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texte num�ris� et mis en page par Fran�ois-Dominique FOURNIER

(Notes en grec relues et corrig�es - F. D. F)

 

 
 

Flavius Jos�phe

 
 

ANTIQUITES JUDA�QUES

LIVRE XIX

texte grec

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ANTIQUITES JUDA�QUES

Flavius Jos�phe

Traduction de Julien Weill

 Sous la direction de
Th�odore  Reinach

Membre de l�Institut
 

1900
Ernest Leroux, �diteur - Paris

 

 

 
 

LIVRE XIX

I

1-2. Folies et cruaut�s de Caligula. - 3-11. Complot de Cassius Ch�r�a. 12-14. Assassinat de Caligula.- 15-20. D�sordres dans Rome apr�s la mort de l'empereur.

[1] 1. Non seulement Gaius montra sa violence insens�e contre les Juifs de J�rusalem et tous ceux qui habitent cette r�gion, mais encore il la d�ploya sur toutes les terres et les mers qui sont soumises aux Romains, qu'il remplit de maux innombrables et inou�s. [2] C'est � Rome surtout qu'il sema la terreur de ses actes, car il n'avait pas plus d'�gards pour elle que pour les autres villes : il pillait et maltraitait les uns ou les autres de ses habitants, notamment les s�nateurs et surtout les patriciens et ceux qu'illustrait l'�clat de leurs anc�tres. [3] Innombrables �taient aussi ses inventions contre les chevaliers, que leur dignit� et leur puissance financi�re font consid�rer par les citoyens comme les �gaux des s�nateurs, d'autant que c'est dans leurs rangs qu'on recrute le s�nat ; Caius les frappait de d�gradation civique et d'exil, les mettait � mort et confisquait leurs biens. [4] S'il les massacrait, c'�tait le plus souvent afin de pouvoir les d�pouiller de leur fortune. En outre, il se d�ifiait lui-m�me et exigeait de ses sujets des honneurs surhumains. Il allait souvent au temple de Jupiter appel� Capitole, le plus honor� de tous les sanctuaires romains, et il osait nommer Jupiter son fr�re. [5] Il ne s'abstenait d'ailleurs d'aucun acte de folie : ainsi, comme il devait aller de Dicearchia, ville de Campanie, � Mis�ne, autre ville maritime, et. qu'il jugeait p�nible de faire la travers�e en trir�me, pensant du reste qu'il lui revenait, [6] comme ma�tre de la mer, exiger autant d'elle que de la terre, il r�unit les deux promontoires, distants de trente stades, en fermant enti�rement le golfe et il lan�a son char sur la digue ; puisqu'il �tait dieu, il lui convenait de s'ouvrir de tels chemins. [7] Quant aux temples grecs, il n'omit d'en piller aucun et ordonna qu'on lui apportait tout ce qu'il y avait de peintures ou de sculptures et tout ce qui �tait conserv� l� comme statues et objets votifs ; il ne convenait pas, en effet, que de belles choses fussent plac�es ailleurs que dans l'endroit le plus beau, lequel n'�tait autre que la ville de Rome. [8] Des �uvres ainsi rassembl�es, il ornait son palais (01), ses jardins et ses autres r�sidences situ�es � travers l'Italie. Il osa m�me ordonner de transf�rer � Rome le Jupiter honor� par les Grecs � Olympie et nomin� Olympien, �uvre de l'Ath�nien Phidias. [9] Il n'y r�ussit pourtant pas, parce que les architectes dirent � Memmius Regulus (02), charg� du transfert de ce Jupiter, que la statue serait bris�e si on la d�pla�ait. On dit m�me que pour cela, et aussi en raison de prodiges plus grands que tout ce qu'on peut croire, Memmius diff�ra l'enl�vement. [10] Il l'�crivit � Caius pour s'excuser d'avoir laiss� ses ordres sans ex�cution ; se trouvant par suite en danger de mort, il fut sauv� parce que la mort de Caius devan�a la sienne.

[11] 2. La folie de Caius devint telle que, comme une fille lui �tait n�e, il la fit porter au Capitole pour la d�poser sur les genoux de la statue, disant que l'enfant lui �tait commun avec Jupiter et qu'il lui choisissait ainsi deux p�res, [12] ne d�cidant point lequel �tait le plus grand. Et les hommes supportaient une telle conduite! Il permit m�me aux esclaves d'accuser leurs ma�tres en �non�ant contre eux des griefs quelconques. [13] Or, tous ceux qu'on pouvait mettre en avant �taient graves, parce qu'on agissait le plus souvent pour lui faire plaisir ou � son instigation. Ainsi l'esclave Pollux osa accuser Claude, et Caius accepta d'�couter une accusation contre son propre oncle paternel, dans l'espoir qu'il trouverait le moyen de se d�barrasser de lui ; mais il n'y r�ussit pas. [14] Lorsqu'il eut rempli de d�lations et de crimes tout l'univers qui lui �tait soumis et excit� les esclaves � r�gner sur leurs ma�tres, il se forma contre lui de nombreux complots ; car les uns, exasp�r�s par ce qu'ils avaient subi, voulaient se venger, tandis que les autres voulaient se d�livrer de cet homme avant de succomber eux-m�mes aux grandes calamit�s qui les mena�aient. [15] Aussi sa mort devait-elle �tre un grand et bienfaisant �v�nement pour tous et la s�curit� commune, ainsi que pour notre peuple (03), qui aurait risqu� de p�rir si Caius n'�tait pas mort rapidement. [16] C'est pourquoi je veux raconter avec exactitude ce qui le concerne, d'autant que sa fin est une grande preuve de le puissance de Dieu, une consolation pour ceux qui sont dans le malheur, un avertissement pour ceux qui croient que leur f�licit� est durable et n'aboutira pas � une catastrophe s'ils n'y joignent la vertu.

