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VAL�RE MAXIME

 

ACTIONS ET PAROLES M�MORABLES

 

LIVRE SIXI�ME

 

livre V            livre VII

 

 


 

CHAPITRE PREMIER

De la pudeur.

EXEMPLES ROMAINS

O toi, le plus puissant soutien des hommes et des femmes, � pudeur, o� faut-il que je t'adresse ma pri�re ? Tu habites les foyers de Vesta qu'un culte antique a consacr�s, tu reposes sur les coussins r�serv�s � Junon qu'on adore au Capitole ; g�nie tut�laire du palais des C�sars, tu ne cesses de r�sider dans cette auguste demeure pr�s de la sainte couche nuptiale de la famille Julia, tu prot�ges l'enfance et les charmes qui la distinguent ; ta puissance respect�e conserve � la jeunesse toute sa puret� et tout son �clat ; et c'est parce qu'elles sont sous ta garde que les m�res de famille sont honor�es. Viens donc et reconnais ici des actes que tu as inspir�s.
1. En t�te des exemples de pudeur pris parmi les Romains se pr�sente Lucr�ce, dont l'�me virile fut par une ironie du sort, unie � un corps de femme. Apr�s avoir subi la violence de Sex. Tarquin, fils du roi Tarquin le Superbe, elle se plaignit avec v�h�mence, au milieu de ses proches assembl�s, de l'outrage qu'elle venait de recevoir et elle se frappa d'un poignard qu'elle avait secr�tement apport� sous sa robe. Sa mort h�ro�que fournit au peuple romain l'occasion de substituer le pouvoir consulaire � l'autorit� royale. (An de R. 211.)
2. Ainsi Lucr�ce ne put, apr�s une telle injure, supporter la vie. Virginius, pl�b�ien par la naissance, mais patricien par les sentiments, pour ne pas laisser sur sa famille la souillure du d�shonneur, n'h�sita pas � sacrifier son propre sang. Voyant que le d�cemvir Appius Claudius, fort de toute la puissance que lui donnait sa dignit�, cherchait par tous les moyens � d�shonorer sa fille, il amena celle-ci sur le forum et la tua : il aima mieux se faire le meurtrier de sa fille encore pure que de rester le p�re d'une fille d�shonor�e. (An de R. 304.)
3. Il y eut la m�me force de caract�re chez le chevalier romain Pontius Aufidianus. Inform� que le gouverneur de ses enfants avait livr� l'honneur de sa fille � Fannius Saturninus, il ne se contenta pas de punir du dernier supplice l'esclave criminel, il fit p�rir encore sa fille. Ainsi, pour n'avoir pas � c�l�brer un mariage d�shonorant, il fit des fun�railles pr�matur�es.
4. Et P. Maenius, quel s�v�re gardien de la pudeur ! Il punit de mort un de ses affranchis qu'il aimait pourtant beaucoup, ayant eu connaissance qu'il avait donn� un baiser � sa fille d�j� nubile; on pouvait croire cependant que cette faute avait pour cause moins une passion coupable qu'une simple erreur. Mais il jugea qu'il importait d'imprimer, par la rigueur du ch�timent, dans le coeur encore tendre de sa fille les principes de la pudeur : par une punition si s�v�re il lui apprit � conserver purs et intacts pour un �poux, je ne dis pas seulement sa virginit�, mais m�me ses baisers.
5. Q. Fabius Maximus Servilianus qui couronna par l'aust�re fonction de censeur l'exercice de charges glorieusement remplies, ch�tia son fils suspect de moeurs impures et, apr�s l'avoir puni, il se punit lui-m�me en se d�robant par une retraite volontaire aux regards de ses concitoyens. (An de R. 627.)
6. Je trouverais ce censeur trop s�v�re, si je ne voyais P. Atilius Philiscus qui avait du prostituer son enfance au profit d'un ma�tre, montrer ensuite comme p�re tant de rigueur : il tua en effet sa fille pour s'�tre souill�e par un commerce criminel. En quelle v�n�ration faut-il donc penser que fut la pudeur dans une r�publique o� nous voyons m�me des gens qui avaient trafiqu� de la d�bauche se faire avec tant de s�v�rit� les gardiens de cette vertu ?
7. Voici un exemple qui rappelle � la fois un nom c�l�bre et une action m�morable. M. Claudius Marcellus, �tant �dile curule, cita devant le peuple C. Scantinius Capitolinus, l'un des tribuns du peuple, pour avoir sollicit� son fils � une infamie. Vainement le tribun soutint qu'on ne pouvait le forcer � compara�tre, sa dignit� le rendant inviolable, et, bien qu'� cette fin il fit appel � la protection des autres tribuns, le coll�ge des tribuns refusa unanimement d'arr�ter par son intercession des poursuites engag�es pour attentat aux moeurs. Ainsi Scantinius fut accus� et condamn� sur le seul t�moignage de celui qu'il avait t�ch� de corrompre. On sait que le jeune homme amen� � la tribune y demeura avec obstination les yeux fix�s sur la terre, sans rien dire, et que rien ne le servit mieux que ce silence pudique pour tirer vengeance du coupable. (An de R. 527.)
8. M�tellus C�ler se montra aussi ardent � punir une intention honteuse, en assignant Cn. Sergius Silus devant le peuple pour avoir offert de l'argent � une m�re de famille et en le faisant condamner sur cette seule accusation. Car ce qui fut alors soumis aux juges, ce n'est pas l'acte, mais l'intention, et le seul d�sir de la faute fit plus pour la condamnation de l'accus� que ne fit pour son excuse le fait de ne l'avoir pas commise.
9. Voil� un trait de s�v�rit� de l'assembl�e du peuple ; en voici un du s�nat. T. V�turius, fils de ce V�turius qui, pendant son consulat, avait �t� livr� aux Samnites pour avoir fait avec eux un trait� d�shonorant, s'�tait vu r�duit, tr�s jeune encore, par les malheurs et les �normes dettes de sa famille, � s'asservir � P. Plotius. Maltrait� par ce ma�tre et battu de verges comme un esclave pour avoir repouss� ses tentatives criminelles, il porta plainte aupr�s des consuls. Sur leur rapport le s�nat donna ordre de mettre Plotius en prison : il voulut que l'honneur d'un Romain, en quelque position qu'il se trouv�t, f�t � l'abri de toute atteinte. (An de R. 427.)
10. Est-il �tonnant que telle ait �t� la d�cision unanime du s�nat ? C. Pescennius, l'un des triumvirs charg�s du criminel, agit de m�me � l'�gard du v�t�ran C. Cornelius qui avait servi avec la plus grande bravoure et � qui sa valeur avait quatre fois m�rit� de ses g�n�raux le grade de centurion primipile : le triumvir le conduisit n�anmoins dans la prison publique pour avoir entretenu un commerce honteux avec un jeune homme de condition libre. Corn�lius invoqua le secours des tribuns. Sans nier l'acte immoral qu'on lui reprochait, il se d�clarait pr�t a prouver que le jeune homme avait fait publiquement et ouvertement le m�tier de se prostituer. Les tribuns lui refus�rent leur intercession. Aussi Corn�lius fut-il r�duit � mourir en prison. Les tribuns ne pens�rent pas que la r�publique d�t reconna�tre � de braves guerriers, pour prix des p�rils qu'ils couraient loin d'elle, le droit � toutes les volupt�s qu'offrait la ville.
11. Apr�s le ch�timent de cet impudique centurion, voici la fin �galement ignominieuse de M. Laetorius Mergus, tribun de l�gion, que Cominius, tribun du peuple, cita devant les comices comme pr�venu d'avoir propos� une turpitude � son aide de camp. Laetorius ne put pas supporter le remords de sa faute : avant le jour du jugement, il se punit lui-m�me par la fuite et m�me par la mort. Il avait �puis� tous les moyens de se punir que la nature lui donnait : n�anmoins, quoique mort, il fut encore condamn� par les suffrages de tout le peuple comme coupable d'impudicit�. Les enseignes militaires, les aigles sacr�es et l'aust�re discipline des camps, cette force si puissante pour la conservation de l'empire romain, le poursuivirent jusqu'aux enfers, pour avoir tent� de porter atteinte � cette puret� des moeurs dont il aurait d� donner l'exemple. (Vers 436.)
12. C'est ce sentiment qui animait C. Marius, alors � la t�te de l'arm�e romaine, lorsqu'il d�clara que C. Lusius, fils de sa soeur et tribun de l�gion, avait �t� l�gitimement mis � mort par C. Plotius, pour avoir os� lui faire une proposition inf�me. (An de R. 649.)
13. Mais �num�rons aussi rapidement ceux qui pour venger la pudeur outrag�e n'ont �cout� que leur indignation sans recourir aux moyens l�gaux. Sempronius Musca fit mourir sous le fouet C. Gellius qu'il avait surpris en adult�re ; C. Memmius assomma � coups de poings L. Octavius, pris aussi en flagrant d�lit ; d'autres, surpris dans le m�me crime, comme Carbon Atti�nus par Vibi�nus, Pontius par P. C�rennius, subirent la castration. Celui qui prit sur le fait Cn. Furius Brocchus le livra aux outrages de ses esclaves. Tous ces hommes offenses suivirent l'impulsion de leur col�re et on ne leur en fit pas un crime.

EXEMPLES �TRANGERS

1. A ces exemples de chez nous ajoutons des exemples �trangers. Une femme grecque, nomm�e Hippo, prise par un vaisseau ennemi, se pr�cipita dans la mer pour sauver son honneur au prix de sa vie. Son corps, pouss� par les flots sur la c�te d'Erythris, y fut inhum� au bord de la mer dans un tombeau que l'on voit encore aujourd'hui. Le souvenir glorieux de sa chastet�, transmis � la m�moire des sicles, n'a cess� de grandir de jour en jour, tant la Gr�ce a exalt� sa vertu par des louanges !
2. Dans ce cas la pudeur a eu une r�action violente ; dans le suivant elle a agi avec prudence. Lorsque l'arm�e et les ressources des Gallo-Grecs eurent �t� en partie d�truites, en partie prises sur le mont Olympe par le consul Cn. Manlius, l'�pouse de leur roi Orgiagon, femme d'une merveilleuse beaut�, fut forc�e de subir la violence d'un centurion � la garde duquel elle avait �t� confi�e. Mais, lorsqu'on fut arriv� � l'endroit o� le centurion avait fait dire � la famille de la prisonni�re d'apporter sa ran�on, et que, l'attention et les regards fix�s sur le m�tal qui la repr�sentait, il s'occupait de le peser, elle commanda aux Gallo-Grecs, dans la langue de sa nation, de tuer cet officier. Ils le tu�rent en lui tranchant la t�te. Puis, cette t�te � la main, elle vint trouver son �poux, et, la jetant � ses pieds, lui fit le r�cit de son outrage et de sa vengeance. Que dire de cette femme, sinon que l'ennemi ne se rendit ma�tre que de son corps ? On ne put ni vaincre sa volont� ni lui ravir l'honneur. (An de R. 561.)
3. Les femmes des Teutons demand�rent � Marius apr�s sa victoire d'�tre attribu�es aux Vestales, en l'assurant qu'elles vivraient comme elles dans la chastet�. N'ayant pu obtenir cette faveur, elles se pendirent la nuit suivante. Les cieux ont bien fait de ne point donner cette �nergie � leurs maris sur le champ de bataille. Car si les Teutons avaient voulu imiter le courage de leurs femmes, ils auraient fait de notre victoire un succ�s douteux.

CHAPITRE II

De la libert� dans les actions et les paroles.

