qu'il n'osa rien entreprendre.

CCCIf
Aliquot dies contra morem fiducia augeri nostris coepit et promi lingua. Qua Varinius contra spectatam rem incaute motus novos incognitosque, et aliorum casibus perculsos milites, ducit tamen ad castra fugitivorum.
Quelques jours apr�s, nos soldats, contre leur ordinaire, commencent � sentir cro�tre leur confiance, et � tenir un langage plus assur�. Varinius est entra�n� lui-m�me par cette ardeur inattendue ; il met de c�t� les pr�cautions, puis, des soldats novices, non encore �prouv�s, et tout pr�occup�s des revers de leurs camarades, il les conduit n�anmoins contre le camp des fugitifs.

D�s que les romains aper�oivent de loin ceux-ci rang�s en bon ordre et poussant des cris mena�ants, leur courage s'�branle.

CCCIg
Presso gradu silentes jam, neque tam magnifice sumentes proelium, quam postulaverant.
D�j�, ralentissant le pas et gardant le silence, ils ne se pr�sentent pas aussi superbement au combat qu'ils l'avaient demand�.

Ils attaquent cependant la ligne ennemie ;

CCCIV
Quod ubi frustra tentatum est, socordius ire milites occoepere, non aptis armis, uti in principio, et laxiore agmine.
Mais cette tentative n'ayant pas r�ussi, les soldats commenc�rent � la charge avec plus de mollesse, en ne tenant pas leurs armes serr�es comme ils l'avaient fait d'abord, et en desserrant les rangs.

D'ailleurs, harass�s de s'�tre tenus en haleine depuis le matin, ils �taient si accabl�s par la chaleur.

CCCV
ut sustinere coprora plerique nequeuntes, fessi arma sua quique stantes incumberent.
Que la plupart, pouvant � peine se soutenir, s'appuyaient, fatigu�s et fix�s sur leurs armes.

La d�faite devient g�n�rale : Varinius donne le signal de la retraite et se replie sur la Lucanie, abandonnant aux esclaves toute la pointe de l'Italie jusqu'au d�troit.

FRAGMENTS DU QUATRI�ME LIVRE

A Rome, les consuls avaient eu � pourvoir au soulagement du peuple, dans un moment o� la chert� des bl�s, l'entretient de plusieurs arm�es employ�es � des guerres �trang�res, et la r�volte des fugitifs en Italie, avaient �puis� toutes les ressources du tr�sor et des contribuables. Gellius, l'un d'eux,

CCCXXVIII
Anxius animi atque incertus,
Plein d�anxi�t� et d'incertitude,

ne savait � quel parti s'arr�ter ;

CCCXXIX
At Cn. Lentulus patriciae gentis, collega ejus, cui cognomen Clodiano fuit, per incertum stolidior, an vanior legem de pecunia, quam Sulla emptoribus bonorum remiserat,.exigunda promulgavit.
Mais son coll�gue, Cn. Lentulus,d'une maison patricienne, et qui portait le surnom de Clodianus, promulgua sans qu'on puisse dire s'il se montra plus inconsid�r� qu'incons�quent � ses principes une loi partant qu'on exigerait des acheteurs des biens des proscrits toutes les sommes dont Sylla leur avait fait la remise.

Cette proposition souleva tous les partisans de Sylla.

CCCXXX
Omnes, quibus aetas senecto corpore, animus militaris erat,
Tous ceux qui, malgr� leur �ge, conservaient dans un corps vieilli l'esprit militaire

�taient pr�ts � se soulever et � renouveler la guerre civile ; car, depuis les sanglantes querelles de Sylla et de Marius,

CCCXXXI
Qui quidem mos, uti tabes ; in Urbem conjectus
Dans Rome �tait r�pandue, comme un fl�au contagieux, la manie

de vouloir tout d�cider par violence. Il fallut renoncer � cette ressource dangereuse qu'assur�ment,