[17] 3. Sa mort �tait pr�par�e par trois voies ; chaque complot �tait dirig� par des hommes de valeur. Emilius Regulus, de Cordoue en Ib�rie, r�unissait quelques gens d�cid�s � tuer Caius de leur main ou de la sienne. [18] Un autre groupe s'unit � celui-l�. ; le tribun Cassius Ch�r�a en �tait le chef. Enfin, Annius Vinucianus (04) avait un assez gros parti de conjur�s contre la tyrannie. [19] Les causes de l'ardeur qui le portait � attaquer Caius �taient, pour R�gulus, sa nature toujours irascible et sa haine � l'�gard de tous les actes injustes ; car il avait dans le caract�re quelque chose de g�n�reux et de lib�ral, si bien qu'il �tait incapable de dissimuler ses r�solutions. Il en fit part � bien des gens qui �taient ses amis et � d'autres qui paraissaient des hommes d'action. [20] Vinucianus voulait d'abord venger Lepidus (05), car celui-ci, qui �tait un de ses amis intimes et un citoyen d'�lite, avait �t� mis � mort. par Caius. De plus, Vinucianus avait des craintes personnelles, parce que Caius assouvissait sa col�re contre tous �galement leur infliger la mort ; voila pourquoi il entama cette entreprise. [21] Ch�r�a �tait honteux des reproches de l�chet� dont Caius l'accablait, et comme chaque jour il courait des dangers par suite de son amiti� et de son z�le pour lui, il supposait que la mort de celui-ci �tait un acte digne d'un homme libre (06). [22] On dit que tous examin�rent en commun leurs plans, parce qu'ils �taient �galement menac�s des violences de Caius et voulaient �chapper, apr�s l'avoir tu�, � un pouvoir fort remis aux mains de quelque autre ; peut-�tre, en effet, r�ussiraient-ils; en cas de succ�s, il serait beau que de tels hommes, pour assurer le salut de l'�tat, assumassent les charges du pouvoir et, apr�s la perte de Caius, prissent en mains les affaires. [23] Ce qui stimulait surtout Ch�r�a, c'�tait le d�sir d'une renomm�e plus grande et aussi le fait qu'il pouvait attaquer Caius avec le moindre risque, parce que ses fonctions de tribun lui donnaient des facilit�s pour le tuer.

[24] 4. A ce moment-l� il y avait des courses de chevaux, spectacle tr�s en faveur chez les Romains. Ils se r�unissent avec empressement � l'hippodrome et l�, assembl�s en masse, ils font entendre aux empereurs ce qu'ils d�sirent ; les empereurs, quand ils jugent leurs pri�res fond�es, n'opposent pas de refus. [25] On demanda donc � Caius, avec d'instantes pri�res, un all�gement des imp�ts et une remise des droits qui �taient. intol�rables. Mais il ne voulait pas de cela et comme les clameurs augmentaient, envoya de c�t� et d'autre des soldats pour arr�ter les criards et les mener sur le champ � la mort. [25] A peine donn�s par lui, les ordres furent ex�cut�s par ses agents ; il y eut beaucoup de victimes. Le peuple, � cet aspect, se tint coi et cessa m�me ses cris, car il voyait, de ses yeux que ceux qui demandaient � �tre dispens�s du tribut �taient rapidement mis � mort. [27] Cela excita davantage Ch�r�a � pousser son complot et � mettre fin aux cruaut�s de Caius contre l'humanit�. Souvent, il fut sur le point de tuer l'empereur pendant des festins, mais un scrupule le retenait, non qu'il h�sit�t encore � le tuer, mais parce qu'il guettait le moment favorable, ne voulant pas agir en vain, mais ex�cuter ce qui avait �t� d�cid�.

[28] 5. Il y avait d�j� longtemps qu'il servait dans l'arm�e et �tait m�content de la conduite de Caius. Celui-ci l'avait pr�pos� � la perception des imp�ts et de toutes les autres dettes arri�r�es que r�clamait le tr�sor imp�rial ; comme leur montant se trouvait doubl�, il accorda des d�lais de payement, plut�t de son propre mouvement que sur l'ordre de Caius. [29] Il avait, en effet, pris en piti�, parce qu'il faut m�nager l'infortune, ceux qui �taient sous le coup de cette contribution. Aussi excitait-il la col�re de Caius qui lui reprochait sa mollesse, son retard � faire rentrer ses revenus. Caius l'insultait de mille mani�res : en particulier, lorsqu'il donnait le mot d'ordre pour la journ�e o� il �tait de service, il choisissait un nom f�minin et tout � fait d�shonorant. [30] Il faisait cela tout en ne laissant pas lui-m�me de participer � la c�l�bration de certains myst�res, en rev�tant des costumes f�minins, en projetant de se faire mettre sur la t�te des tresses de cheveux et tout ce qui peut simuler l'aspect d'une femme: pourtant, il osait rejeter sur Ch�r�a l'opprobre de telles pratiques. [31] Ch�r�a, lorsqu'il recevait le mot d'ordre, �tait pris de col�re; mais il �tait encore plus irrit� quand il le transmettait � d'autres parce qu'il devenait un objet de ris�e pour eux si bien que les autres tribuns plaisantaient � son sujet car, chaque fois que c'�tait � lui d'aller demander � l'empereur le mot d'ordre, ils pr�disaient qu'il rapporterait comme d'habitude un motif de plaisanterie. [31] Ces raisons lui inspiraient de l'audace pour s'adjoindre des conjur�s, car ce n'�tait pas aveugl�ment qu'il c�dait � sa col�re. Il y avait, un s�nateur, Pompedius (07), qui avait presque parcouru toutes les dignit�s, d'ailleurs �picurien, ce qui lui faisait d�sirer une vie oisive. [33] Il fut accus� par son ennemi Timidius d'avoir prof�r� contre Caius des insultes ind�centes. Timidius citait comme t�moin Quintilia, une femme de th��tre, tr�s courtis�e pour sa beaut� par bien des gens et notamment par Pompedius. [34] Comme cette femme jugeait odieux - car c'�tait un mensonge - de contribuer par son t�moignage � la mort de son amant, Timidius demanda qu'on recour�t � la torture. Caius, exasp�r�, ordonna � Ch�r�a de torturer Quintilia sur le champ, car il employait d'habitude Ch�r�a pour les meurtres et les supplices, dans l'id�e qu'il le servirait avec plus de rigueur pour �chapper au reproche de l�chet�. [35] Quintilia, men�e � la question, marcha sur le pied d'un de ses complices pour lui laisser entendre qu'il devait avoir bon courage et ne pas craindre les tourments qu'elle subirait, car elle se conduirait avec courage. Ch�r�a la tortura cruellement, non de son plein gr�, mais parce que la n�cessit� l'y for�ait ; et comme elle n'avait pas faibli, il l'amena sous les yeux de Caius, dans un �tat qui excitait la piti� des spectateurs. [36] Caius, l�g�rement �mu en voyant l'�tat lamentable o� les tortures avaient r�duit Quintilia, la d�clara absoute de l'accusation ainsi que Pompedius et lui donna m�me de l'argent pour compenser les dommages qu'elle avait subis pour rester digne au milieu de souffrances indicibles.