EXEMPLES ROMAINS

La libert� d'une �me ardente qui se manifeste autant par les paroles que par les actions n'est pas sans doute un mouvement que je veuille exciter, mais, s'il na�t de lui-m�me, je ne saurais le r�primer. Situ�e entre la vertu et le vice, tant qu'elle se contient dans des limites raisonnables, elle est digne d'�loge ; mais, si elle va au del�, elle ne m�rite que le bl�me. Aussi flatte-t-elle les oreilles de la foule plus qu'elle ne pla�t � l'esprit du sage. Car c'est plus souvent � l'indulgence d'autrui qu'� sa propre circonspection qu'elle doit son salut. Mais comme notre sujet est la description de la vie humaine sous ses diff�rents aspects, rappelons, pour tenir notre promesse, des exemples de cette libert�, sans d'ailleurs en surfaire la valeur.
1. Apr�s la prise de Priverne et l'ex�cution de ceux qui avaient pouss� cette ville � la r�volte, le s�nat, soulev� d indignation, d�lib�rait sur le parti � prendre au sujet du reste des Privernates. Dans cette situation critique il �tait douteux qu'ils eussent la vie sauve, leur sort d�pendant d'un ennemi � la fois vainqueur et irrit�. Mais, bien qu'ils ne vissent plus d'autre ressource que les supplications, ils ne purent oublier qu'ils �taient de naissance libre et de sang italien. Dans l'assembl�e du s�nat on demanda � leur chef quelle peine ils croyaient avoir m�rit�e : � Celle, r�pondit-il, que m�ritent les peuples qui s'estiment dignes de la libert�. � Par ce propos il avait pour ainsi dire rouvert les hostilit�s et allum� la col�re des s�nateurs d�j� exasp�r�s. Mais le consul Plautius, favorable � la cause des Privernates, lui fournit un moyen de retirer cette parole hardie : il lui demanda quelle paix les Romains pourraient attendre d'eux, si on leur accordait l'impunit�. � Une paix �ternelle r�pondit-il d'un air plein d'assurance, si vous la faites acceptable ; et peu durable, si vous la faites rigoureuse.
Ces paroles valurent aux vaincus, avec le pardon, les droits et les privil�ges de citoyens romains. (An de R. 412.)
2. C'est ainsi qu'un Privernate osa parler devant le s�nat ; mais le consul L. Philippus ne craignit pas d'user envers la m�me compagnie d'une libert� excessive. L'accusant de l�chet� du haut de la tribune, il alla jusqu'� dire qu'il lui fallait un autre s�nat ; et, loin de regretter cette parole, comme L. Crassus, personnage consid�rable par son rang et son �loquence, faisait entendre des protestations, il ordonna de le saisir. Crassus, repoussant le licteur " : Philippus, dit-il, je ne te reconnais pas pour consul puisque tu ne me reconnais pas non plus pour s�nateur." (An de R. 662.)
3. Mais quoi ! Cette libert� de langage laissa-t-elle le peuple � l'abri de ses coups ? Bien s'en faut : elle dirigea �galement ses attaques contre lui et elle le trouva aussi patient � les endurer. C. Carbon, tribun du peuple, ce d�fenseur si violent de la faction des Gracques qui venait d'�tre an�antie, cet agitateur si ardent � exciter le feu naissant des guerres civiles, alla au-devant de Scipion l'Africain qui revenait des ruines de Numance dans tout l'�clat de la gloire ; il le prit presque � l'entr�e de la ville, le conduisit � la tribune et lui demanda son sentiment sur la mort de Tib. Gracchus, dont il avait �pous� la soeur. Il voulait se servir de l'influence d'un personnage si illustre pour donner un vaste accroissement � l'incendie qui venait d'�clater, ne doutant point qu'une si �troite alliance n'inspir�t � l'Africain des paroles �mouvantes sur la mort d'un proche parent. Mais Scipion r�pondit que cette mort lui paraissait juste. A ces mots l'assembl�e, entra�n�e par la passion du tribun, poussa de violentes clameurs. "Taisez-vous, leur dit-il, vous dont l'Italie n'est point la m�re." Il s'�leva des murmures. "Vous avez beau faire, dit-il alors, je ne craindrai jamais, devenus libres, ceux que j'ai amen�s ici encha�n�s." Deux fois, le peuple entier fut outrageusement r�primand� par un seul homme et aussit�t - tant est grand le prestige de la vertu ! - il se tut. Sa r�cente victoire sur Numance, celle de son p�re sur la Mac�doine, les d�pouilles enlev�es par son a�eul sur Carthage abattue, deux rois, Syphax et Pers�e, marchant devant son char triomphal avec des cha�nes au cou, ferm�rent la bouche � tout le peuple assembl�. Et ce silence ne fut pas l'effet de la crainte ; mais les services des familles Aemilia et Corn�lia avaient d�livr� Rome et l'Italie de tant d'alarmes que le peuple romain, devant la parole si libre de Scipion, ne se sentit plus libre. (An de R. 622)
4. Aussi fut-il moins s'�tonner de voir l'autorit� si consid�rable de Cn. Pomp�e si souvent aux prises avec la libert�. Mais sa gloire ne fit qu'y gagner, puisqu'en lutte � la licence d'hommes de toute condition, il sut endurer leurs insultes d'un front calme. Cn. Pison poursuivait en justice Manilius Crispus et voyait que cet homme manifestement coupable allait, gr�ce � la faveur de Pomp�e, �chapper � la condamnation. Emport� par la fougue de la jeunesse et son z�le d'accusateur, il dirigea contre le d�fenseur si influent de nombreuses et graves accusations. Pomp�e alors lui demanda pourquoi il ne le mettait pas aussi en cause lui-m�me. "Donne caution a la r�publique, r�pondit-il, qu'une fois appel� devant les tribunaux tu ne susciteras pas une guerre civile ; et aussit�t je ferai convoquer des juges pour demander ta t�te avant celle de Manilius. Ainsi dans le m�me proc�s il tint t�te � deux adversaires, � Manilius par son accusation, � Pomp�e par sa libert� de langage. Il eut raison de l'un par le moyen des lois, de l'autre par un d�fi, seule ressource qui f�t en son pouvoir. (Vers l'an 696.)
5. Mais y aurait-il une libert� sans Caton ? Pas plus certes qu'il n'y a de Caton sans libert�. Il si�geait comme juge dans le proc�s d'un s�nateur coupable de d�lits infamants et poursuivi comme tel. On produisit une lettre de Cn. Pomp�e contenant l'�loge du pr�venu et qui n'aurait pas manqu� d'influencer le tribunal en faveur du coupable. Caton la fit �carter des d�bats en citant la loi qui d�fendait aux s�nateurs de recourir � de pareils moyens. Cette action n'�tonna point venant d'un homme de ce caract�re : ce qui chez un autre passerait pour audace, chez Caton s'appelle simplement assurance. (An de R. 702.)
6. Le consul Cn Lentulus Marcellinus se plaignait dans l'assembl�e du peuple de la puissance excessive du grand Pomp�e et le peuple entier l'approuvait � haute voix. "Applaudissez, Romains, applaudissez bien fort, tandis que cela vous est encore permis ; bient�t vous ne pourrez plus le faire impun�ment." On �branla ainsi la puissance d'un citoyen �minent, tant�t par des accusations tendant � le rendre odieux, tant�t par des g�missements et des plaintes sur le sort de la r�publique. (An de R. 697.)
7. Un jour Pomp�e avait une jambe envelopp�e d'une bande blanche. "Qu'importe, dit Favonius � ce sujet, sur quelle partie du corps on porte le diad�me ?" Par cette raillerie � propos d'une petite bande d'�toffe, il lui reprochait d'usurper le pouvoir royal. Mais Pomp�e ne changea point de visage : il �vita le double risque de para�tre, en manifestant de la joie, avouer volontiers un tel pouvoir, ou d'avoir l'air, en prenant un visage s�v�re, de l'exercer d�j�. Cette patience enhardit aussi contre lui des hommes d'une fortune et d'un rang bien inf�rieurs. Il suffira de citer deux exemples pris dans ce nombre. (An de R. 699.)
8. Helvius Mancia de Formies, fils d'un affranchi, d�j� dans une extr�me vieillesse, accusait L. Libon devant les censeurs. (An 698.) Au cours des d�bats, le grand Pomp�e, lui reprochant la bassesse de sa naissance et son �ge, lui dit qu'il �tait sans doute revenu des enfers pour porter cette accusation. "En effet, Pomp�e, r�pliqua-t-il, tu dis vrai : je viens de chez les morts et j'en viens pour accuser L. Libon. Mais, pendant mon s�jour l�-bas, j'ai vu Cm Domitius Ahenobarbus, tout sanglant, se plaindre am�rement que, malgr� sa haute naissance, malgr� une vie irr�prochable, malgr� son attachement � sa patrie, tu l'eusses fait assassiner � la fleur de l'�ge. (An 672.) J'ai vu M. Brutus, personnage d'une �gale illustration, le corps perc� de coups, imputer sa mort � ta perfidie et � ta cruaut�. (An 676.) J'ai vu Cn. Carbon, ce d�fenseur si ardent de ton enfance et de ton h�ritage paternel, charg� de cha�nes par ton ordre dans son troisi�me consulat, rappeler avec indignation qu'au m�pris de toute justice, malgr� la haute magistrature dont il �tait rev�tu, toi, simple chevalier romain, tu l'avais fait massacrer. (An 671.) J'ai vu Perpenna, un ancien pr�teur, dans le m�me �tat maudire ta cruaut� par des impr�cations pareilles. (An 681.) J'ai vu ces malheureux tous �galement indign�s d'avoir �t� mis � mort sans jugement, d'avoir trouv� en toi, si jeune encore, leur bourreau." Ces souvenirs des guerres civiles, ces plaies si larges, mais depuis longtemps ferm�es et cicatris�es, un simple habitant d'un municipe, qui se sentait encore de l'esclavage de son p�re, un homme d'une audace effr�n�e, d'un orgueil intol�rable, se permettait de les raviver, et cette libert� demeura impunie. Ainsi c'�tait � la fois un acte de grand courage et un acte sans p�ril, que d'outrager en paroles le grand Pomp�e. Mais je ne saurais me r�pandre en plaintes sur ce sujet en pensant � la condition bien plus basse du personnage que je vais citer.
9. L'auteur tragique Diphile, jouant aux jeux Apollinaires, en vint, au cours de l'action, au vers qui contenait la pens�e suivante : "Ce sont nos malheurs qui l'ont fait grand." Il pronon�a ce vers les mains �tendues vers le grand Pomp�e. Le peuple le lui redemanda plusieurs fois. Diphile le r�p�ta sans h�siter, sans se lasser, poursuivant de son geste ce grand homme coupable de d�tenir un pouvoir excessif et intol�rable. Il rendit avec la m�me audace cet autre endroit : "Un temps viendra o� ces exploits fameux vous causeront des regrets."
10. L'�me de M. Castricius �tait aussi tout embras�e du feu de la libert�. �tant premier magistrat de Plaisance, il re�ut du consul Cn. Carbon l'injonction de d�cider par un d�cret que les habitants de cette ville lui donneraient des otages ; mais il ne voulut ni se soumettre � l'autorit� supr�me du consul, ni fl�chir devant les grandes forces dont il disposait ; et m�me, le consul lui faisant observer qu'il avait bien des �p�es, il osa r�pondre : "Et moi, bien des ann�es." Tant de l�gions demeur�rent frapp�es de stupeur � la vue d'un tel reste d'�nergie dans un vieillard ; et comme Carbon ne voyait qu'une bien faible vengeance � lui �ter le peu de jours qui lui restaient � vivre, son courroux tomba de lui-m�me. (An de R. 669.)
11. Serv. Galba fut d'une singuli�re audace dans la demande qu'il fit au divin Jules, d�j� victorieux de tous ses ennemis, un jour que celui-ci rendait la justice sur le forum : il osa s'adresser � lui en ces termes : "C. Jules C�sar, je me suis rendu caution pour le grand Pomp�e, autrefois ton gendre, alors consul pour la troisi�me fois, d'une somme d'argent que l'on me r�clame aujourd'hui. Que faut-il faire ? Dois-je payer ?" En lui reprochant ainsi en public et ouvertement la vente des biens de Pomp�e, il m�ritait d'�tre chass� du tribunal. Mais ce h�ros au grand coeur, qui �tait plus que la bont�, fit acquitter sur son tr�sor particulier la dette de Pomp�e. (Vers l'an 708.)
12. Et Cascellius, cet illustre jurisconsulte, � quel danger ne s'exposa-t-il pas par une opini�tre r�sistance ? Il n'y eut ni influence ni autorit� qui p�t le d�terminer r�diger une formule pour r�gulariser quelqu'une des largesses faites par les triumvirs. En manifestant ainsi son sentiment, il mettait hors la loi toutes les faveurs accord�es par les vainqueurs. (Vers 711.)
Le m�me Cascellius parlait fort librement de la position critique de C�sar et ses amis l'invitaient � se taire sur ce sujet. "Il est deux choses, r�pondit-il, que les hommes regardent comme tr�s f�cheuses, mais qui me mettent � l'aise : c'est d'�tre vieux et sans enfants."