CCCXXXII
Consilii aeger
Bien mal conseill�,

Lentulus avait cru devoir mettre en avant.
Spartacus, loin de se laisser �blouir par ses succ�s, s'occupa s�rieusement de discipliner la r�volte dont il �tait le chef. Il promulgua des lois et des statuts tendant � maintenir l'ordre parmi cette foule de gens sans aveu qui l'avaient choisi pour chef. Ces lois n'avaient dans le principe �t� faites que pour la Lucanie, d'o� les fugitifs �taient d'abord sortis en plus grand nombre. Mais, voyant affluer � son camp les esclaves de l'Etrurie et de la Gaule cisalpine, Spartacus �tendit ces r�glements � tous les fugitifs des cit�s gauloises, latines ou �trusques, qui entraient dans la ligue. Ainsi

CCCXXXIII
Citra Padum omnibus lex Lucania fratra facit.
la loi Lucanienne devint commune � tous les fugitifs, m�me en de�� du P�.

Pour mettre un frein � la cupidit� des esclaves, il �tablit que, dans son camp,

CCCXXXIV
Neu quis miles, neve pro milite,
Aucun soldat, ni tout autre en faisant les fonctions,

n�introduirait aucune mati�re d'or ou d'argent.
Les lev�es faites, Gellius et Lentulus marchent contre les fugitifs.  Spartacus, fid�le � son syst�me de circonspection, ne songe qu'� op�rer sa retraite vers les Alpes ; mais le chef des Gaulois, Crixus,

CCCXXXV
Impotens et nimius animi est ;
Se laisse enfler par le succ�s, au point de ne se poss�der plus ;

il ne r�ve que la conqu�te de Rome. Ses compatriotes partageaient sa pr�somption. Ainsi les fugitifs

CCCXXXVI
Dissidere inter se coepere, neque in medium consultare.
Commenc�rent � ne plus �tre d'accord entre eux, et � ne plus tenir conseil en commun.

Mais la division devint plus marqu�e parmi eux au moment o� la pr�sence de deux consuls arm�s contre eux aurait d� les engager � l'union.

CCCIh
Atque illi certamini conscii, inter se juxta seditionem erant. Crixo et gentis ejusdem Gallis atque Germanis obviam ire et ultro obferre pugnam cupientibus ; contra Spartacum
Ainsi ces fugitifs. tous d'accord pour soutenir la lutte, �taient sur le point d'en venir entre eux � une s�dition. Crixus et ceux de sa nation, Gaulois et Germains, s'obstin�rent � aller au devant de l'ennemi, et � lui offrir la bataille ; Spartacus, au contraire,

de continuer son chemin pour ex�cuter son plan. Gellius cependant s'�tait avanc� le long de l'Apennin. Crixus, � la t�te de ses vingt mille Germains ou Gaulois, marcha au-devant de lui par la Lucanie et l'Apulie, et le joignit sur le territoire des Samnites. L� on en vint aux mains. Dans cette circonstance, la valeur imp�tueuse des Gaulois leur procura un avantage dont ils ne surent pas profiter. Ils avaient repouss� les Romains, qui abandonn�rent leur camp. Les Barbares y entr�rent, mais n'os�rent pas le piller enti�rement pendant la nuit.

CCCXXXVII
Revorsi postero die, multa qui properantes deseruerant in castris, nacti quum se ibi cibo, vinoque laeti invitarent,
Le retour au camp le lendemain , ils trouv�rent quantit� de choses que, dans leur pr�cipitation, les Romains avaient abandonn�es ; et, pendant que, joyeux, ils s'excitaient � boire et � manger,

ils furent surpris par les l�gions aux ordres du pr�teur Arrius, qui les mit en compl�te d�route. Crixus fut tu� comme il t�chait, � force de valeur, de r�parer sa faute. Cependant Spartacus dirigeait sa marche par la branche des Apennins qui longe l'�trurie. Mais il trouva le consul Lentulus dispos� � lui disputer le passage. Il r�solut de le forcer avant qu'il e�t op�r� sa jonction avec Gellius.