[37] 6. Tout cela affligeait beaucoup Ch�r�a parce qu'il avait �t�, dans l'exercice de son pouvoir, la cause de maux pour des gens que Caius m�me avait jug�s dignes de piti�. Il dit � Clemens (08) et � Papinius (09), le premier pr�fet du pr�toire, le second tribun : Clemens, pour la garde de l'empereur nous n'avons rien n�glig� ; de tous ceux qui ont conspir� contre son pouvoir, gr�ce � notre pr�voyance et � nos fatigues, nous avons tu� les uns et tortur� les autres au point que Caius m�me en a eu piti�. Avec quelle valeur, entre temps, ne conduisons-nous pas l'arm�e ! [39] Clemens garda le silence, car la honte avec laquelle il avait support� les ordres re�us se trahissait par son regard et sa rougeur ; mais il ne croyait pas bon de bl�mer par des paroles la folie de l'empereur, soucieux qu'il �tait de sa s�ret�. [40] Ch�r�a, d�sormais enhardi, se met � parler sans craindre de danger, lui �num�re les maux dont souffrent Rome et l'empire . [41] D'apr�s ce qu'on dit, c'est Caius qui est regard� comme leur auteur ; mais pour ceux qui cherchent � se rendre compte de la v�rit�, c'est moi, Clemens, et Papinius que voici, et plus que nous toi-m�me qui faisons subir ces tortures � tout le genre humain, en suivant non pas les ordres de Caius, mais notre volont�. [42] En effet, alors qu'il nous �tait loisible de faire cesser toutes ses injustices contre les citoyens et les sujets, nous lui ob�issons en nous faisant, au lieu de soldats, gardes et bourreaux et en portant les armes, non pour la libert� et la puissance des Romains, mais pour le salut de celui qui asservit leurs corps et leurs �mes, nous souillant sans cesse de leur sang et de leurs tortures, jusqu'au jour o� quelqu'un, � nos d�pens, rendra le m�me service � Caius. [43] Cela ne fait pas qu'il nous commande avec bienveillance, mais plut�t avec suspicion, puisque la grande masse des morts l'enrichit ; jamais la col�re de Caius ne s'arr�tera, parce que son but n'est pas la vengeance, mais le plaisir ; et nous aussi nous en serons les objets, alors que nous devrions assurer � tous la s�curit� et la libert� et d�cider de nous d�livrer nous-m�mes de ces p�rils.

[44] 7. Clemens louait ouvertement les dispositions de Ch�r�a, mais il l'invitait � se taire, de peur que, si ses propos �taient rapport�s � d'autres et si tout ce qu'il valait mieux cacher se divulguait avant qu'ils eussent agi, leur entreprise ne f�t r�v�l�e et eux-m�mes ch�ti�s ; c'�tait au contraire � l'avenir et � l'espoir qu'il autorisait qu'ils devaient se lier enti�rement, parce qu'il pouvait leur arriver quelque secours fortuit ; [45] quant � lui, sa vieillesse lui interdisait une telle audace. � Mais, � Ch�r�a, peut-�tre pourrais-je conseiller quelque chose de plus prudent que ce que tu as combin� et dit ; mais comment pourrait-on sugg�rer rien de plus honorable ?   [46] Clemens se retira chez lui, tout troubl�, r�fl�chissant sur ce qu'il avait entendu et dit lui-m�me. Ch�r�a, inquiet, se h�ta d'aller chez Cornelius Sabinus (10), qui lui aussi �tait tribun et que d'ailleurs il savait homme de valeur et, ami de la libert�, ce qui le disposait � �tre l'ennemi du gouvernement. [47] Ch�r�a voulait imm�diatement ex�cuter les d�risions prises pour le complot et jugeait bon de se l'adjoindre, car il craignait que Clemens ne les trahit et d'ailleurs il pensait que les d�lais et les atermoiements ne sont favorables qu'aux puissants.

[48] 8. Or, Sabinus accueillit ses paroles avec joie, car il avait lui-m�me des projets arr�t�s et, s'il s'�tait tu jusqu'alors, c'�tait par embarras de trouver quelqu'un � qui les communiquer en s�curit�. Une fois donc qu'il eut rencontr� un homme non seulement dispos� � taire ce qu'il apprendrait, mais encore capable de r�v�ler sa propre pens�e, il fut encore bien plus excit� et pria instamment Ch�r�a de ne pas tarder. [49] Ils se rendent aupr�s de Vinucianus qui, par son aspiration � la vertu et par son z�le �gal pour les nobles actions, �tait une �me parente de la leur. Il �tait suspect � Caius � cause de la mort de Lepidus ; [50] en effet, une grande amiti� avait uni Vinucianus et Lepidus, notamment � cause des dangers qu'ils reliraient ensemble ; car Caius �tait redoutable pour tous ceux qui �taient rev�tus d'une charge publique et ne cessait, dans sa folie, de s�vir contre chacun d'eux, quel qu'il f�t. Ils se savaient l'un et l'autre m�contents de cette situation, bien que la crainte du danger les emp�ch�t de se r�v�ler ouvertement leur pens�e et leur haine contre Caius. Ils n'en sentaient pas moins qu'ils le d�testaient et ne se faisaient pas faute de se t�moigner, dans cette pens�e commune, un d�vouement r�ciproque.

[52] 9. Ils rencontr�rent donc Vinucianus lui donn�rent des marques d'estime, car d�j�, dans leurs rencontres pr�c�dentes, ils avaient pris l'habitude de lui rendre hommage, tant � cause de la sup�riorit� de son rang, - c'�tait, en effet, le plus noble de tous les citoyens, - que pour les louanges que lui valaient toutes ses qualit�s et principalement son �loquence. [53] Vinucianus, parlant le premier, demanda � Ch�r�a quel mot d'ordre il avait re�u pour celle journ�e. En effet, toute la ville se r�p�tait l'insulte faite � Ch�r�a lors de la transmission du mot d'ordre. [54] Ch�r�a, indiff�rent � ces paroles moqueuses, remercia Vinucianus de lui t�moigner assez. de confiance pour vouloir s'entretenir avec lui : C'est toi, dit-il, qui me donnes pour mot d'ordre : Libert�. Gr�ces te soient. rendues de m'avoir excit� plus encore que je n'avais coutume de le faire moi-m�me. Je n'ai pas besoin d'autres paroles d'encouragement, si tu es du m�me avis que moi. [55] Nous avons partag� les m�mes pens�es avant m�me de nous �tre rencontr�s. Je ne porte qu'une �p�e, mais elle suffira pour deux. [56] Va donc, mettons-nous � l'�uvre, sois mon guide dans la route o� tu m'ordonneras de marcher, ou bien m�me je marcherai le premier en comptant sur ton assistance. Le fer ne manque pas � ceux qui apportent � l'action une �me qui rend le fer efficace. [57] Je m'y suis lanc� sans �tre troubl� par la pens�e de ce que je peux avoir � souffrir, car je n'ai pas le temps de songer aux dangers que je cours, lorsque je souffre de voir la plus libre des patries r�duite � l'esclavage, la force des lois an�antie et la mort, [58] suspendue sur tous les hommes du fait de Caius. Puiss�-je donc �tre jug� par toi digne de confiance pour cette entreprise, puisque je n'h�site pas � �tre du m�me avis que toi � son sujet. �

[59] 10. �mu de ces paroles ardentes, Vinuciianus embrassa avec joie et lui inspira encore plus d'audace par ses louanges et ses caresses ; puis, apr�s des pri�res et des voeux ils se s�par�renl. [60] D'autres accrurent encore l'effet de ce qui avait. �t� dit entre eux. Comme Ch�r�a entrait au s�nat, une voix s'�leva de la foule. : [61] Ach�ve donc ce que tu as � faire et que Dieu t'aide ! � Ch�r�a avait d'abord soup�onn� que quelqu'un des conjur�s l'avait trahi et allait le faire prendre, mais bient�t il comprit que c'�tait un encouragement, soit qu'� l'instigation de ses complices quelqu'un lui e�t donn� � son tour un signal, soit que Dieu lui-m�me, qui dirige les affaires humaines, l'e�t ainsi excit� � agir. [62] Le complot comptait, en effet, beaucoup de participants, et ils �taient tous l� en armes, qu'ils fussent s�nateurs, chevaliers on soldats conjur�s. Car il n'y avait personne qui n'e�t compt� comme un bonheur la disparition de Caius. [63] Aussi tous s'effor�aient-ils, dans la mesure o� chacun le pouvait, de ne pas le c�der en vertu � autrui dans une telle circonstance, et chacun s'exaltait de toute sa volont� et de tout son pouvoir, tant en paroles qu'en actes, pour le meurtre du tyran. [64] Parmi les conjur�s �tait Calliste (11), affranchi de Caius, qui, plus que tout autre, �tait parvenu au comble de la puissance, �gale � celle du tyran, gr�ce � la crainte qu'il inspirait � tous et � la grande fortune qu'il avait acquise ; [65] car il �tait tr�s v�nal et tr�s insolent, � l'�gard de tous, usant de son pouvoir contre toute raison. Il connaissait. d'ailleurs le naturel de Caius, implacable et ne supportant aucun d�lai, et il se connaissait personnellement, de nombreuses raisons d'�tre en p�ril, notamment la grandeur de sa fortune [66] Aussi servait-il Claude en passant secr�tement de son c�t�, dans l'espoir que l'empire reviendrait � celui-ci si Caius disparaissait et que lui m�me trouverai, dans une puissance semblable � celle qu'il occupait, un pr�texte � obtenir des honneurs, s'il avait eu soin de gagner d'avance la gratitude de Claude et une r�putation de d�vouement � son �gard. [67] Il osa dire qu'ayant re�u l'ordre d'empoisonner Claude il avait trouv� mille moyens de diff�rer la chose. [68] Mais Calliste me semble avoir forg� ce r�cit pour prendre Claude dans ses filets, car si Caius avait �t� r�solu � se d�barrasser de Claude, il n'aurait point tol�r� les atermoiements de Calliste et celui-ci, s'il avait re�u l'ordre, se serait gard� d'en diff�rer l'ex�cution, ou n'e�t pas contrevenu � l'ordre de son ma�tre sans recevoir imm�diatement son salaire. [69] C'�tait donc quelque puissance divine qui avait prot�g� Claude des fureurs de Caius, et Calliste avait seulement simul� un bienfait o� il n'�tait pour rien.

[70] 11. L'entourage de Ch�r�a retardait de jour en jour l'entreprise parce que la majorit� des conjur�s h�sitait; ce n'�tait pas, en effet, de son plein gr� que Ch�r�a diff�rait, car il consid�rait tout moment comme favorable. [71] Souvent, lorsque Caius montait au Capitole pour offrir des sacrifices en faveur de sa fille, l'occasion se pr�sentait. Tandis qu'il se tenait au dessus de la basilique (12) et lan�ait au peuple de l'or et de l'argent, on pouvait le pr�cipiter de ce toit �lev� surplombant le Forum ; [72] ou encore, dans la c�l�bration des c�r�monies qu'il avait institu�es, alors qu'il ne se m�fiait de personne, pr�occup� qu'il �tait de s'y remporter avec dignit� et se refusant � croire que quelqu'un p�t tenter alors quelque chose contre lui. [73] M�me si aucun signe ne venait des dieux, Ch�r�a pouvait faire mourir Caius, et il aurait la force de le supprimer m�me sans arme. Grande �tait l'irritation de Ch�r�a contre ses complices, car il craignait que les occasions ne vinssent, � manquer. [74] Les autres avouaient qu'il avait raison et que c'�tait dans leur int�r�t qu'il les pressait ; n�anmoins, ils lui demandaient encore un court d�lai de peur que, si l'entreprise �chouait, il n'y e�t des troubles dans la ville, qu'on ne recherch�t tous les confidents de la tentative et que, lorsqu'ils voudraient agir, leur courage ne f�t rendu inutile parce que Caius se garderait mieux contre eux. [75] II convenait donc de se mettre � l'�uvre pendant. que les f�tes se d�rouleraient au Palatin. On les c�l�bre en l'honneur de C�sar (13), qui s'est le premier appropri� le pouvoir du peuple. A une petite distance en avant du palais est �lev�e une tribune de charpente, d'o� regardent les patriciens, leurs femmes et leurs enfants, et l'empereur lui-m�me. [76] Les conjur�s auraient donc toute facilit�, quand tant de milliers de personnes seraient press�es dans un �troit espace, pour attaquer Caius � son entr�e, sans que ses gardes, si m�me quelques-uns le voulaient, pussent lui porter secours.

[77] 12. Ch�r�a �tait donc arr�t�. Quand les f�tes furent arriv�es, il �tait d�cid� qu'il tenterait l'entreprise d�s le premier jour ; mais la fortune, qui accordait, des d�lais, �tait plus forte que les d�cisions prises par les conjur�s. Comme on avait laiss� �couler les trois premiers jours consacr�s, ce fut � grand peine le dernier jour, que l'on passa � l'action. [78] Ch�r�a, ayant convoqu� les conjur�s, leur dit: : Le long espace de temps perdu nous reproche d'avoir ainsi diff�r� ce que nous avons voulu avec tant de vertu ; mais ce qui serait grave, c'est qu'une d�nonciation fit �chouer notre tentative et accr�t l'audace de Caius. [79] Ne voyons-nous pas que nous enlevons � la libert� tous les jours que nous conc�dons en plus � la tyrannie de Caius, quand nous devrions nous d�livrer nous-m�mes de craintes pour l'avenir et contribuer � la f�licit� des autres, tout en nous assurant pour toujours une grande admiration et un grand honneur ? [80] Comme ils ne pouvaient nier que ces paroles fussent nobles, ni cependant accepter ouvertement l'entreprise, ils gardaient un profond silence : Pourquoi, dit-il, � mes nobles compagnons, tergiversons-nous ? Ne voyez vous pas qu'aujourd'hui est le dernier jour des f�tes et que Caius va s'embarquer ? [81] En effet, il se pr�parait � partir pour Alexandrie afin de visiter l'�gypte. Il sera beau pour nous de laisser �chapper de nos mains cette honte que l'orgueil romain prom�nera sur terre et sur mer ! [82] Comment ne nous jugerions-nous pas justement accabl�s d'opprobre si quelque �gyptien le tuait, estimant que son insolence est intol�rable pour des hommes libres ? [83] Pour moi, je ne supporterai pas davantage vos pr�textes et aujourd'hui m�me je marcherai au p�ril en bravant avec joie ses cons�quences m�me sous le coup du danger, je ne diff�rerai pas. En effet, qu'arriverait-il le pire, pour un homme qui a de la fiert�, que de laisser tuer Caius de mon vivant par un autre qui me ravirait ce titre de gloire.