EXEMPLES �TRANGERS

1. Parmi de si grands hommes vient se m�ler ici une femme �trang�re. Philippe, roi de Mac�doine, qui �tait � ce moment-l� en �tat d'ivresse, l'avait condamn�e injustement. Elle r�clama avec des cris contre le jugement. Philippe lui demandant � qui elle en appelait : "A Philippe, r�pondit-elle, mais � Philippe � jeun". Ces protestations dissip�rent les fum�es du vin. Le roi revint de l'ivresse � la raison et un examen plus attentif de l'affaire lui fit porter une sentence plus �quitable. Ainsi cette femme arracha une justice qu'elle n'avait d'abord pu obtenir ; la libert� de ses paroles lui fut de plus de secours que son innocence.
2. Mais voici une libert� de langage o�, avec du courage, il y a aussi de l'esprit. Tandis que tous les Syracusains faisaient des voeux ardents pour la mort de Denys le tyran � cause de la duret� de son caract�re et des traitements insupportables qu'il leur faisait subir, seule une tr�s vieille femme priait les dieux tous les matins de conserver la vie du prince et de la prolonger au del� de la sienne. Denys en eut connaissance. Surpris d'une affection � laquelle il n'avait pas droit, il fit venir cette femme et lui demanda le motif de cette pri�re et par quel bienfait il avait pu la m�riter. "J'ai, dit-elle, une raison bien particuli�re d'agir ainsi. Quand j'�tais jeune, nous avions un tyran redoutable et je d�sirais d'en �tre d�barrass�e. Il fut tu� ; mais un autre plus terrible encore s'empara de la citadelle. Je regardais encore comme un grand bonheur de voir finir sa domination. Tu es devenu notre troisi�me ma�tre et nous t'avons trouv� plus dur que les deux premiers. C'est pourquoi, dans la crainte que ta mort n'am�ne � ta place un successeur encore pire, j'offre ma vie aux dieux pour ta conservation." Denys eut honte de punir une audace aussi plaisante.
3. Entre ces deux femmes et Th�odorus de Cyr�ne leur hardiesse commune aurait pu former un lien �troit : son courage fut �gal au leur, mais son succ�s diff�rent. Le roi Lysimaque le mena�ait de la mort. "Vraiment, lui dit-il, c'est pour toi un magnifique avantage d'avoir acquis la vertu d'une cantharide." Piqu� de ce propos, le roi commanda de le mettre en croix. "Une croix, dit Th�odorus, peut faire trembler tes courtisans ; quant � moi, peu m'importe de pourrir en terre ou en l'air."

CHAPITRE III

De la S�v�rit�

EXEMPLES ROMAINS

Il faut armer son �me de fermet�, au r�cit des actes d'une s�v�rit� terrible et attristante, afin qu'elle puisse, en �cartant toute pens�e compatissante, pr�ter attention � des faits p�nibles � entendre. Alors pourront se pr�senter � notre esprit les r�pressions rigoureuses et impitoyables et les diverses sortes de ch�timents : elles sont, il est vrai, d'utiles soutiens des lois, mais elles ne devraient point trouver place dans un ouvrage qui s'inspire de sentiments paisibles et calmes.
1 a. M. Manlius fut pr�cipit� de ce m�me rocher d'o� il avait repouss� les Gaulois, pour avoir form� une entreprise criminelle contre la libert� apr�s l'avoir vaillamment d�fendue. Cette juste punition fut sans doute ainsi motiv�e : "Tu �tais Manlius � mes yeux lorsque tu pr�cipitais les S�nonais du haut du Capitole ; mais, du moment que tu t'es mis � les imiter, tu n'es plus qu'un S�nonais." Son ch�timent comportait en outre une fl�trissure pour toujours. C'est en effet � cause de lui qu'une loi d�fendit � tout patricien d'habiter la hauteur de la citadelle ou du Capitole : car Manlius avait eu sa maison � l'endroit o� nous voyons aujourd'hui le temple de Junon Moneta. (An de R. 370.)
1 b. Pareille indignation �clata dans Rome contre Spurius Cassius. Le seul soup�on d'avoir aspir� � la souverainet� lui fit plus de tort que trois glorieux consulats et deux magnifiques triomphes ne lui avaient valu d'avantages. En effet, le s�nat et le peuple romain, non contents de lui infliger la peine capitale, ajout�rent � son supplice la destruction de sa maison afin de le punir encore par la ruine de ses p�nates. Sur cet emplacement on �leva un temple � la Terre. Ainsi ce qui avait �t� la demeure d'un homme d'une ambition sans mesure est aujourd'hui un monument qui rappelle la sainte s�v�rit� des dieux.
1 c. Pour la m�me entreprise criminelle Sp. Maelius re�ut de la patrie la m�me punition. Et pour mieux faire conna�tre � la post�rit� son juste ch�timent, on nomma l'emplacement de sa maison Aequimelium (place de Maelius). (An 315.) La haine si vive que les anciens avaient naturellement � l'�gard des ennemis de la libert� se manifestait par la destruction des murs et des toits o� les coupables avaient v�cu. Aussi apr�s avoir massacr� M. Flaccus et L. Saturninus, les plus s�ditieux des citoyens, on renversa leurs maisons de fond en comble. (Ans 632, 653.) Quant � la place occup�e par celle de Flaccus, apr�s �tre rest�e longtemps vide en souvenir de son ch�timent, elle fut orn�e des d�pouilles des Cimbres par Q. Catulus.
1 d. Tib. et C. Gracchus exerc�rent dans notre cit� une grande influence par leur haute noblesse et par les vastes esp�rances qu'ils faisaient concevoir. Mais, parce qu'ils avaient tent� d'�branler la constitution de l'�tat, leurs cadavres rest�rent sans s�pulture ; et les derniers honneurs qu'on rend � la nature humaine furent refus�s aux fils de Sempronius Gracchus, aux petits-fils du premier Scipion l'Africain. Bien plus, pour �ter � tout citoyen l'id�e de se faire l'ami des ennemis de la r�publique, tous leurs intimes furent pr�cipit�s du lieu des ex�cutions. (Ans 620, 632.)
2. P. Mucius, tribun du peuple, crut avoir contre les mauvais citoyens le m�me droit que le s�nat et le peuple romain. Il fit en effet br�ler ses coll�gues qui, � l'instigation de Spurius Cassius, avaient, en emp�chant le renouvellement des magistrats, mis en p�ril la libert� politique. Rien assur�ment de plus hardi que cette s�v�rit� ; un seul tribun osa faire subir � ses neuf coll�gues une peine que les neuf tribuns ensemble auraient trembl� d'infliger � un seul. (An de R. 268.)
3. Jusqu'ici c'est � maintenir et � venger la libert� que la s�v�rit� s'est employ�e ; mais elle a aussi soutenu avec non moins de fermet� l'honneur et la discipline de l'�tat. Le s�nat en effet livra M. Claudius aux Corses pour avoir fait avec eux une paix honteuse ; et, comme les ennemis refus�rent de le recevoir, il le fit mettre � mort dans la prison publique. Pour une seule offense � la majest� de l'empire, que de mesures violentes et quel acharnement dans la punition ! Le s�nat annula le trait� conclu par Claudius, le priva de la libert�, lui �ta la vie et lui infligea, pour le d�shonorer, l'ignominie de la prison et l'abominable fl�trissure des g�monies. (An de R. 517.)
Celui-l� du moins avait m�rit� les rigueurs du s�nat ; mais Cn. Corn�lius Scipion, fils d'Hispalus, les �prouva avant d'avoir pu les m�riter. Le sort lui avait attribu� le gouvernement de l'Espagne ; mais le s�nat lui d�fendit de se rendre dans sa province, en donnant pour motif de cette d�fense qu'il �tait incapable de bien faire. Ainsi Corn�lius, � cause de sa conduite honteuse et sans avoir exerc� aucune fonction de gouverneur, se vit condamn� presque comme concussionnaire. (An de R. 644.)
C. Vetti�nus, qui s'�tait coup� les doigts de la main gauche pour �viter de servir dans la guerre d'Italie, n'�chappa point non plus � la s�v�rit� du s�nat. Il pronon�a en effet contre lui, avec la confiscation de ses biens, la peine de la prison perp�tuelle, le r�duisant ainsi � consumer ignominieusement dans les fers une vie qu'il n'avait pas voulu sacrifier avec honneur sur un champ de bataille. (An de R. 663.)
4. Cette s�v�rit� trouva un imitateur dans le consul M. Curius. Oblig� d'ordonner subitement une lev�e de soldats et ne voyant aucun des jeunes gens r�pondre � son appel, il jeta dans une urne les noms de toutes les tribus. Celui de la tribu Pollia sortit le premier et, dans cette tribu, le premier nom qui fut extrait de l'urne fut proclam� par son ordre. Le jeune homme appel� ne r�pondant pas, le consul mit � l'encan ses biens. Mais celui-ci, d�s qu'il fut averti, courut au tribunal du consul et en appela au coll�ge des tribuns. Alors Curius, apr�s avoir d�clar� que la r�publique n'avait pas besoin d'un citoyen qui ne savait pas ob�ir, vendit ses biens et sa personne. (An de R. 478.)
5. L. Domitius fut tout aussi ferme dans sa r�solution. Lorsqu'il gouvernait la Sicile en qualit� de pr�teur, on lui apporta un sanglier d'une grosseur extraordinaire. Il se fit amener le berger qui l'avait tu� de sa main et lui demanda comment il avait abattu un tel animal. Le pr�teur, ayant appris qu'il s'�tait servi d'un �pieu, le fit mettre en croix, parce que lui-m�me, pour d�livrer la province des brigandages auxquelles elle �tait en proie, avait d�fendu par un �dit de porter aucune arme offensive. On pourrait dire de cette mesure qu'elle confine � la cruaut� autant qu'� la s�v�rit�, car en bien raisonnant on peut la ramener � l'une de ces dispositions aussi bien qu'� I'autre ; mais la raison d'�tat ne permet point de penser que le pr�teur fut trop dur. (An de R. 655.)
6. C'est ainsi que la s�v�rit� a d�ploy� son �nergie en punissant des hommes ; mais elle ne s'est pas montr�e moins prompte � ch�tier des femmes. Horace, apr�s avoir � lui seul vaincu les trois Curiaces et, en vertu du trait�, tous les Albains, revenait chez lui de ce combat glorieux, lorsqu'il vit sa jeune soeur pleurer la mort du Curiace qui �tait son fianc� avec des d�monstrations de douleur plus vives qu'il ne convenait � son �ge. Alors, de la m�me �p�e qui avait si bien servi l'�tat, il la mit � mort, regardant ces larmes vers�es pour un amour pr�matur� comme un manque de pudeur. Poursuivi pour cette action devant le peuple, il fut d�fendu par son p�re. Ainsi, pour ce trop vif attachement d'une jeune fille � la m�moire de son fianc� on voit son fr�re s�vir contre elle sans piti� et son p�re, avec la m�me duret�, approuver son ch�timent. (An de R. 87.)
7. Une s�v�rit� semblable animait le s�nat plus tard, lorsqu'il chargea les consuls Sp. Postumius Albinus et Q. Marcius Philippus d'ouvrir une enqu�te sur les femmes qui avaient eu une conduite criminelle dans les f�tes de Bacchus. Ils en condamn�rent un grand nombre qui furent toutes ex�cut�es par leurs parents � l'int�rieur de leurs maisons. Le d�shonneur qui s'�tendait sur Rome comme une large tache fut lav� par la rigueur du supplice ; car autant l'inf�me conduite de ces femmes avait imprim� de honte � notre r�publique, autant la s�v�rit� de leur punition lui fit d'honneur. (An de R. 568.)
8. Publicia et Licinia qui empoisonn�rent, l'une le consul Postumius Albinus, l'autre Claudius Asellus, leurs maris, furent �trangl�es par ordre de leurs parents. Des hommes d'une nature si s�v�re ne crurent pas devoir attendre, pour un crime si manifeste, la fin d'une longue enqu�te officielle. Innocentes, ils les auraient d�fendues ; coupables, ils furent prompts � les punir (An de R. 599.)
9. C'est un grand crime qui avait pouss� � la r�pression la s�v�rit� de ces hommes. Celle d'Egnatius M�c�nius fut excit�e par un motif bien moins grave : il fit en effet mourir son �pouse sous les coups de b�ton pour avoir bu du vin. Ce meurtre ne donna lieu � aucune accusation ; il n'y eut m�me personne pour le bl�mer. Chacun pensait qu'elle avait justement expi� par une punition exemplaire un manquement aux r�gles de la sobri�t�. Il est vrai que toute femme qui aime � l'exc�s l'usage du vin, ferme son coeur � toutes les vertus et l'ouvre � tous les vices.
10. C. Sulpicius Gallus aussi �tait un �poux d'une s�v�rit� terrible. Il r�pudia en effet sa femme, ayant appris qu'elle s'�tait montr�e en public le visage d�couvert : sentence rigoureuse, mais n�anmoins assez d�fendable. "Selon les prescriptions de la loi, lui dit-il, mes yeux seuls doivent �tre juges de ta beaut�. C'est pour eux que tu dois te parer, pour eux que tu dois �tre belle. Ne r�v�le qu'� eux le secret de tes charmes. Tout autre regard qu'attire sur toi une coquetterie d�plac�e ne peut �tre que suspect et coupable."
11. C'est au m�me sentiment qu'ob�it Q. Antistius V�tus en r�pudiant sa femme pour l'avoir vue s'entretenir en particulier dans la rue avec une affranchie de mauvaises moeurs. Il s'�mut, non pas de voir le crime consomm�, mais d'assister en quelque sorte � sa naissance et � ses premiers progr�s et sa vengeance devan�a la faute ; il aima mieux se garantir de l'outrage que d'avoir � le punir.
12. Il faut joindre � ces exemples ceux de P. Sempronius Sophus, qui infligea � sa femme la fl�trissure du divorce, simplement pour avoir os� assister aux jeux publics � son insu. Ainsi donc jadis c'est par des mesures pr�ventives que l'on �loignait de l'esprit des femmes la pens�e du vice.