CCCXXXVIII
Igitur legiones pridie in monte positas arcessivit ;
Il fit donc harceler les l�gions, qui depuis la veille �taient post�es sur la montagne ;

mais Lentulus,

CCCXXXIX
Collegam minorem, et sui cultorem exspectans,
Attendant soi coll�gue, moins �g� que lui, et qui lui t�moignait beaucoup d'�gards,

n'accepta point la bataille. Cependant Gellius approchait. Au moyen d'abatis et de tranch�es pratiqu�es dans les d�fil�s, Spartacus arr�te la marche de cet adversaire comme il �tait d�j� presque � la vue des l�gions de Lentulus, puis il attaqua ce dernier avec imp�tuosit�.

CCCXL
Et eodem tempore Lentulus duplici acie locum editum multo sanguine suorum defensus , postquam ex sarcinis paludamenta adstari et delectae cohortes intelligi coepere,
En m�me temps Lentulus , qui, en pr�sentant un double front, avait su d�fendre sa position sur une �l�vation, non sans perdre beaucoup de monde, d�s qu'il aper�ut la casaque de pourpre sur les bagages de son coll�gue, et que les cohortes d'�lite, commen�ant � se montrer � ses yeux,

d�bouchaient de la vall�e voisine, n'h�sita pas � quitter les hauteurs pour acc�l�rer sa jonction avec son coll�gue ; mais il ne fit que m�nager � Spartacus une victoire plus facile et plus compl�te, � la suite de laquelle, afin d'honorer les m�nes de Crixus, il for�a

CCCXLI
Oppobrii gratia,
Pour les couvrir d�opprobre

quatre cents prisonniers romains de combattre comme gladiateurs autour du b�cher de ce chef. Malgr� ce sucr�s, Spartacus, toujours �loign� de toute pr�somption,

CCCXLII
Avidior modo properandi factus
N�en fut que plus empress� � h�ter sa marche

vers les Alpes. Arriv� sur le P�, un d�bordement subit arr�ta son mouvement vers les Alpes, et le for�a de se replier sur Rome. Le pr�teur Arrius, ayant recueilli les d�bris des l�gions dans le Pic�num, vient au-devant des fugitifs : il leur livre bataille, il est vaincu ; et les Romains, dans une d�route compl�te,

CCCXLIII
Divorsa, uti solet rebus perditis, capessunt. Namque alii fiducia gnaritans locorum occultam fugam, alii globis eruptionem textavere
Prennent, comme il arrive en un pareil d�sastre, la fuite en diverses directions ; les uns, se fiant � la connaissance des lieux, essayent � se d�rober par la fuite ; les autres , se ralliant en petits corps, forcent les passages.

D'autres, ayant sur leur chemin

CCCXLIV
Rursus jumenta nancti ad oppidum ire conntendunt.
Trouv� des b�tes de somme, se h�tent de se r�fugier dans la ville voisine.

Ce d�sastre jette la consternation dans Rome. La foule des citoyens, les femmes, les enfants �perdus.

CCCXLV
Genua Patrum advolvuntur,
Se jettent aux genoux des s�nateurs,

pour les conjurer de d�tourner le danger qui menace la ville.  Crassus, alors pr�teur, se pr�sente : il s'offre � marcher contre les fugitifs . Sa confiance inspire quelque r�solution aux bons citoyens ; ils viennent en grand nombre et s'enr�lent sous ses ordres. Ayant pris

CCCXLVI
parmi eux tous les v�t�rans et centurions
Ab his omnes evocatos et centuriones

retir�s du service, il en forme le noyau de ses nouvelles lev�es. Il eut avis aussi que les villes latines assemblaient une troupe

CCCXLVII
Qui en peu de jours se trouverait r�unie sous les armes.
Quae cis paucos dies juncta in armis foret.