[84] 13. Parlant ainsi, il s'�tait excit� lui-m�me � agir et avait donn� de l'audace aux autres ; tous donc avaient le d�sir de commencer sans d�lai l'entreprise. [85] D�s l'aurore, Ch�r�a se trouva au palais ceint de l'�p�e des cavaliers, car c'est l'habitude pour les tribuns de la porter quand ils demandent le mot d'ordre � l'empereur et ce ,jour-l� c'�tait � lui de le recevoir. [86] A ce moment le peuple partait vers le palais pour jouir d'avance du spectacle au milieu du tumulte et de la bousculade, car Caius aimait � voir la h�te de la foule en cette circonstance ; aussi n'avait-on r�serv� aucune enceinte aux s�nateurs ou aux chevaliers, et tous �taient assis p�le-m�le, les femmes avec les hommes, les esclaves avec les hommes libres. [87] Caius, � qui l'on avait fray� un passage, sacrifia � C�sar Auguste en l'honneur de qui se c�l�braient les f�tes; quand une des victimes tomba, la toge d'un s�nateur, Asprenas, fut �clabouss�e de sang. Cela fit rire Caius, mais c'�tait �videmment. un pr�sage pour Asprenas (14), qui fut massacr� avec Caius. On dit que ce jour-l� Caius, contrairement � sa nature, fut tr�s affable et montra dans ses entretiens une politesse qui frappa d'�tonnement tous ceux qui se trouvaient l�. [89] Apr�s le sacrifice, il s'assit pour regarder le spectacle, ayant autour de lui ses principaux familiers. [90] Voici comment �tait dispos� le th��tre que l'on �chafaudait chaque ann�e. Il avait deux portes, donnant l'une sur l'espace libre, l'autre sur un portique, pour que les entr�es et les sorties ne d�rangeassent pas ceux qui �taient enferm�s � l'int�rieur et pour que de la tente elle-m�me, qui �tait divis�e en deux par une cloison, les acteurs et les musiciens pussent sortir. [91] Toute la foule �tait donc assise et Ch�r�a �tait avec les tribuns � peu de distance de Caius ; l'empereur se tenait du c�t� droit du th��tre. Un certain Vatinius, de l'ordre s�natorial, ancien pr�teur, demanda � Cluvius (15), personnage consulaire qui �tait assis � c�t� de lui, s'il avait entendu parler de la r�volution ; mais il prit soin que ses paroles ne puissent �tre entendues. [92] L'autre lui r�pondant qu'il ne savait rien : C'est assur�ment aujourd'hui, lui dit-il, Cluvius, qu'on repr�sente la mort du tyran . Et Cluvius : Noble ami, tais-toi, de peur que quelque autre Ach�en n'entende tes paroles (16). On jeta aux spectateurs beaucoup de fruits et d'oiseaux que leur raret� faisait appr�cier de ceux qui les obtenaient, et Caius se r�jouissait � voir les luttes et les disputes des spectateurs pour se les approprier en des arrachant � d'autres. [94] Alors il se produisit deux pr�sages : on repr�senta un mime o� l'on crucifiait un chef de brigands ; d'autre part, le pantomime joua le drame de Cinyras (17) o� celui-ci se tue lui-m�me ainsi que sa fille Myrrha, et il y avait beaucoup de sang artificiellement r�pandu tout autour du crucifi� que de Cinyras. [96] On est d'accord que la date �tait celle o� Philippe, fils d'Amynthas (18) et roi de Mac�doine, fut tu� par Pausanias, un de ses compagnons, � son entr�e dans le th��tre. [96] Caius se demandait s'il assisterait au spectacle jusqu'au bout, parce que c'�tait le dernier jour, ou s'il se baignerait et prendrait son repas avant de revenir, comme il l'avait fait auparavant. Vinucianus, qui �tait assis au dessus de Caius, [97] craignant que le moment favorable ne pass�t en vain, se leva lorsqu'il vit Ch�r�a prendre �galement les devants et se h�ta d'aller � sa rencontre pour l'encourager. Caius, le saisissant par sa toge, lui dit amicalement : O� donc vas-tu, mon cher ? Et lui se rassit comme par respect pour l'empereur, mais plut�t parce que la peur le dominait; puis, apr�s avoir laiss� s'�couler un moment, il se leva de nouveau. [98] Alors Caius ne l'emp�cha plus de sortir, croyant qu'il allait. dehors pour satisfaire un besoin. Asprenas qui, lui aussi, faisait partie du complot, invitait Caius � sortir comme d'habitude pour aller se baigner et manger et ne revenir qu'ensuite, car il voulait que ce qu'on avait d�cid� f�t men� � bonne fin.