EXEMPLES �TRANGERS

Quoique Rome puisse fournir des exemples de s�v�rit� � tout l'univers, n�anmoins, une connaissance sommaire des exemples �trangers ne saurait d�plaire. Les Lac�d�moniens proscrivirent de leur ville les livres d'Archiloque, parce qu'ils en regardaient la lecture comme peu conforme � la d�cence et � la pudeur. Ils ne voulurent pas laisser l'�me de leurs enfants se nourrir d'une telle po�sie, de crainte qu'elle ne f�t plus de mal � leur coeur que de bien � leur esprit. Ainsi le premier, ou du moins le second des po�tes, pour avoir d�chir� par des satires obsc�nes une famille qui lui �tait odieuse, se vit punir par la proscription de ses vers. (Av. J.-C. 687.)
2. Les Ath�niens inflig�rent la peine capitale � Timgoras qui, en saluant le roi Darius, s'�tait prostern� devant lui � la mani�re des Perses. Ils s'indign�rent que la basse flatterie d'un seul de leurs concitoyens humili�t l'honneur de toute leur r�publique devant la souverainet� persane. (Av. J.-C. 528.)
3. Cambyse montra une s�v�rit� sans exemple, lorsque ayant fait �corcher un juge malhonn�te et couvrir un si�ge de sa peau, il y fit asseoir le fils du coupable pour juger � son tour. Roi et barbare tout ensemble, par ce ch�timent atroce et inou� il se proposa d'emp�cher qu'aucun juge � l'avenir ne se laiss�t corrompre.

CHAPITRE IV

De l'�nergie dans les paroles et dans les actions.

EXEMPLES ROMAINS

Les hommes illustres doivent aussi la meilleure part de leur gloire � l'�nergie de ces paroles et de ces actions que l histoire a fid�lement retenues et conserve � jamais. A cette source abondante puisons sans trop de parcimonie ni non plus sans mesure, de mani�re � satisfaire la curiosit�, en �vitant la sati�t�.
1. Notre cit� venait d'�tre frapp�e par le d�sastre de Cannes et le salut de la r�publique �tait suspendu, comme par un fil t�nu, � la fid�lit� des alli�s. Pour affermir chez eux la volont� de d�fendre l'empire romain, la plupart des s�nateurs �taient d'avis d'admettre dans l'ordre s�natorial les chefs des Latins ; Annius le Campanien soutenait m�me que l'un des deux consuls devait �tre �lu � Capoue : tels �taient l'�puisement et la faiblesse de l'empire romain. Alors Manlius Torquatus, fils de celui qui avait d�fait les Latins dans une m�morable bataille pr�s du V�s�ris, d�clara bien haut qu'il tuerait sur-le-champ le premier des alli�s qui oserait dire son avis dans le s�nat. Cette menace d'un seul homme rendit au courage affaibli des Romains son ancienne ardeur et emp�cha l'Italie de se soulever pour partager avec nous les droits de citoyen. Comme elle avait succomb� sous les armes du p�re, elle recula vaincue par les paroles du fils. (An de R. 414.)
La m�me �nergie se rencontra aussi chez un autre Manlius. Comme le peuple unanime lui d�f�rait le consulat et qu'il refusait cet honneur en invoquant le mauvais �tat de ses yeux, tous les citoyens continuaient leurs instances. "Romains, dit-il, cherchez quelqu'un � qui confier cette magistrature ; car si vous me forcez � la remplir, nous ne pourrons r�ciproquement endurer, moi vos moeurs, vous mon autorit�." D'un simple particulier, ce langage �tait d�j� difficile � supporter ; qu'aurait donc �t� le poids de son autorit�, une fois arm� des faisceaux consulaires ? (An de R. 544.)
2. Scipion Emilien n'�tait pas moins dur dans ses paroles soit au s�nat, soit dans l'assembl�e du peuple. Partageant la censure avec Mummius, personnage d'une grande naissance, mais de moeurs eff�min�es, il dit � la tribune que sa gestion aurait en tout r�pondu � la majest� de la r�publique, si ses concitoyens lui eussent donn� un coll�gue ou ne lui en eussent point donn�. (An de R. 611.)
Le m�me Scipion Emilien �tait t�moin de la rivalit� des deux consuls Serv. Sulp. Galba et Aur�lius Cotta qui se disputaient dans le s�nat l'honneur d'�tre envoy� en Espagne contre Viriathe. Les s�nateurs, tr�s partag�s sur ce point, se demandaient dans quel sens il se prononcerait. "Mon avis, dit-il, est de n'y envoyer ni l'un ni l'autre, parce que l'un n'a rien et que rien ne suffit � l'autre." Il regardait la pauvret� et la cupidit� comme des conseillers �galement mauvais dans l'exercice d'un pouvoir sans frein. Ce mot emp�cha qu'aucun des deux consuls f�t envoy� dans cette province. (An de R. 609.)
3. C. Popilius fut d�put� par le s�nat aupr�s d'Antiochus pour l'inviter � cesser la guerre qu'il faisait � PtoI�m�e. A son arriv�e, Antiochus, avec empressement et d'un air d'amiti�, lui tendit la main. Mais Popilius refusa de lui tendre la sienne et lui remit la lettre qui contenait le d�cret du s�nat. Lorsque Antiochus en eut pris connaissance, il dit qu'il en conf�rerait avec ses amis. Popilius, indign� de se voir opposer un d�lai, tra�a sur la terre avec une baguette une ligne autour de la place occup�e par le roi. "Avant de sortir de ce cercle, dit-il, donnez-moi une r�ponse � rapporter au s�nat." On aurait cru voir, non pas un ambassadeur parlant au roi, mais le s�nat lui-m�me mis en sa pr�sence. Aussit�t Antiochus d�clara que Ptol�m�e n'aurait plus � se plaindre de lui, et ce fut alors seulement que Popilius accepta de prendre sa main comme celle d'un alli�. Combien est puissante cette �nergie tranchante dans le caract�re et le langage ! Dans le m�me instant elle fit trembler la Syrie et prot�gea l'Egypte. (An de R. 585.)
4. Chez P. Rutilius, je ne sais ce que je dois appr�cier davantage, de ses paroles ou de ses actes, car dans les unes et dans les autres il y a une vigueur admirable. Comme il r�sistait � une demande injuste d'un de ses amis, celui-ci lui dit dans un violent mouvement de col�re : "Qu'ai-je � faire de ton amiti�, si tu ne fais pas ce que je te demande ?" - "Et moi, r�pliqua Rutilius, qu'ai-je � faire de la tienne, s'il faut que pour toi je fasse une action contraire � l'honneur ? "Cette parole n'est point d�mentie par sa conduite dans les circonstances suivantes. Traduit en justice pour des rivalit�s de classes plut�t que pour une faute personnelle, il ne prit point des v�tements mis�rables, il ne quitta pas les marques distinctives du s�nateur, il ne tendit point les mains vers ses juges en se tra�nant � leurs genoux, il ne pronon�a pas une parole indigne de l'�clat de son pass� ; enfin il fit voir que le p�ril, loin d'�tre l'�cueil de son �nergie, n'�tait qu'une �preuve qui la confirmait. En outre, quoique la victoire de Sylla lui donn�t le moyen de rentrer dans sa patrie, il resta en exil pour ne rien faire de contraire aux lois. Aussi le surnom d'Heureux serait-il mieux justifi� par le caract�re d'un personnage si digne que par les victoires d'un ambitieux effr�n� : Sylla le prit par la force, Rutilius le m�rita. (An de R. 660.)
5. M. Brutus, assassin de ses propres vertus plus encore que du p�re de la patrie (car d'un seul coup il les an�antit comme dans un ab�me et voua son nom et sa m�moire � une mal�diction �ternelle), Brutus, au moment de livrer la derni�re bataille, r�pondit � quelques officiers qui lui d�conseillaient de l'engager : "C'est avec confiance que je vais au combat : car d�s aujourd'hui, ou tout ira bien, ou je n'aurai plus d'inqui�tude." Il s'�tait persuad� sans doute qu'il ne pouvait ni vivre sans la victoire ni mourir sans trouver dans la mort le repos."

EXEMPLES �TRANGERS

1. Le nom de Brutus m'am�ne � rappeler une r�ponse �nergique qui fut faite � D. Brutus en Espagne. La Lusitanie presque enti�re s'�tait livr�e � sa discr�tion et seule de ce pays la ville de Cinginia persistait � r�sister. Il essaya de l'amener � se racheter par une ran�on. Mais les assi�g�s r�pondirent presque unanimement aux d�put�s de Brutus que leurs a�eux leur avaient laiss� du fer pour d�fendre leur ville, mais non pas de l'or pour acheter leur libert� d'un g�n�ral cupide. Certes il e�t �t� plus honorable pour des Romains de tenir un pareil langage que de l'entendre. (An de R. 617.)

2. Ce peuple s'�leva � une telle noblesse de sentiments sans autre guide que la nature. Socrate au contraire �tait le plus grand repr�sentant de la science grecque. Pendant son proc�s devant le tribunal d'Ath�nes, Lysias, �tait venu lui lire un plaidoyer qu'il avait compos� pour sa d�fense et dans lequel il lui faisait tenir un langage humble, suppliant, propre � conjurer l'orage qui mena�ait sa t�te. "Je t'en prie, lui dit Socrate, remporte ce discours. Car si je pouvais me r�soudre � le prononcer, f�t-ce dans les solitudes les plus recul�es de la Scythie, alors je me reconna�trais moi-m�me digne de mort." Il m�prisa la vie pour ne pas manquer de dignit� : il aima mieux mourir en Socrate que de continuer � vivre en Lysias. (Av. J.-C. 399.)

3. Alexandre, aussi grand dans la guerre que Socrate dans la sagesse, fit dans les circonstances suivantes une belle r�ponse. Darius, apr�s avoir �prouv� dans deux batailles la valeur de ce prince, lui offrait toute la partie de son royaume en de�� du mont Taurus, avec la main de sa fille et un million de talents. " Si j'�tais Alexandre, lui dit Parm�nion, j'accepterais cette proposition."

- "Et moi aussi, r�pondit le roi, si j'�tais Parm�nion." Parole qui ne d�mentait pas les deux victoires pr�c�dentes, et qui m�ritait, comme il advint, d'�tre suivie d'une troisi�me. (Av. J.-C. 331.)