A peine sorti de Rome, il envoya en avant Mummius, son lieutenant, avec ordre de recueillir les d�bris de l'arm�e d'Arrius, et d'�viter surtout une action avec Spartacus. Mummius n'ob�it pas : il fut vaincu ; et Crassus, apr�s avoir recueilli les fuyards, s�vit contre les troupes de Mummius, qui avaient montr� de la l�chet�. Il fait d�cimer les cohortes,

CCCXLVIII
Sorte ductos fusti necat.
Et p�rir sous le b�ton ceux que le sort a d�sign�s.

CCCXLIX
Dein, lenita jam ira, postero die liberalibus verbis permulcti sunt.
Ensuite, sa col�re �tant apais�e, il r�conforta le lendemain ses l�gionnaires par des paroles encourageantes.

Fid�le au plan qu'il avait prescrit � Mummius, apr�s s'�tre empar� des d�fil�s de l'Apennin, il se contente d'observer la marche de Spartacus, le harcelant quelquefois, et ne s'arr�tant jamais

CCCL
Ex parte cohortum praecipere instructa, et stationes locatae pro castris,
Sans tirer de chaque cohorte les soldats les mieux dress�s, qu'il portait en gardes avanc�es au-devant de son camp.

Spartacus reconnut qu'il avait un adversaire digne de lui, et il reprit le chemin de la Lucanie, suivi d'assez pr�s par l'arm�e romaine. Il voulait regagner son ancienne retraite dans l'Abruzze, avec l'espoir de s'y maintenir en prenant position sur l�Apennin. De ce c�t�,

CCCLI
Omnis Italia coacta in angustias scinditur in duo promontoria bruttium et salentinum.
Toute l'Italie, resserr�e par un d� Croit, se termine coup�e par deus promontoires, celui du Buttium et celui des Salentins.

Il se flattait, � tout �v�nement,

CCCLII
Serum bellum in angusstiis futurum.
Que dans des d�fil�s la guerre pourrait se prolonger.

Spartacus comptait, en outre, passer en Sicile sur les vaisseaux des pirates, et transporter le th��tre de la guerre dans cette �le o� deux fois les esclaves en r�volte avaient os� faire t�te aux Romains. Serr�s de pr�s par l'arm�e de Crassus, les fugitifs

CCCLIII
In silva Sila fugerunt.
Se r�fugi�rent dans la for�t Sila.

Alors Spartacus entra en march� avec les pirates, pour qu'ils lui fournissent des b�timents de passage ; mais ceux-ci, apr�s avoir re�u l'argent, repartirent. Crassus, pour enfermer Spartacus dans la pointe m�ridionale de l'Italie, fit creuser un foss� d�une mer � l'autre. D�s que ce

CCCLIV
Labos,
Travail,

qui employa plusieurs

CCCLV

Luces,
Journ�es

fut achev�, les fugitifs se virent

CCCLVI
Clausi lateribus, altis pedem
Enferm�s de tous cot�s par un retranchement de [quinze] pieds

de profondeur sur autant de large ; nul moyen de s'�chapper.  Spartacus songe alors � passer le d�troit sur des radeaux ; mais l'entreprise �tait impossible dans cette mer resserr�e. C'est ici le lieu de parler de la situation relative de la Sicile et de l'Italie. A ce sujet, les traditions varient, et la tradition

CCCLVII
In quis longissimo aevo plura de bonis falsa in deterius composuit.
A parmi ces r�cits, gr�ce � l'�loignement des temps, rendu encore plus absurdes plusieurs fables tir�es

d'un fond de v�rit�.