[99] 14. Les compagnons de Ch�r�a se plac�rent les uns les autres l� o� il le fallait ; chacun devait rester � son poste et ne pas abandonner ses amis � l'�uvre. Ils supportaient avec peine le retard impos� � leur entreprise, car on �tait d�j� presque � la neuvi�me heure du jour. [100] Comme Caius tardait, Ch�r�a songeait � revenir pour l'attaquer � sa place; il pr�voyait pourtant que cela entra�nerait le meurtre de beaucoup de s�nateurs et de chevaliers qui se trouvaient l�. Il n'en �tait pas moins d�cid�, parce qu'il jugeait utile de consentir � ces morts si l'on achetait � ce prix la s�curit� et la libert� de tous. [101] Comme ils �taient d�j� tourn�s vers l'entr�e du th��tre, on annon�a que Caius s'�tait lev� et il y eut quelque tumulte. Les conjur�s firent volte-face et �cart�rent la foule, sous pr�texte que Caius ne l'aimait gu�re, en r�alit� parce qu'ils voulaient assurer leur s�curit� et l'isoler de ses d�fenseurs avant de le tuer. [102] Devant Caius marchaient Claude, son oncle, et Marcus Vinicius (19), le mari de sa s�ur, ainsi que Valerius Asiaticus ; les conjur�s, l'eussent-ils voulu, n'auraient pu leur barrer le passage par respect pour leur dignit�. [103] Caius suivait avec Paulus Arruntius. Lorsqu'il fut � l'int�rieur du palais il quitta la voie directe o� �taient dispos�s les esclaves de service, et o� ceux qui entouraient Claude s'�taient d�j� engag�s ; [104] il tourna par un couloir d�sert et obscur pour gagner les bains et aussi pour voir des esclaves arriv�s d'Asie, les uns pour chanter les hymnes des myst�res qu'il c�l�brait, les autres pour ex�cuter des pyrrhiques sur les th��tres. [105] Ch�r�a vint � sa rencontre et lui demanda le mot d'ordre. Comme Caius lui en donna un qui pr�tait � rire, Ch�r�a, sans h�siter, l'insulta et, tirant son �p�e, lui une blessure grave, mais non mortelle. [106] Quelques-uns disent que c'est � dessein que Ch�r�a ne tua pas Caius d'un seul coup, pour le ch�tier plus cruellement par des blessures r�p�t�es. [107] Mais cela me para�t invraisemblable, parce que la crainte ne permet pas de raisonner dans ces sortes d'actes ; si Ch�r�a avait eu cette id�e, je le regarderais comme le plus grand des sots puisqu'il aurait mieux aim� c�der � sa haine que de d�barrasser imm�diatement ses complices et lui-m�me de tout danger, et cela quand il y avait encore bien des moyens de se courir Caius si l'on ne se h�tait pas de lui faire rendre l'�me. Ch�r�a aurait pourvu non au ch�timent de Caius, mais � celui de ses amis et au sien propre, [108] si, alors qu'il pouvait, apr�s avoir r�ussi, �chapper en silence � la col�re des vengeurs de Caius, il avait, sans savoir s'il r�ussirait, voulu sottement se perdre lui-m�me en m�me temps que l'occasion favorable. Mais libre � chacun de juger comme il l'entend en cette mati�re. [109] Caius fut accabl� par la douleur caus�e par sa blessure, car l'�p�e, enfonc�e entre le bras et le cou, fut arr�t�e par la clavicule. Il ne poussa aucun cri d'effroi et n'appela � son aide aucun de ses amis, soit par la d�fiance, soit simplement qu'il n'y ait pas pens�; mais apr�s avoir g�mi sous la douleur excessive, il s'�lan�a en avant pour fuir. [110] Cornelius Sabinus, le rencontrant alors qu'il le croyait: d�j� ex�cut�, le pousse et le fait tomber � genoux ; beaucoup de gens l'entourent, et, sur un seul cri d'exhortation, le frappent de leurs �p�es, s'encourageant mutuellement � rivaliser (20). Enfin, de l'aveu de tous, c'est Aquila qui lui porta le dernier coup qui l'acheva. [111] Mais c'est � Ch�r�a qu'il faut reportes l'acte ; en effet, bien qu'il ait agi avec de nombreux compagnons, il fut le premier � former le projet en pr�voyant, bien avant tous les autres, comment il fallait proc�der, et le premier aussi � communiquer hardiment son dessein aux autres. [112] Puis, lorsqu'ils eurent approuv� son projet de meurtre, il rassembla ces gens dispers�s, et apr�s avoir tout combin� avec sagesse, il manifesta sa grande sup�riorit� quand il fallut exposer un plan. Il les convainquit, par des paroles excellentes alors qu'ils h�sitaient et les d�cida � agir. [113] Lorsque le montent fut venu de mettre la main � la besogne, l� encore on le vit s'�lancer le premier, commencer courageusement le meurtre et livrer Caius aux autres dans un �tat qui permettait de le tuer facilement et pour ainsi dire � demi-mort. Aussi est-ce � bon droit, quoique le reste des conjur�s ait pu faire, qu'on peut tout attribuer � la volont�, au courage et m�me au bras de Ch�r�a.

[114] 15. Donc Caius, ayant subi ce genre de mort, gisait inanim�, perc� de mille blessures. [115] Mais, apr�s l'avoir tu�, les compagnons de Ch�r�a voyaient qu'il ne leur �tait pas possible de se sauver en reprenant le m�me chemin. Ils �taient effray�s de leur acte, car un danger grave les mena�ait, ayant tu� un empereur honor� et ch�ri par une populace insens�e. Les soldats allaient bient�t. les rechercher non sans verser du sang. [116] D'ailleurs le passage o� ils avaient accompli leur acte �tait �troit, obstru� par la grande masse des serviteurs et des soldats qui, ce jour-l�, �taient de garde pr�s de l'empereur. [117] Aussi, prenant une autre route, ils arriv�rent � la maison de Germanicus, p�re de ce Caius qu'ils venaient de tuer. Cette maison �tait adjacente au palais, avec lequel elle ne faisait. qu'un, bien que les �difices construits par chacun des empereurs eussent un nom particulier d'apr�s ceux qui les avaient fait construire ou en avaient les premiers habit� une partie. [118] Ayant �chapp� � la foule qui survenait, ils se trouvaient pour l'instant en s�curit�, car on ignorait encore la gravit� de ce qui �tait arriv� � l'empereur. [119] Les Germains furent les premiers � conna�tre la mort de Caius ; c'�taient ses gardes, tirant leur nom du peuple o� on les enr�lait et dans lequel se recrutait la l�gion celtique. [120] Chez eux la col�re est un trait national, ce qui, d'ailleurs, n'est pas rare chez certains autres barbares, car ils raisonnent peu leurs actes. Ils ont une grande force physique et, quand ils attaquent l'ennemi du premier �lan, ils ont de grandes chances de r�ussir l� o� ils se jettent. [121] Les Germains, � la nouvelle du meurtre de Caius, furent tr�s afflig�s, parce qu'ils ne jugeaient pas l'empereur d'apr�s sa vertu ni d'apr�s l'int�r�t g�n�ral, mais d'apr�s leur int�r�t particulier. Caius leur �tait tr�s cher � cause des dons d'argent par lesquels il achetait leur d�vouement. Ils tir�rent donc leurs �p�es. [122] Ils avaient pour chef Sabinus, qui devait son grade de tribun non � son m�rite ou � la noblesse de ses anc�tres - c'�tait un ancien gladiateur - mais � sa force physique qui lui avait donn� de l'autorit� sur de tels hommes. [123] Parcourant le palais pour d�couvrir les meurtriers de l'empereur, ils mirent en pi�ces Asprenas qu'ils rencontr�rent d'abord et dont la toge �tait souill�e du sang des sacrifices, comme je l'ai dit auparavant, pr�sage sinistre de ce qui lui arriva. Le deuxi�me. qu'ils rencontr�rent fut Norbanus (21), un des citoyens les plus nobles, qui avait plus d'un imperator parmi ses anc�tres ; [124] ils ne t�moign�rent pas le moindre respect pour sa dignit�. Norbanus, confiant en sa force, arracha son �p�e au premier de ceux qui l'attaquaient corps � corps et montra ainsi qu'il ne mourrait pas sans leur donner du mal, jusqu'� ce qu'envelopp� par la masse des assaillants il tomba cribl� de mille blessures. [125] Le troisi�me fut Anteius (22), un des premiers de l'ordre s�natorial. Il rencontra les Germains, non par hasard comme les pr�c�dents, mais par curiosit�, pour la joie de contempler lui-m�me Caius � terre et de satisfaire ainsi sa haine contre lui ; car le p�re d'Anteius, qui portait le m�me nom, avait �t� exil� par Caius qui, non content de cela, avait envoy� des soldats pour le tuer. [126] Il �tait donc venu pour se r�jouir de la vue du cadavre; mais alors que la maison �tait pleine de tumulte et qu'il pensait � se cacher, il n'�chappa point aux Germains qui, dans leurs investigations diligentes, massacr�rent �galement les coupables et les autres. Voil� comment ces hommes furent tu�s.