4. Voil� le langage qui convient � la grandeur d'�me et au succ�s. Celui que tinrent au p�re d'Alexandre les d�put�s de Lac�d�mone pour lui repr�senter la d�plorable extr�mit� o� il r�duisait leur courage, est plus admirable que digne d'envie. Comme il imposait � leur r�publique des charges insupportables, ils d�clar�rent que s'il persistait � leur prescrire des conditions plus dures que la mort, ils aimeraient mieux mourir. (Av.J.-C. 352.)

5. On voit encore beaucoup de dignit� dans ce mot d'un Spartiate. Malgr� une grande r�putation et une haute vertu, il fut comme candidat � une magistrature battu par un concurrent. Il se d�clara tr�s heureux de voir que sa patrie avait des citoyens meilleurs que lui. Un tel mot rendit son �chec aussi glorieux que la magistrature m�me.

CHAPITRE V

De la justice.

EXEMPLES ROMAINS

Il est temps d'entrer aussi dans l'auguste sanctuaire de la justice o� l'�quit� et l'honn�tet� sont toujours l'objet d'un hommage religieux, o� r�gne le respect, o� la passion c�de la raison, o� l'on ne regarde comme utile rien de ce qui peut para�tre malhonn�te. Le plus remarquable et le plus s�r mod�le de cette vertu, entre toutes les nations, c'est notre r�publique.
1. Camille, �tant consul, faisait le si�ge de Fal�rie. Un ma�tre d'�cole mena hors de la ville, sous pr�texte de promenade, un grand nombre d'enfants des plus nobles familles et les conduisit dans le camp des Romains. La prise de ces enfants devait sans aucun doute mettre fin � l'opini�tre r�sistance des Falisques et les amener � se soumettre � notre g�n�ral. Mais le s�nat fut d'avis de renvoyer ces enfants dans leur patrie et de leur livrer leur ma�tre, les mains li�es, pour l'emmener en le frappant � coups de verges. Cet acte de justice conquit les coeurs de ce peuple dont on ne pouvait forcer les murailles en effet vaincus plut�t par la g�n�rosit� que par les armes, les Falisques ouvrirent leurs portes aux Romains. (An de R. 308.)
Cette m�me ville se r�volta plusieurs fois, mais essuya toujours des d�faites et se vit enfin r�duite � se rendre au consul Q. Lutatius. Le peuple romain voulait s�vir contre elle, mais lorsque Papirius, qui avait par ordre du consul r�dig� la capitulation, lui eut fait observer que Fal�rie s'�tait livr�e, non � la puissance, mais � la bonne foi des Romains, il se calma, oublia tout son ressentiment et, pour rester fid�le � ses sentiments de justice, r�sista �galement � la violence de la haine, ordinairement si difficile � r�primer, et � l'entra�nement de la victoire, qui porte toujours si facilement � des exc�s. (An de R. 512.)
P. Claudius, dans une exp�dition qu'il commandait, avait fait prisonniers les habitants d'Am�rie et les avait vendus � l'encan. Le peuple voyait bien par l� son tr�sor enrichi et son territoire augment� de terres nouvelles. N�anmoins, comme le g�n�ral lui semblait avoir un peu manqu� de loyaut� dans cette op�ration, il fit soigneusement rechercher et racheter les Am�riniens, leur assigna un emplacement destin� � leur habitation sur le mont Aventin et leur rendit leurs propri�t�s. Il leur donna m�me de l'argent pour b�tir, non seulement des cabanes, mais des sanctuaires et pour faire des sacrifices aux dieux. Son attachement si manifeste aux principes de la justice donna lieu aux Am�riniens de se f�liciter de leur chute, puisque leur ruine avait �t� suivie de leur renaissance. (An de R. 485.)
Ce que j'ai racont� jusqu'ici n'a �t� connu que dans nos murs et dans les contr�es voisines ; mais la connaissance du fait suivant s'est r�pandue dans le monde entier. Timochar�s d'Ambracie offrit au consul Fabricius d'employer son fils, �chanson de Pyrrhus, � empoisonner ce prince. Le s�nat, inform� de cette proposition, envoya des d�put�s � Pyrrhus, pour l'engager � redoubler ,de pr�cautions contre ces sortes d'attentats. Il n'oubliait pas qu'une ville fond�e par le fils de Mars devait faire la guerre avec les armes, non avec le poison. Mais il ne pronon�a pas le nom de Timochares en s'attachant � �tre juste envers l'un et l'autre. Il ne voulut ni supprimer ennemi par un moyen violent et malhonn�te, ni trahir un homme qui avait eu l'intention de rendre service � la r�publique. (An de R. 475.)
2. Le plus haut sentiment de justice s'est aussi fait voir dans la m�me circonstance chez quatre tribuns du peuple. C. Atratinus commandait dans la bataille pr�s de Verrugo, lorsque avec tous les autres cavaliers ils avaient r�tabli la situation de l'arm�e qui pliait sous les efforts des Volsques. Or il venait d'�tre cit� devant le peuple par L. Hortensius, l'un de leurs coll�gues. Ils jur�rent alors du haut de la tribune de prendre des v�tements de deuil et de les garder tant que leur g�n�ral serait en �tat d'accusation. Ces jeunes hommes d'�lite, apr�s avoir dans le combat �cart� de lui le p�ril au prix de leurs blessures et de leur sang, ne purent supporter de le voir sous la toge expos� au plus grand danger, tandis qu'eux-m�mes �taient rev�tus des marques du pouvoir. Touch�e de leur amour de la justice, l'assembl�e for�a Hortensius � se d�sister de sa poursuite (An de R. 331.)
3. Le peuple ne se montra pas sous un jour diff�rent dans les circonstances suivantes. Tib. Gracchus et C. Claudius avaient soulev� contre eux la majeure partie des citoyens par leur excessive s�v�rit� dans l'exercice de la censure. P. Popilius, tribun du peuple, les cita devant le peuple comme coupables de crime contre l'Etat. Outre l'irritation g�n�rale, un ressentiment personnel l'animait contre les accus�s : il leur en voulait pour avoir forc� Rutilius, l'un de ses proches, � d�molir un mur qui s'avan�ait sur la voie publique. A l'audience, beaucoup de centuries de la premi�re classe manifestaient leur intention de condamner Claudius ; toutes au contraire paraissaient s'accorder pour absoudre Gracchus. Alors celui-ci d�clara hautement que, si l'on frappait son coll�gue plus s�v�rement que lui-m�me, puisqu'il avait tenu la m�me conduite, il partagerait avec lui la peine de l'exil. Cette r�solution inspir�e par la justice d�tourna l'orage qui mena�ait leur t�te et leur fortune. Le peuple acquitta Claudius et le tribun Popilius dispensa Gracchus de plaider sa cause. (An de R. 584.)
4. Le coll�ge des tribuns s'acquit encore beaucoup de consid�ration, lorsque, L. Cotta, l'un de ses membres, comptant sur l'inviolabilit� que lui conf�rait son pouvoir pour ne point s'acquitter envers ses cr�anciers, ils d�cid�ment que, s'il ne payait ses dettes ou s'il ne fournissait un r�pondant, ils appuieraient les r�clamations de ses cr�anciers : ils regardaient comme un acte contraire � la justice de faire servir l'autorit� du magistrat � couvrir la mauvaise foi du particulier. Ainsi Cotta qui cherchait un refuge dans le tribunat comme dans un asile inviolable, en fut arrach� par la justice m�me du tribunat. (An de R. 599.)
5. Je passe � un autre exemple �galement c�l�bre de la justice des tribuns. Cn. Domitius, tribun du peuple, appela en jugement devant le peuple M. Scaurus, le premier citoyen de la r�publique : il voulait, si la fortune secondait ses efforts, accro�tre sa renomm�e par la ruine de Scaurus ou du moins, � d�faut de succ�s, par l'attaque m�me dirig�e contre un personnage si consid�rable. Alors qu'il br�lait du plus vif d�sir de le perdre, un esclave de Scaurus vint le trouver pendant la nuit, s'engageant � lui fournir de nombreux et de graves sujets d'accusation contre son ma�tre. Dans la m�me personne, en m�me temps qu'un ennemi, il y avait aussi un Domitius qui jugeait cette abominable d�lation avec des sentiments tout diff�rents. La justice l'emporta sur la haine, le tribun aussit�t ferma ses oreilles � la d�nonciation, imposa silence au d�lateur et le fit conduire chez Scaurus. Voil� un accusateur � qui l'accus� lui-m�me devait, sinon de l'amiti�, du moins des �loges. Aussi le peuple romain, conquis par les autres m�rites de Domitius et encore plus par ce proc�d�, le fit successivement consul, censeur et souverain pontife. (An de R. 650.)
6. L. Crassus, dans une �preuve semblable, se conduisit avec autant de justice. Il avait d�nonc� Cn. Carbon avec une animosit� bien naturelle � l'�gard d'un ennemi d�clar�. N�anmoins, un esclave de Carbon lui ayant apport� un coffret de son ma�tre contenant quantit� d'�crits de nature � le faire condamner ais�ment, Crassus le lui renvoya scell� comme il �tait, avec l'esclave charg� de cha�nes. Quelle force devons-nous penser qu'avait alors la justice entre les amis, quand nous voyons qu'elle en gardait tant jusque dans les rapports des accusateurs et des accus�s ?
7. Sylla ne d�sirait pas moins vivement sa propre conservation que la perte de Sulpicius Rufus, qui n'avait cess� de l'attaquer avec la passion propre aux tribuns. Mais il sut que celui-ci, proscrit et cach� dans une maison de campagne, avait �t� livr� par un esclave. Il affranchit d'abord ce serviteur parricide pour tenir la promesse faite par son �dit, puis le fit aussit�t pr�cipiter du haut de la roche Tarp�ienne avec le bonnet d'affranchi qu'il avait obtenu par un crime. Sylla qui d'ordinaire usait de la victoire sans mod�ration fit voir dans cet ordre la plus parfaite justice. (An de R. 665.)

EXEMPLES �TRANGERS

1. Mais n'ayons pas l'air d'oublier les actes de justice des �trangers. Pittacus de Mityl�ne avait rendu assez de services � ses concitoyens ou avait assez gagn� leur confiance par son caract�re pour se voir d�f�rer par leurs suffrages la "tyrannie" ; mais il n'exer�a ce pouvoir qu'aussi longtemps qu'ils eurent � soutenir la guerre contre les Ath�niens au sujet du promontoire de Sig�e. Sit�t que la victoire eut assur� la paix aux Mityl�niens, il abdiqua malgr� leurs protestations : il ne voulut pas rester le ma�tre de ses concitoyens plus longtemps que ne l'exigeait le besoin de l'Etat. Il fit plus : comme ils lui offraient d'un mouvement unanime la moiti� des terres reconquises, il repoussa ce pr�sent, regardant comme une honte d'amoindrir la gloire qu'il devait � son courage Par la grandeur du butin qui aurait �t� sa r�compense. (Av. J.-C. 635.)
2. Je dois maintenant rappeler l'habilet� d'un grand homme pour faire mieux revivre la justice d'un autre. Th�mistocle, par un conseil fort salutaire, avait forc� les Ath�niens � se r�fugier sur leur flotte. Apr�s avoir chass� de la Gr�ce le roi Xerx�s et ses arm�es, il travaillait � remettre sa patrie ruin�e en son premier �tat et il pr�parait par des entreprises secr�tes les moyens de lui assurer l'h�g�monie de la Gr�ce. Il d�clara dans l'assembl�e qu'apr�s m�r examen, il avait con�u un dessein tel que, si la fortune en permettait l'accomplissement, il n'y aurait rien de plus grand, ni de plus puissant que le peuple ath�nien, mais que ce moyen ne devait pas �tre divulgu�. Il demanda donc qu'on lui donn�t quelqu'un � qui il p�t le communiquer en secret. On lui donna Aristide. Lorsque celui-ci eut appris que l'intention de Th�mistocle �tait d'incendier la flotte des Lac�d�moniens, alors tout enti�re sur le rivage, pr�s de Gyth�e, afin que la destruction de cette flotte f�t passer l'empire de la mer aux Ath�niens, il se pr�senta devant l'assembl�e et d�clara que le dessein de Th�mistocle �tait utile, mais qu'il n'�tait pas juste. Aussit�t l'assembl�e tout enti�re s'�cria que ce qui n'�tait pas juste n'�tait pas non plus utile et sur-le-champ elle commanda � Th�mistocle d'abandonner son projet. (Av. J.-C. 476.)
3. Rien ne fait voir plus d'�nergie que ces autres exemples de justice que je vais raconter. Zaleucus avait donn� � la ville de Locres les lois les plus salutaires et les plus utiles. Son fils, condamn� pour adult�re, devait, en vertu des lois dont il �tait lui-m�me l'auteur, �tre priv� des deux yeux. Comme le peuple entier, en consid�ration de son p�re, voulait exempter le jeune homme des rigueurs de la loi, Zaleucus r�sista quelque temps. A la fin, c�dant aux pri�res du peuple, il se creva d'abord un oeil � lui-m�me, en creva ensuite un � son fils et laissa ainsi � l'un et � l'autre l'usage de la vue. De cette mani�re il satisfit � la loi sur la mesure du ch�timent qu'elle imposait, en donnant, par une combinaison d'une admirable �quit�, une part de lui-m�me � la piti� paternelle, l'autre � la justice du l�gislateur.
4. Mais la justice de Charondas de Thurium fut un peu trop inflexible et trop rigoureuse. Les s�ances de l'assembl�e de ses concitoyens �taient tumultueuses jusqu'� la violence et � l'effusion du sang. Il y avait r�tabli l'ordre en ordonnant par une loi de tuer sur-le-champ celui qui y entrerait avec une arme. Quelque temps apr�s, comme, au retour d'une campagne �loign�e, il revenait chez lui une �p�e � la ceinture, au moment m�me d'une convocation subite du peuple, il se rendit � l'assembl�e dans l'�tat o� il se trouvait. Son plus proche voisin l'avertit qu'il violait sa propre loi. "H� bien, dit-il, je vais aussi la confirmer." Aussit�t, tirant son �p�e, il s'en per�a le coeur. Il pouvait ou dissimuler sa faute ou s'en excuser sur l'inadvertance. Il pr�f�ra l'ex�cution imm�diate du ch�timent pour pr�venir tout manquement � la justice.