CCCLVIII
Otaliam conjunctam Siciliae constat fuisse; et, dum esset una tellus, medium spatium, aut per humilitatem obrutum est aquis, aut propter angustiam scissum,

II est certain que l'Italie fut jointe � la Sicile ; et, lorsqu'elle ne formait qui un seul continent, l'isthme qui les unissait s'est trouv� ou submerg� par les eaux, � cause de son peu d'�l�vation, ou coup� par elles, � cause de son peu d'�tendue,

CCCLIX
Atque hiavit humus vasta et profunda
Et le sol s'entr�ouvrit � une grande profondeur,

qui fut aussit�t combl�e par les flots de la mer.

CCCLX
Inde Rhegium nominatum.
De l� ce lieu a �t� nomm� Rhegium.

CCCLXI
Ut autem curvum sit, facit natura mollioris Italiae, in quam asperitas et altitudo Siciliae aestum relidit ;
Ce qui arrondit ce d�troit, c'est le gisement du sol de l'Italie, qui est plus bas, et la hauteur du sol de la Sicile, qui rejette sur cette contr�e l'action des vagues,

car, � vrai dire, le terrain

CCCLXII
Italia plana et mollis,
De l'Italie est peu �lev�, et doux � gravir,

� l'exception des d�pendances de la cha�ne de l'Apennin. On pr�tend que, pour garantir la Sicile des d�bordements auxquels elle se trouvait expos�e, ses habitants construisirent, � force de bras, une digue tr�s-�lev�e. C'est aujourd'hui

CCCLXIII
Pelorum , promontorium Siciliae, respiciens Aqu�lonem, dictum a gubernatore Annibalis illic sepulto, qui fuerat occisus per regis ignorantiam, quum se ejus dolo crederet esse dereptum, veniens de Petilia
Le cap P�lore, situ� dans la partie septentrionale de la Sicile, ainsi appel� du nom d'un pilote d'Annibal, qui y fut inhum�. Il fut victime de l'ignorance de son chef, qui, � son retour de Petilia, croyait avoir �t� �gar� par la trahison de ce pilote

dans ces parages qui lui �taient inconnus,

CCCLXIV
Ad Siciliam vergens faucibus non amplius patet millibus V et XXX.
Le d�troit qui forme courbure le long de la Sicile n�a pas plus de trente-cinq milles de long.

CCCLXV

Est autem arctissimum trium millium spatio Siciliam ab Italia dividens, fabulosis infame monstris , quibus hinc et inde Scylla et Charybdis ostenditur. Scyllam accolae saxum in mari imminens appellant, simile celebratae formae procul visentibus. Unde et monstruosam speciem fabulaa illi dederunt, quasi formam hominis capitibus succinctam caninis, qui collisi ibi fluctus latratus videntur exprimere.
Dans sa moindre largeur, il s�pare la Sicile de l'Italie sur un espace de trois mille pas. II est fameux par ces monstres fabuleux, Charybde d'un c�t�, Scylla de l'autre, qui se montrent au navigateur. Les habitants appellent Scylla un rocher qui s'�l�ve au-dessus de la mer, et qui, de loin, offre � l'oeil quelque apparence de la forme qu'on lui a tant attribu�e : voil� pourquoi la Fable lui a donn� l'aspect d'un monstre � forme humaine, entour� de t�tes de chiens, parce que les flots, qui se brisent contre cet �cueil, font un bruit qui ressemble � des aboiements.

CCCLXVI

Charybdis, mare vorticosum,
autour de Charybde la mer forme un gouffre,

car elle engloutit tout ce qui s'en approche ; ce qui a donn� lieu � la fable d'une femme vorace qui, pour avoir enlev� les boeufs d'Hercule, fut d'un coup de foudre pr�cipit�e dans la mer. Les courants que forment Charybde,

CCCLXVII

Quod forte illata naufragia sorbens gurgitibus occultis, millia sexaginta tauromenitana ad litora trahit,
Absorbant par des gouffres cach�s les objets naufrag�s que des accidents y am�nent, vont les poster � soixante milles de l�, aux ravages de Tauromenium,

CCCLXVIII

Ubi se laniata navigia fundo emergunt.
O� les vaisseaux, mis en pi�ces, ressortent du fond des eaux.