[127] 16. Au th��tre, lorsque le bruit de la mort de Caius se r�pandit, il y eut de la stupeur et de l'incr�dulit�. Les uns, bien qu'accueillant cette perte avec beaucoup de joie et quoiqu'ils eussent donn� beaucoup pour que ce bonheur arriv�t, �taient incr�dules par crainte. [128] D'autres n'y croyaient pas du tout, parce qu'ils ne souhaitaient pas que rien de tel arriv�t et ne voulaient pas acceptes la v�rit�, jugeant impossible qu'un homme e�t la force d'accomplir un pareil acte. [129] C'�taient des femmes et de tout jeunes gens, les esclaves et quelques-uns des soldats. Ces derniers, en effet, recevaient leur solde de Caius, l'aidaient � exercer la tyrannie et, servant ses caprices injustes en tourmentant les plus puissants des citoyens, en tiraient � la fois des honneurs et. des profits. [130] Quant aux femmes et aux jeunes gens, ils �taient s�duits, comme c'est l'habitude de la populace, par les spectacles, les combats de gladiateurs, le plaisir de certaines distributions de vivres, toutes choses faites, disait-on, dans l'int�r�t du peuple romain, en r�alit� pour satisfaire la folie et la cruaut� de Caius. [131] Enfin les esclaves avaient la possibilit� d'accuser et de m�priser leurs ma�tres, et il leur �tait permis de recourir � la protection de Caius apr�s les avoir insult�s ; en effet, on les croyait volontiers dans leurs mensonges contre leurs ma�tres et, en d�non�ant leur fortune, ils pouvaient s'assurer non seulement la libert�, mais la richesse, gr�ce � la r�compense donn�e aux accusateurs, qui s'�levait au huiti�me des biens. [132] Quant aux patriciens, m�me si certains trouvaient la nouvelle vraisemblable, les uns parce qu'ils avaient eu vent du complot, les autres parce qu'ils le souhaitaient, ils taisaient non seulement leur joie de la nouvelle, mais m�me leur opinion sur sa v�racit�. [133] Les uns craignaient qu'un faux espoir n'entrain�t leur ch�timent s'ils se h�taient trop de d�couvrir leur pens�e ; les autres, qui �taient au courant, parce qu'ils participaient � la conjuration, s'en cachaient encore davantage, parce qu'ils s'ignoraient les uns les autres et craignaient, en parlant � des gens que le maintien du tyran contentait, d'�tre d�nonc�s et punis si Caius vivait. [134] En effet, un autre bruit �tait r�pandu : Caius avait re�u des blessures, mais n'�tait pas mort ; il vivait et se trouvait entre les mains des m�decins qui le soignaient. [135] Et il n'y avait personne en qui l'un e�t assez confiance pour lui d�voiler sa pens�e : si c'�tait un ami de Caius, il �tait suspect de favoriser le tyran lui t�moignait, de la haine, sa malveillance ant�rieure d�truisait la confiance en ses propos. [136] Certains disaient aussi - ce qui faisait perdre aux patriciens l'espoir qui leur donnait du courage - que, sans se soucier du danger ni s'occuper de faire soigner ses blessures, Caius, tout ensanglant�, s'�tait, pr�cipit� au Forum et y haranguait le peuple. [137] Or, cela �tait invent� par l'irr�flexion de ceux qui voulaient bavarder et produisait des effets oppos�s selon les sentiments des auditeurs. Mais nul ne quittait son si�ge, par crainte de se voir charg� d'une accusation en sortant le premier ; car ce ne serait pas d'apr�s la disposition qu'on avait en sortant qu'on serait jug�, mais d'apr�s celle que voudraient imaginer les accusateurs et les juges.

[138] 17. Quand une foule de Germains eut entour� le th��tre, l'�p�e nue, tous les spectateurs s'attendirent � p�rir ; � l'entr�e du premier venu, l'effroi les saisissait comme s'ils aillaient sur le champ �tre massacr�s. Ils h�sitaient, n'osant pas sortir et ne croyant pas sans danger de rester. [139] Bient�t les Germains font irruption et une clameur s'�l�ve dans tout le th��tre ; on se met � supplier les soldats comme si l'on ignorait tout, tant au sujet. les r�solutions prises pour une r�volte, s'il y en avait une, qu'au sujet des �v�nements accomplis ; [140] il fallait donc les �pargner et ne pas ch�tier des innocents pour le crime audacieux d'autrui, mais se mettre � la recherche de l'auteur du m�fait, quel qu'il f�t. [141] Ils disaient cela et plus encore, en pleurant et en se frappant le visage ; ils attestaient les dieux et, suppliaient, en raison de la proximit� du danger, disant tout ce qu'on dit lorsqu'un lutte pour sauver sa vie. [142] La col�re des soldats fut bris�e par ces paroles et ils se repentirent de leur projet contre les spectateurs; car il leur semblait cruel, bien qu'ils fussent exasp�r�s et eussent plant� sur l'autel les t�tes d'Asprenas et d'autres victimes. [143] Les spectateurs furent tr�s �mus � cette vue parce qu'ils consid�raient la dignit� des morts et plaignaient leurs souffrances ; aussi s'en fallut-il de peu que leurs propres p�rils les bouleversaient moins que cette vue, car l'issue �tait incertaine, en admettant m�me qu'ils pussent finalement �chapper. [144] M�me certains de ceux qui ha�ssaient violemment Caius, et avec raison, se voyaient priv�s de leur joie et de leurs plaisirs (23) parce qu'ils se trouvaient en passe de perdre la vie avec lui et n'avaient pas encore d'espoir ferme et assur� de survivre.