CHAPITRE VI

De la foi publique.

EXEMPLES ROMAINS

Apr�s la justice dont je viens de pr�senter l'image, la bonne foi, divinit� non moins auguste, nous tend sa main secourable, gage le plus s�r de notre sauvegarde. Elle a toujours �t� en honneur dans notre r�publique : telle est l'opinion qu'ont eue de nous toutes les nations. V�rifions-la � notre tour dans quelques exemples.
1. Ptol�m�e, roi d'�gypte, ayant laiss� la tutelle de son fils au peuple romain, le s�nat envoya � Alexandrie M. Aemilius L�pidus, souverain pontife, deux fois consul, pour �tre le tuteur de l'enfant. Il voulut employer pour l'administration d'un pays �tranger un personnage des plus consid�rables, d'une honn�tet� irr�prochable, qui s'�tait consacr� aux affaires de l'Etat et � la religion, afin de ne pas laisser croire qu'on avait fait appel en vain � la bonne foi de notre r�publique. Les services de Lepidus procur�rent � la fois la s�ret� et la gloire � l'enfance du roi et Ptolem�e put se demander s'il avait plus � se f�liciter de la fortune de son p�re que du noble caract�re de son tuteur. (Vers l'an 595 de R.)
2. Voici encore un beau trait de la bonne foi romaine. Une nombreuse flotte carthaginoise avait �t� d�faite dans les parages de la Sicile. Ses chefs, dans leur d�couragement, pensaient � demander la paix. Hamilcar, l'un d'entre eux, d�clarait qu'il n'osait pas aller trouver les consuls de peur d'�tre charg� de cha�nes, comme ils en avaient eux-m�mes charg� le consul Corn�lius Asina. Mais Hannon, meilleur juge du caract�re romain, persuad� qu'il n'y avait rien de semblable � craindre, alla, plein de confiance, conf�rer avec les consuls. Comme il leur proposait de mettre fin � la guerre, un tribun de l�gion lui dit qu'on pourrait le traiter � juste titre comme avait �t� trait� Corn�lius. Mais les deux consuls, faisant taire le tribun : "Hannon, dirent-ils, loin de toi cette crainte ; la loyaut� romaine t'en garantit". C'e�t �t� pour les consuls une grande gloire de pouvoir mettre dans les fers un si grand chef ennemi ; mais c'en fut une bien plus grande de ne l'avoir pas voulu. (An de R. 497.)
3. A l'�gard des m�mes ennemis, le s�nat mit une �gale loyaut� � respecter leur droit d'entrer en relations avec lui par des d�putations. Sous le consulat de M. Aemilius L�pidus et de C. Flaminius il donna mission au pr�teur Claudius de livrer � des d�put�s carthaginois par le minist�re des f�ciaux L. Minucius et L. Manlius, pour avoir os� porter la main sur ces �trangers. Dans cette occasion le s�nat consid�ra ce qu'il se devait � lui-m�me, et non ce qu'il devait � ceux qui recevaient cette r�paration.
4. A son exemple le premier Scipion l'Africain, s'�tant rendu ma�tre d'un vaisseau o� se trouvaient un grand nombre d'illustres Carthaginois, les renvoya sans leur faire aucun mal, parce qu'ils se disaient envoy�s aupr�s de lui comme ambassadeurs. Il �tait cependant manifeste que c'�tait pour �chapper au p�ril du moment qu'ils s'�taient donn�, contrairement � la v�rit�, l'apparence d'une ambassade. Mais il aima mieux laisser croire qu'on avait surpris la bonne foi d'un g�n�ral romain que de faire penser qu'on y avait fait appel inutilement. (An de R. 550.)
5. Mettons encore sous les yeux du lecteur cette action du s�nat qu'il faut se garder d'omettre dans ce recueil. Des d�put�s, que la ville d'Apollonie avait envoy�s � Rome, furent, dans une discussion, frapp�s par les anciens �diles Q. Fabius et Cn. Apronius. D�s que le s�nat eut connaissance de ce fait, il livra ces derniers par le minist�re des f�ciaux aux d�put�s Apolloniates qu'il fit accompagner par un questeur jusqu'� Brindes, de peur qu'en route ils n'eussent � subir quelque offense des parents de leurs prisonniers. Qui voudrait ne voir dans le s�nat qu'une assembl�e de mortels et non pas plut�t le sanctuaire de la Bonne-Foi ? (An de R. 487.) Cette vertu Rome la pratiqua toujours g�n�reusement ; en revanche elle la trouva aussi toujours dans les dispositions de ses alli�s.

EXEMPLES ETRANGERS

1. Apr�s l'affreux d�sastre o� p�rirent deux Scipions et deux arm�es romaines, les Sagontins, oblig�s par les succ�s d'Hannibal de s'enfermer dans les murailles de leur ville et ne pouvant repousser plus longtemps les attaques carthaginoises, rassembl�rent sur la place publique tout ce qu'ils avaient de plus cher, ils amass�rent tout autour des mati�res combustibles auxquelles ils mirent le feu et, plut�t que d'abandonner notre alliance, ils se jet�rent eux-m�mes sur le b�cher commun. Il me semble que la Bonne-Foi elle-m�me, consid�rant les affaires humaines, dut �tre alors constern�e de voir cette fid�lit� si obstin�e condamn�e � une fin si cruelle par l'injustice de la fortune. (An de R. 534.)
2. La m�me vertu valut aux habitants de P�t�lia la m�me gloire. Assi�g�s par Hannibal pour n'avoir pas voulu renoncer � notre amiti�, ils envoy�rent des d�put�s implorer l'appui du s�nat. La d�faite de Cannes encore toute r�cente emp�cha de les secourir ; mais on leur permit de faire ce qu'ils jugeraient le plus utile pour leur conservation. Ils �taient donc libres d'embrasser le parti de Carthage. Cependant ils firent sortir de la ville les femmes et tous ceux que leur �ge rendait impropres au service militaire, afin de laisser aux combattants le moyen d'endurer plus longtemps la disette, et ils r�sist�rent dans leurs murailles avec la derni�re opini�tret�. Cette cit� expira tout enti�re plut�t que de manquer en aucun point � son alliance avec Rome. Ainsi le succ�s d'Hannibal consista � prendre, non pas la ville, mais le tombeau de P�t�lia qui t�moignait encore de sa fid�lit�. (An de R. )

CHAPITRE VII

De la fid�lit� des femmes envers leurs �poux.

1. Disons aussi quelques mots de la fid�lit� des femmes, envers leurs maris. Tertia Aemilia, �pouse du premier Scipion l'Africain, de qui elle eut Corn�lie, m�re des Gracques, avait tant de douceur et de patience que, tout inform�e qu'elle �tait de l'amour de son mari pour une de ses jeunes esclaves, elle n'en laissa rien para�tre. Elle ne voulut pas qu'on v�t un vainqueur du monde, un Scipion l'Africain, poursuivi en justice par une femme, un grand homme accus� par une �pouse irrit�e. Et loin d�en concevoir un d�sir de vengeance, apr�s la mort de Scipion, elle accorda la libert� � cette esclave et la donna en mariage � l'un de ses affranchis. (An de R. 57O.)
2. G. Lucr�tius avait �t� proscrit par les triumvirs, Turia, son �pouse, sans autre confidente qu'une esclave, le tint cach� entre la vo�te des combles et le plafond de sa chambre et le garantit ainsi de la mort qui le mena�ait, non sans courir elle-m�me un grand danger. Gr�ce � cette rare fid�lit�, pendant que les autres proscrits n'arrivaient � se sauver qu'en se r�fugiant chez des nations �trang�res et ennemies et au prix des pires souffrances physiques et morales, Lucr�tius vivait en s�ret� dans sa chambre et dans les bras de son �pouse. (An de R. 710.)
3. Sulpicia �tait �troitement surveill�e par sa m�re Julie qui voulait l'emp�cher de suivre en Sicile Lentulus Cruscellion, son mari, proscrit par les triumvirs. Elle n'en r�ussit pas moins � s'enfuir furtivement sous un costume d'esclave, avec deux servantes et deux serviteurs, et � se rendre aupr�s de lui. Elle accepta la proscription pour elle-m�me pour rester fid�le � son �poux proscrit. (An de R. 710.)

CHAPITRE VIII

De la fid�lit� des esclaves envers leurs ma�tres.