Traverser un pareil d�troit sur des radeaux et de faibles embarcations �tait impossible. Les fugitifs revinrent donc dans la for�t Sila, r�solus de forcer, les armes � la main, le foss� creus� par Crassus ;

CCCLXIX

Sin vis obsistat, fer o quam fame aequius perituros.
Car, si les efforts de l'ennemi y mettaient obstacle, encore valait-il mieux p�rir par le fer que par la faim.

Ce coup d�sesp�r� r�ussit ; les fugitifs franchirent la barri�re. Le dessein de Spartacus �tait de gagner Brindes et de faire une nouvelle tentative pour sortir d'Italie par mer ; mais les Gaulois, toujours dispos�s � la r�volte, firent de nouveau bande � part, et all�rent camper sur les marais salans de Lucanie. Crassus marche aussit�t au-devant d'eux, les attaque, les bat ; et il en aurait fait un grand carnage, si Spartacus, qui survint, n'eut donn� � ses ingrats compagnons le temps de se rallier et de se retrancher sur le mont Calamarque. Dans une seconde journ�e, un d�tachement romain, aux ordres de Pontinius et de Marcius Rufus, lieutenants de Crassus, �tait au moment de s"emparer, � la faveur de l'obscurit�, d'une �minence qui dominait le camp gaulois :

CCCLXX

Quum interim, lumine etiam tum incerto, duae Galliae mulieres conventuum vitantis, ad menstrua solvenda,montem ascendunt
Lorsque, sur l'entrefaite, le jour commen�ant � peine � poindre, deux femmes gauloises, qui, pour passer leur �poque, �taient au moment de se s�questrer de la soci�t�, gravirent la hauteur

d'un autre c�t�. Elles d�couvrirent la marche du d�tachement, et donn�rent l'alarme au camp. Les Gaulois, avertis, re�urent si bien ceux qui comptaient les surprendre, qu'ils auraient remport� � leur tour la victoire, si Crassus n'�tait survenu avec le gros de l'arm�e. Il choisit, pour les attaquer, un bas-fond humide o� l'avantage du terrain �tait pour lui

CCCLXXI

Simul eos et cunctos jam inclinatos laxitate loci, plures cohortes, atque omnes, ut in secunda re, pariter acre invadunt.
Alors, comme ils �taient tous et chacun en d�sordre, � cause de la difficult� de se tenir sur leurs pieds dans ce terrain glissant, ils virent tomber sur eux les premi�res cohortes, puis le reste de l'arm�e de Crassus, avec cette ardeur qui ne manque jamais au soldat quand il est s�r de l'avantage.

Les Gaulois furent repouss�s et perdirent dix mille hommes. Dans une seconde action, qui eut lieu le soir m�me, Crassus remporta une seconde victoire sur les fugitifs ; six mille des leurs rest�rent encore sur le champ de bataille. Les Romains firent neuf cents prisonniers, et recouvr�rent cinq aigles romaines, vingt-six drapeaux et cinq faisceaux arm�s. de haches. Toutefois, � Rome, la consternation �tait extr�me, et le peuple demandait � grands cris le rappel de Pomp�e. Cet heureux g�n�ral, apr�s avoir d�truit ou ralli� � ses drapeaux les arm�es ennemies, n'avait plus qu'� faire rentrer dans l'ob�issance les villes jusqu'alors demeur�es fid�les au parti de Sertorius. Calagurris seule opposa une r�sistance invincible. Les habitants, plut�t que de se rendre, eurent le courage de manger les corps de leurs femmes et de leurs enfants morts de faim ;

CCCLXXII

Parte consumta, reliqua cadaverum ad diuturnitatem usus sallerent.
Et, apr�s avoir consomm� une partie des cadavres, ils sal�rent le reste, afin de le conserver pour cet usage.