Il reste � parler des esclaves qui ont aussi gard� � leurs ma�tres une fid�lit� d'autant plus louable qu'elle �tait moins attendue.
1. Antoine, le c�l�bre orateur du temps de nos a�eux, �tait accus� d'inceste. Au cours de son proc�s, ses accusateurs ne cessaient de demander qu'un de ses esclaves f�t mis � la question, parce que, pr�tendaient-ils, quand il allait au rendez-vous, cet esclave portait une lanterne devant lui. Cet esclave �tait encore tr�s jeune. Il assistait aux d�bats m�l� au public et voyait bien qu'il s'agissait de le soumettre � des tortures ; n�anmoins il ne chercha pas � s'y soustraire. De retour � la maison, voyant l'embarras et l'inqui�tude d'Antoine augmenter � ce sujet, il lui conseilla spontan�ment de le livrer aux juges pour �tre tortur�, l'assurant qu'il ne sortirait de sa bouche aucun mot capable de nuire � sa cause. Il tint sa promesse avec une constance admirable : en effet d�chir� de mille coups de verges, �tendu sur un chevalet, br�l� m�me avec des lames chauff�es � blanc, il brisa tous les efforts de l'accusation et sauva la vie � l'accus�. On aurait bien raison de reprocher � la fortune d'avoir mis sous les apparences d'un esclave une �me capable d'un tel d�vouement et d'un tel courage. (An de R. 655.)
2. Le consul C. Marius, apr�s l'issue d�plorable du si�ge de Pr�neste, avait fait de vaines tentatives pour s'�chapper par un souterrain secret et T�l�sinus avec qui il avait r�solu de mourir ne lui avait fait qu'une l�g�re blessure. Mais un de ses esclaves, pour le d�rober � la cruaut� de Sylla, le tua en lui passant son �p�e au travers du corps, quoiqu'il s�t quelle magnifique r�compense lui �tait r�serv�e, s'il l'e�t livr� vivant aux mains des vainqueurs. Le service qu'il lui rendit par ce coup donn� si � propos ne le c�de en rien au d�vouement des esclaves qui ont prot�g� la vie de leurs ma�tres ; car, dans une telle conjoncture, ce qui aux yeux de Marius comptait comme un bienfait, c'�tait, non pas la vie, mais la mort. (An de R. 671.)
3. Le trait suivant n'est pas moins m�morable. C. Gracchus, pour ne pas tomber au pouvoir de ses ennemis, tendit la t�te au fer de Philocrate, son esclave, qui la lui trancha d'un seul coup et se plongea ensuite dans le coeur l'�p�e encore ruisselante du sang de son ma�tre. Selon d'autres auteurs, cet esclave s'appelait Euporus ; quant a moi, je ne dispute point sur le nom, je me contente d'admirer la fid�lit� si �nergique d'un esclave. Si son jeune ma�tre, qui �tait de haute naissance, avait eu la m�me force de caract�re, son bras aurait suffi, sans le secours d'un esclave, pour lui assurer le moyen d'�chapper aux supplices qui l'attendaient. En r�alit� il fit par sa conduite que le cadavre de Philocrate inspirait plus d'int�r�t que celui de Gracchus. (An de R. 632.)
4. Voici un autre grand nom et une autre d�mence, mais aussi un exemple pareil de fid�lit�. C. Cassius venait d'�tre vaincu � la journ�e de Philippes. Pindarus, qu'il avait r�cemment affranchi, lui trancha la t�te suivant son ordre et, apr�s l'avoir soustrait aux insultes de ses ennemis, se d�roba lui-m�me � la vue des hommes par une mort volontaire, sans que l'on p�t m�me retrouver son cadavre. Quel dieu, vengeur du plus horrible forfait, frappa d'engourdissement cette main nagu�re si ardente � faire p�rir le p�re de la patrie et l'immobilisa si bien que le meurtrier tout tremblant d�t supplier un Pindarus pour ne pas subir, au gr� de la pi�t� filiale du vainqueur, le juste ch�timent d'un assassinat qui atteignait la patrie ? C'est toi sans doute, � divin Jules, qui tiras alors une l�gitime vengeance des blessures faites � ton corps divin, en r�duisant un tra�tre envers toi si perfide � implorer un indigne secours et en troublant sa raison jusqu'� lui �ter et la volont� de vivre et la force de mourir de sa propre main. (An de R. 711.)
5. A ces malheurs vint s'ajouter celui de C. Plotius Plancus, fr�re de Munatius Plancus qui avait �t� consul et censeur. Proscrit par les triumvirs, il se tenait cach� dans les environs de Salerne ; mais la d�licatesse de son genre de vie et l'odeur de ses parfums trahirent le secret de la retraite qui le prot�geait. Les traces flottantes de son passage mirent sur la voie les espions lanc�s � la poursuite des malheureux condamn�s et, guid�s dans leurs recherches par leur odorat subtil, ils flair�rent le refuge du proscrit en fuite. Alors qu'il y �tait encore cach�, ses esclaves furent pris et soumis � une longue et cruelle torture ; mais ils soutenaient qu'ils ne savaient pas o� �tait leur ma�tre. Plancus ne put se r�soudre � laisser torturer plus longtemps des esclaves si fid�les et d'un d�vouement si exemplaire : il sortit de sa cachette et tendit la gorge au glaive des soldats. Devant cette lutte d'affection mutuelle, il est difficile de distinguer qui m�ritait mieux, du ma�tre ou des esclaves, l'un, d'�prouver une fid�lit� si constante de la part de ses esclaves, les autres, d'�tre d�livr�s des tourments de la question par la juste compassion de leur ma�tre. (An de R. 710.)
6. Et l'esclave d'Urbinus Panapion, quel �tonnant exemple de fid�lit� ! Il venait d'apprendre que, sur une d�nonciation de quelqu'un des domestiques, des soldats �taient venus dans la maison de campagne de R�ate pour tuer son ma�tre qui �tait proscrit. Aussit�t il change de v�tement avec lui, prend m�me son anneau, le fait secr�tement �chapper par une porte de derri�re, se retire dans sa chambre, se met sur son lit et se laisse tuer pour Panapion. L'action est bien courte � raconter, mais quelle abondante mati�re de louange ! En effet, qu'on veuille bien se repr�senter l'invasion subite des soldats, le fracas des portes qu'ils enfoncent, leurs voix mena�antes, leurs regards farouches, leurs armes �tincelantes et l'on se fera une id�e exacte du fait ; on pensera que, si l'on a bient�t dit qu'un homme voulut mourir pour un autre, il n'�tait pas aussi facile de le faire. Quant � Panapion, il reconnut le grand bienfait qu'il devait � son esclave, en lui �levant un magnifique tombeau et en attestant son d�vouement dans une �pitaphe o� s'exprimait sa gratitude. (An de R. 710.)
7. Je m'en serais tenu � ces exemples, si l'admiration ne me for�ait � en ajouter encore un. Antius Restion, qui avait �t� proscrit par les triumvirs, voyant ses domestiques occup�s � piller et � s'approprier son bien, s'�chappa de chez lui en se d�robant le plus secr�tement qu'il lui fut possible au milieu de la nuit. Mais son d�part, si secret fut-il, n'�chappa point � la surveillance attentive d'un esclave qu'il avait tenu dans les fers et qui portait l'empreinte ineffa�able des lettres dont il avait fl�tri son front. Cet esclave suivit avec un int�r�t affectueux les pas de son ma�tre qui errait � l'aventure et se mit de lui-m�me � lui faire escorte. Par ce service si d�licat et si p�rilleux, il avait, contrairement � ce qu'on pouvait attendre rempli tout son devoir de fid�lit� � l'�gard de son ma�tre. Alors que les esclaves dont le sort avait �t� plus heureux ; dans la maison ne songeaient qu'� des profits, lui qui n'�tait plus qu'une ombre portant les stigmates des supplices endur�s, jugea que le plus grand avantage pour lui �tait de sauver un homme qui l'avait puni si durement. C'�tait d�j� beaucoup de faire le sacrifice de son ressentiment ; il alla encore jusqu'� concevoir pour Antius de l'affection. Et sa bont� ne s'en tint pas l� : il trouva pour lui conserver la vie un exp�dient extraordinaire. S'�tant aper�u que des soldats avides de sang allaient les surprendre, il �carta son ma�tre, dressa un b�cher, saisit et tua un vieux mendiant et jeta son cadavre sur le feu. Les soldats bient�t apr�s lui demand�rent o� �tait Antius. "Le voil�, r�pondit-il en �tendant la main vers le b�cher, qui expie dans les flammes sa cruaut� envers moi." Il ne disait que des choses vraisemblables ; l'on ajouta foi � ses propos. Gr�ce � ce subterfuge, Antius trouva sans risques le moyen d'assurer ses jours.

CHAPITRE IX

Du changement survenu dans la vie et la fortune.