La ville finit par �tre prise d'assaut, d�truite, et les habitants pass�s au fil de l'�p�e. Les romains, en entrant dans la place, trouv�rent

CCCLXXIII

Reliqua cadavera salita.
Le reste des cadavres en salaison.

La ruine de Calagurris entra�na la fin de la guerre en Espagne. Metellus alors sortit de la P�ninsule et

CCCLXXIV

Exercitum dimisit, ut primum Alpes digressus est.
Licencia son arm�e, d�s qu'il e�t pass� les Alpes.

Toujours �pris de son importance,

CCCLXXV

Pompeius, devictis Hispanis, tropaea in Pyrenaeis jugis constituit.
Pomp�e �leva sur les monts Pyr�n�es des troph�es, monument de ses victoires sur les Espagnols.

C'est � cela qu'il employa ses troupes ; accoutum� qu'il �tait � braver les lois, il n'eut garde de les licencier. Spartacus cependant s'�tait r�fugi� sur le mont Cliban, pr�s de P�t�lie. Crassus d�tache contre lui Tremellius Scrofa, son questeur, et Quinctius, son lieutenant ; ils sont d�faits, et, cette victoire inspirant aux fugitifs une confiance funeste, ils forcent leur capitaine � les conduire en Lucanie. C'�tait aller au-devant des d�sirs de Crassus, qui voulait vaincre avant l'arriv�e de Pomp�e. Le r�sultat d'une derni�re bataille, que Spartacus aurait voulu �viter, fut d�cisif : il y perd la vie, et sa mort devient la fin de la guerre ; mais dans cette action les fugitifs ont bien fait leur devoir, et aucun d'eux

CCCLXXVI

Haud impigre neque multas occiditur
Ne p�rit l�chement et sans vengeance

Apr�s le combat, Crassus poursuvit les fugitifs jusqu'� ce qu'ils fussent d�truits . On leur donna la chasse comme � des b�tes fauves. De retour � Rome, il re�ut l'honneur de l'ovation : on ne crut pas devoir r�compenser par le grand triomphe le vainqueur dans une guerre servile. Cependant

CCCLXXVII

Unus constitit in agro lucano, gnarus loci, nomine Publipor.
Un seul chef des r�volt�s se maintint dans la Lucanie, gr�ce � la connaissance des lieux ; il se nommait Publipor.

Pr�s de cinq mille esclaves se ralli�rent autour de lui. D�j� il avait fait quelques progr�s, lorsqu'un malheureux hasard le fit tomber dans l'arm�e de Pomp�e, qui revenait d'Espagne. En une seule action, la troupe de Publipor fut d�truite, et Pomp�e ne craignit pas de mettre ce facile avantage au-dessus des succ�s bien autrement r�els de Crassus.
Ainsi se termina cette guerre honteuse pour Rome, bien qu'en cette occasion elle f�t parvenue � vaincre des ennemis dont la valeur personnelle est au-dessus de toute comparaison.
Dans d'autres circonstances, elle avait vaincu facilement de grandes nations pourvues de tous les moyens d'attaque et de d�fense : ici ce sont des ennemis qui d'esclaves se sont faits hommes, et � qui la plus indomptable fureur fournit des armes.

CCCLXXVIII.

Hi locorum pergnari, etsoliti nectere ea viminibus vasa agrestia, ibi, tum quum inopia scutorum fuerat, ad eam artem se quisque in formam parmae equestris armabat.
Parfaitement au fait des localit�s, et habitu�s � recouvrir d'osier des vases agrestes, gr�ce � cette industrie, chacun d'eux put s'armer d' un bouclier de forme semblable � ceux de la cavalerie.

Ils recouvrirent l'osier avec le cuir des bestiaux qu'ils avaient enlev�s dans la campagne,

CCCLXXIX
De pecore coria recens detracta quasi glutino adolescebant.
Et ces cuirs, r�cemment �corch�s, s�y appliquaient sur-le-champ, comme si on les e�t coll�s.

 

 

 

 

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