EXEMPLES ROMAINS

Rien n'est plus capable d'augmenter la confiance ou le diminuer l'inqui�tude que de se rappeler les changements survenus dans la vie et la fortune des hommes c�l�bres, soit que l'on consid�re sa propre situation ou celle de ses proches. En effet, lorsque, en envisageant le sort d'autrui, nous voyons l'illustration sortir d'une condition basse et m�pris�e, qui nous emp�che de penser toujours nous aussi � une am�lioration de notre sort ? N'oublions pas que c'est une folie de se condamner d'avance � un �ternel malheur, d'abandonner une esp�rance que, malgr� son incertitude, on a toujours raison d'entretenir et de se laisser aller � un d�sespoir parfois sans retour.
1. Manlius Torquatus passait dans les premi�res ann�es de sa jeunesse pour avoir l'esprit si obtus et si lourd que son p�re L. Manlius, personnage fort important, le croyant inapte aux affaires soit priv�es, soit publiques, l'avait rel�gu� � la campagne et le laissait s'�puiser dans les travaux de l'agriculture. Dans la suite, ce Manlius d�livra son p�re des dangers d'une accusation intent�e contre lui ; il fit trancher la t�te � son fils, quoique vainqueur, pour avoir combattu malgr� sa d�fense ; enfin, par un glorieux triomphe, il rendit courage � sa patrie �puis�e par les attaques des Latins. On dirait que la fortune avait r�pandu sur sa jeunesse cette obscurit� comme un nuage, pour rendre plus �clatante la gloire de sa vieillesse. (Ans de R. 391-413.)
2. Le premier Scipion l'Africain que les dieux firent na�tre pour montrer aux hommes en sa personne une image sensible de la perfection morale, mena, dit-on, pendant les premi�res ann�es de son adolescence une vie molle qui, sans m�riter d'�tre tax�e de d�bauche, �tait n�anmoins trop eff�min�e pour faire pr�voir les troph�es conquis sur Carthage et le joug impos� � cette cit� vaincue. (An de R. 552.)
3. C. Val�rius Flaccus, � l'�poque de la seconde guerre punique, passa dans les plaisirs le commencement de sa jeunesse. Mais P. Licinius, grand pontife, le nomma flamine dans le dessein de le retirer plus facilement du vice. D�s lors, l'esprit occup� du culte et des c�r�monies sacr�es, il apprit, sous l'influence de la religion, � mod�rer ses passions et, autant il avait donn� d'abord l'exemple de la d�bauche, autant il devint dans la suite un mod�le de temp�rance et de vertu.
4. Notre cit� n'a rien connu de plus d�cri� que la jeunesse de Q. Fabius Maximus qui, par sa victoire sur les Gaulois, acquit pour lui et pour sa post�rit� le surnom d' Allobrogique, ni non plus rien de plus honorable et de plus glorieux que la vieillesse du m�me Fabius.
5. Qui ne sait que dans la foule de nos grands hommes Q. Catulus, par la consid�ration qu'il s'est acquise, s'est class� en un rang �lev� ? Si l'on remontait au temps de sa jeunesse, on trouverait dans sa vie beaucoup de , dissipation et beaucoup de libertinage. N�anmoins, ces habitudes de mollesse ne l'emp�ch�rent pas de devenir le premier citoyen de la r�publique, de faire briller son nom au sommet du mont Capitolin et d'�touffer par son courage une guerre civile n�e d'un grand mouvement r�volutionnaire. (An de R. 676.)
6. L. Sylla, jusqu'au moment o� il fut candidat � la questure, se d�shonorait par la d�bauche, l'abus du vin et l'amour du th��tre. Aussi Marius, consul, fut, dit-on, tr�s m�content de voir que, alors qu'il avait � faire en Afrique une guerre si rude, le sort lui avait donn� un questeur si eff�min�. Cependant le m�me Sylla, brisant et for�ant pour ainsi dire le cercle de vices qui le tenaient prisonnier, chargea de cha�nes les mains de Jugurtha, contint Mithridate, apaisa les temp�tes de la guerre sociale, abattit la tyrannie de Cinna et r�duisit celui qui avait d�daign� en Afrique comme questeur � se r�fugier pr�cis�ment dans cette province comme proscrit et exil�. Si l'on voulait consid�rer et comparer attentivement deux conduites si diff�rentes et m�me si oppos�es, on serait tent� de penser qu'il y eut dans la m�me personne deux Syllas, un jeune d�bauch� et un homme que je qualifierais de brave, s'il n'avait pr�f�r� lui-m�me le surnom d'heureux. (Ans de R. 646-667.)
7. Maintenant que les grands ont �t� invit�s � faire un retour sur eux-m�mes par un acte de repentir salutaire, ajoutons � leur suite ceux qui ont eu l'ambition de s'�lever au-dessus de leur condition. T. Aufillius, pr�s avoir �t� charg� en Asie de la perception d'une toute petite partie des imp�ts, gouverna dans la suite cette province tout enti�re avec des pouvoirs de proconsul et nos alli�s ne s'offens�rent point d'�tre soumis aux faisceaux d'un homme qu'ils avaient vu tr�s empress� aupr�s d'autres autorit�s. Son administration fut m�me tr�s honn�te et tr�s brillante et il fit voir ainsi qu'on devait attribuer � la fortune son premier �tat et � ses propres vertus son �l�vation � sa nouvelle dignit�. (An de R. 600.)
8. P. Rupilius n'eut pas en Sicile une fonction de receveur d'imp�ts; il fut simplement aide des receveurs, se trouvant dans un d�nuement extr�me, il se mit aux gages des alli�s pour subsister. Dans la suite, il fit des lois pour toute la Sicile et d�livra ce pays de l'affreuse guerre des pirates et des esclaves fugitifs. Les ports m�mes de cette �le, si l'on peut supposer quelques sentiments aux choses inanim�es, durent sans doute �tre �tonn�s du si grand changement qui s'�tait fait dans la situation de cet homme. Celui qu'ils avaient connu salari� et pay� � la journ�e, ils le virent donner des lois et commander les flottes et les arm�es. (An de R. 621.)
9. A un tel exemple d'�l�vation, j'en ajouterai un autre encore plus grand. Apr�s la prise d'Asculum, Cn. Pompeius, p�re du grand Pomp�e, offrit � la vue du peuple romain, dans le cort�ge de son triomphe, un adolescent nomm� P. Ventidius (An de R. 664.) C'est ce Ventidius qui depuis vainquit les Parthes, traversa leur pays et entra � Rome en triomphateur apr�s avoir veng� les m�nes de Crassus tristement rest�s sans s�pulture sur une terre ennemie. Captif, il avait connu les horreurs de la prison; vainqueur, il remplit le Capitole de manifestations d'all�gresse. Le m�me Ventidius eut encore le bonheur singulier d'�tre nomm� pr�teur et consul dans la m�me ann�e. (Ans de R. 664-715.)
10. Consid�rons maintenant les vicissitudes du sort. L. Lentulus, apr�s avoir �t� consul, se vit condamn� pour concussion en vertu de la loi C�cilia, puis fut cr�� censeur avec L. Censorinus. Ainsi la fortune se plut � le ballotter entre les honneurs et les ignominies, faisant suivre son consulat de sa condamnation et sa condamnation de son �l�vation � la censure et ne le laissant ni jouir d'un bonheur continuel, ni g�mir �ternellement dans l'adversit�. (An de R. 606.)
11. Il lui plut de montrer la m�me puissance � l'�gard de Cn. Cornelius Scipion Asina. �tant consul, il fut pris par les Carthaginois pr�s des �les Lipari. En vertu du droit de la guerre, il avait tout perdu; mais bient�t apr�s, la fortune le secourut par un retour de sa faveur et lui lit tout recouvrer. Il fut m�me nomm� consul une seconde fois. Qui aurait pu croire que de la possession des douze faisceaux il passerait dans les prisons de Carthage ? Qui e�t pens� que des prisons de Carthage il reviendrait aux honneurs du pouvoir supr�me ? Et pourtant il devint bien de consul prisonnier et de prisonnier consul. (An de R. 493-499.)
12. Et Crassus, I'immensit� de sa fortune ne lui fit-elle pas donner le titre de riche ? Mais dans la suite son indigence le fit fl�trir du surnom hyperbolique et d�shonorant de mangeur. En effet, ses biens, comme il ne pouvait payer la totalit� de ses dettes, furent mis en vente par ses cr�anciers. Aussi ne lui �pargna-t-on pas cette cruelle raillerie : lorsque, apr�s sa ruine, il se promenait, ceux qui le rencontraient le saluaient du nom de riche. (An de R. 694.)
13. Mais le sort de Crassus fut moins cruel que celui de Q. C�pion. Une brillante pr�ture, un triomphe �clatant, l'honneur du consulat, la dignit� de grand pontife lui valurent le titre de protecteur du s�nat. Pourtant il rendit le dernier soupir dans la prison publique et son corps d�chir� par la main du bourreau et laiss� sur les marches des G�monies fut pour tout le Forum l'objet d'un horrible spectacle. (An de R. 648.)
14. Marius est remarquable surtout par sa lutte contre la fortune. Il en soutint tous les assauts avec le plus grand courage et avec une �gale vigueur de corps et d'esprit. Jug� indigne des honneurs � Arpinum, il osa demander la questure � Rome. Puis, sous le coup des refus qu'il avait subis, il for�a les portes du s�nat plut�t qu'il n'y entra. Dans la demande du tribunat et de l'�dilit�, il essuya encore au Champ de Mars une double humiliation. Il n'en fut pas moins candidat � la pr�ture. Il se classa le dernier des �lus et encore ne conserva-t-il pas sans risques cette derni�re place ; car il fut accus� de brigue et ce n'est qu'� grand-peine qu'il obtint des juges son acquittement. Cependant c'est ce Marius, si petit � Arpinum, ce candidat si inconnu � Rome et si d�daign�, qui devint le grand Marius qui soumit l'Afrique, qui fit marcher le roi Jugurtha devant son char de triomphe, qui an�antit les arm�es des Teutons et des Cimbres, celui dont on voit encore � Rome les deux troph�es, dont on lit les sept consulats dans les fastes consulaires, qui eut le bonheur au sortir de l'exil d'�tre cr�� consul et le pouvoir, apr�s avoir �t� proscrit, de proscrire � son tour. Quoi de plus variable et de plus changeant que le sort de cet homme ? Veut-on le ranger parmi les malheureux ? on le trouvera le plus malheureux de tous ; parmi les mortels heureux ? il le para�tra plus que tous. (Ans de R. 629-667.)
15. C. C�sar, qui s'est fray� le chemin du ciel par ses vertus, dans les premi�res ann�es de sa jeunesse allait en Asie comme simple particulier, lorsqu'il tomba entre les mains des pirates aux environs de l'�le de Pharmacuse. Il se racheta au prix de cinquante talents. Telle fut donc la modique somme que la fortune voulut qu'on pay�t, sur un brigantin de pirates, pour l'astre le plus brillant de l'univers. Pourquoi donc nous plaindre d�sormais de cette d�esse, puisqu'elle n'�pargne pas m�me ceux qui participent avec elle de la divinit� ? Au reste, le dieu sut venger lui-m�me son outrage : C�sar bient�t apr�s se rendit ma�tre des pirates et les fit mettre en croix. (An de R. 667.)

EXEMPLES �TRANGERS

1. Nous avons mis tout notre soin � rappeler des faits de notre histoire ; distrayons-nous maintenant a faire le r�cit des exemples �trangers.
Pol�mon, jeune Ath�nien perdu de d�bauches et qui aimait les plaisirs d'une vie d�r�gl�e et m�me le mauvais renom qui en r�sulte, sortait d'un banquet, non pas � la nuit tomb�e, mais le matin avant le lever du soleil. En revenant chez lui, il vit la demeure du philosophe X�nocrate ouverte et, tout appesanti par le vin, encore oint d'huiles parfum�es, la t�te couronn�e de fleurs, v�tu d'une robe transparente, il entra dans son �cole qui �tait remplie d'une foule d'hommes instruits. Il ne se contenta pas de s'y introduire avec une telle inconvenance ; il y prit place dans l'intention de ridiculiser la brillante �loquence du philosophe et ses sages enseignements avec des plaisanteries d'homme ivre. Une juste indignation s'�leva dans tout l'auditoire ; mais X�nocrate, sans changer de visage, laissa l'objet qu'il traitait et se mit � parler de la d�cence et de la temp�rance. L'�l�vation de ses paroles fit revenir Pol�mon � de meilleurs sentiments : il commen�a par �ter la couronne de sa t�te et la jeter � terre ; bient�t apr�s il ramena son bras sous son manteau ; ensuite il quitta l'air joyeux qui est de mise � table ; enfin il renon�a � toutes ses habitudes de vie dissolue et, gu�ri par l'effet de ce seul discours, comme par le plus salutaire des rem�des, d'inf�me d�bauch� il devint grand philosophe. Son �me ne fit que passer � travers la corruption sans s'y fixer. (Av. J.-C. 330.)

2. Il m'en co�te de parler de la jeunesse de Th�mistocle. Puis-je songer sans peine � son p�re qui le d�sh�rita honteusement, ou � sa m�re que l'opprobre de sa conduite r�duisit � se pendre ? Et cependant il devint dans la suite le plus illustre de tous les grands hommes de la Gr�ce, et il fut tour � tour l'esp�rance ou le d�sespoir de l'Europe et de l'Asie : l'une dut son salut � sa protection, l'autre se l'attacha comme un garant de la victoire. (Av. J.-C. 479.)
3. Cimon, dans son enfance, passa g�n�ralement pour stupide ; mais quand il fut devenu homme, les Ath�niens reconnurent les bons effets de son commandement et il les for�a ainsi � se taxer eux-m�mes de sottise pour l'avoir suppos� sans intelligence.
4. On dirait que deux fortunes diff�rentes se sont partag� la vie d'Alcibiade, l'une pour lui donner tous les biens, naissance illustre, abondantes richesses, beaut� accomplie, faveur publique, hautes dignit�s, puissance sup�rieure, g�nie ardent, l'autre pour lui infliger tous les maux, condamnation, exil, confiscation, pauvret�, haine de la patrie, mort violente. Et ces biens et ces maux ne lui vinrent pas tous � la fois, mais ils s'entrem�l�rent et altern�rent, comme le flux et le reflux.
5. La vie de Polycrate, tyran de Samos, �tait si brillante et l'abondance de ses biens frappait tellement la vue qu'il �tait, non sans raison, un objet d'envie. En effet, toutes ses entreprises r�ussissaient sans difficult� ; ses d�sirs suffisaient pour lui assurer la possession de ce qu'il d�sirait ; � peine ses voeux �taient-ils formul�s qu'ils �taient satisfaits ; vouloir et pouvoir �taient pour lui m�me chose. Une seule fois la s�r�nit� de son visage fut troubl�e sous le coup d'un court acc�s de tristesse : ce fut lorsqu'il jeta dans la mer un anneau auquel il tenait beaucoup, dans le dessein de n'�tre pas tout � fait �tranger au malheur. N�anmoins, il recouvra cet anneau aussit�t apr�s, par la prise du poisson qui l'avait aval�. Mais ce Polycrate, dont la fortune avait toujours �t� comme port�e heureusement par les vents favorables, fut, par ordre d'Oronte, satrape de Darius, mis en croix au sommet du mont Mycale. L�, son cadavre d�compos�, ses membres tombant en putr�faction, cette main � qui Neptune avait, par les soins d'un p�cheur, rendu son anneau, alors toute fl�trie et corrompue, furent offerts en spectacle aux Samiens rendus � la libert� et � la joie apr�s un temps d'oppression et de p�nible servitude.
6. Denys, qui avait re�u en h�ritage de son p�re le pouvoir souverain sur Syracuse et sur presque toute la Sicile, qui poss�dait d'immenses richesses, qui avait � ses ordres des arm�es, des flottes, de la cavalerie, fut r�duit par l'indigence � montrer � lire � de jeunes enfants dans la ville de Corinthe. En m�me temps, de "tyran", devenu ma�tre d'�cole, par un si profond changement de condition, il enseigna aux hommes plus avanc�s en �ge � ne pas se fier trop � la fortune. (Av. .J.-C. 343.)
7. Apr�s Denys vient le roi Syphax qui �prouva autant que lui l'injustice du sort. Rome et Carthage, dans la personne de Scipion et dans la personne d'Hasdrubal, �taient venues chez lui, devant ses dieux domestiques, solliciter son amiti�. Mais, alors qu'il �tait parvenu � ce comble de gloire, d'�tre en quelque sorte l'arbitre de la victoire entre les deux peuples les plus puissants, il fut peu apr�s charg� de cha�nes et tra�n� devant Scipion par Laelius, lieutenant de ce g�n�ral, et celui auquel il avait, du haut de son tr�ne, tendu la main avec orgueil le vit se jeter � ses pieds en suppliant. (Ans de R. 547-550.)
Qu'ils sont p�rissables, fragiles et semblables � des jouets d'enfants, ces biens que l'on nomme puissance et richesses humaines ! Ils arrivent tout � coup et soudain disparaissent. Nulle part ni chez personne ils ne sont � demeure et solidement fix�s. Mais, emport�s �a et l� comme les �lots par le souffle inconstant de la fortune, apr�s nous avoir �lev�s au comble de la prosp�rit�, par leur reflux subit ils nous laissent retomber et nous plongent tristement dans un ab�me de mis�res. Aussi ne doit-on pas consid�rer comme des biens, ni qualifier de ce nom des faveurs capables, par le regret qu'elles nous laissent, de doubler l'amertume de nos malheurs.

 

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