[145] 18. Or, il y avait un certain Evaristus Arruntius, crieur public des ventes, qui, gr�ce � la force de sa voix, avait acquis une richesse �gale � celle des Romains les plus opulents. Il avait le pouvoir de faire � Rome ce qu'il voulait, autant � ce moment l� que dans la suite. [146] Il feignit alors l'affliction la plus grande qu'il lui f�t possible de montrer ; pourtant, il ha�ssait Caius au plus haut point ; mais la le�on de la crainte et la ruse n�cessaire pour assurer sa s�curit� personnelle furent plus puissantes que sa joie pr�sente. [147] Ayant donc rev�tu tous les ornements qu'on se procure pour le deuil des morts les plus respect�s, il annon�a la mort de Caius de la sc�ne du th��tre o� il �tait mont� et mit ainsi fin � l'ignorance du public touchant. les �v�nements. [148] Paulus Arruntius ensuite le tour du th��tre en interpellant les Germains : avec lui, les tribuns les invit�rent � d�poser les armes et leur annonc�rent la mort de Caius. [145] Cela sauva tr�s certainement tous les gens rassembl�s dans le th��tre et tous ceux qui se trouvaient quelque part en contact. avec les Germains, car, tant que ceux-ci gardaient l'espoir que Caius vivait ils pouvaient se livrer � toutes les violences. [150] La bienveillance de Caius envers eux avait �t� telle qu'ils auraient, m�me au prix de leur propre vie, voulu le sauver du complot et d'un tel malheur. Mais ils cess�rent de s'exciter � la vengeance des qu'ils connurent sa mort d'une mani�re certaine, parce que l'�lan de leur d�vouement se montrerait en vain apr�s le tr�pas de celui qui aurait pu les r�compenser et parce qu'ils craignaient, en allant trop loin dans la col�re, d'�tre ch�ti�s soit par le s�nat, s'il reprenait le pouvoir, soit par l'empereur qui succ�derai,. [152] Ainsi, bien qu'� grand-peine, les Germains laiss�rent tomber la rage qui les avait saisis � la suite de la mort de Caius.

[153] 19. Ch�r�a �tait tr�s inquiet au sujet. de Vinucianus et craignait qu'il n'e�t p�ri en tombant parmi les Germains en fureur ; aussi abordait-il les soldats un � un en leur demandant de veiller � son salut et en enqu�tant avec beaucoup de soin pour savoir s'il n'avait pas �t� tu�. [154] Clemens rel�cha Vinucianus qu'on lui avait amen�, car avec beaucoup d'autres s�nateurs il reconnaissait la justice de l'acte, la vertu de ceux qui l'avaient con�u et n'avaient pas craint de l'accomplir ; il disait que le tyran fleurit peu de temps dans sa joie de faire le mal, [155] qu'il ne se pr�pare pas une fin heureuse parce que les gens vertueux le ha�ssent, et qu'il finit par �prouver un malheur semblable � celui de Caius. [156] Ce dernier, m�me avant la r�volte et la conspiration ourdies, avait conspir� contre lui-m�me ; par les injustices qui le rendaient intol�rable et par son m�pris des lois, il avait appris � ceux qui lui �taient le plus d�vou�s � devenir ses ennemis ; si ceux-ci passaient � pr�sent, pour avoir tu� Caius, c'�tait lui-m�me, en r�alit�, qui avait caus� sa propre perte.

[157] 20. Alors le th��tre fut d�barrass� des gardes qui, au d�but, avaient �t� si cruels. Celui qui permit aux spectateurs de s'enfuir librement fut le m�decin Alcyon ; surpris en train de soigner des bless�s, il renvoya ceux qui l'entouraient sous pr�texte de faire chercher ce qu'il jugeait n�cessaire pour soigner les blessures, mais en r�alit� pour leur permettre d'�chapper au danger qui les mena�ait. [158] Pendant ce temps le s�nat s'assembla, ainsi que le peuple qui se r�unit sur le Forum comme il en avait l'habitude et cela pour rechercher les meurtriers de Caius - le peuple avec beaucoup d'ardeur le s�nat pour la forme.
[159] Valerius Asiaticus, personnage consulaire, vint se placer au milieu du peuple en tumulte. Indign� qu'on n'eut pas encore d�couvert les meurtriers de l'empereur, il dit � ceux qui l'interrogeaient avidement sur l'auteur du forfait : [160]
Si seulement c'�tait moi ! Les consuls affich�rent un �dit o� ils accusaient Caius et invitaient le peuple et les soldats � se retirer chacun chez soi, tout en faisant esp�rer au peuple une large remise d'imp�ts et aux soldats des r�compenses s'ils conservaient l'ordre habituel sans se laisser entra�ner � des violences. En effet, on craignait que, s'ils se mettaient en fureur, la ville ne subit une catastrophe, parce qu'ils se mettraient � voler et � piller les temples. [161] D�j� toute la foule des s�nateurs s'�tait h�t�e de se r�unir, surtout ceux qui avaient complot� le meurtre de Caius, enhardis et pleins d'une grande fiert�, pare que le pouvoir �tait. d�sormais entre leurs mains.

II

1. Les pr�toriens emm�nent Claude dans leur camp. - 2-3. Discours r�publicain de Cn. Sentius Saturninus au s�nat (24). - 4. Meurtre de la femme et de la fille de Caligula. - 5. Caract�re de Caligula.

[162] 1.Telle �tait la situation quand soudain Claude fut tra�n� hors de sa maison. Les soldats, qui s�taient r�unis et avaient discut� entre eux sur se qu'il convenait de faire, avaient compris qu'il �tait impossible que le peuple p�t se placer � la t�te d'affaires si importantes et que, d'ailleurs, ils n'avaient pas int�r�t � ce qu'une telle puissance lui appart�nt. [163] D'autre part, si l'un des conjur�s avait l'empire, il les g�nerait de toute fa�on, puisqu'ils ne l'auraient pas aid� � conqu�rir le pouvoir. [164] Il fallait donc, pendant que rien n'�tait encore d�cid�, choisir pour souverain Claude, oncle paternel du mort et qui ne le c�dait � aucun membre du s�nat pour le m�rite de ses anc�tres et les �tudes qu'il avait faites. [165] Si les soldats le faisaient empereur, il leur accorderait les honneurs qui leur revenaient et les r�compenserait par des distributions d'argent. [166] La r�solution ainsi prise fut imm�diatement mise � ex�cution. Claude avait donc �t� enlev� par les soldats. Mais bien qu'ayant appris cet enl�vement de Claude, qui feignait de pr�tendre � l'empire malgr� lui, tout en le faisant en r�alit� de son plein gr�, Cn. Sentius Saturninus se leva au milieu du s�nat et, sans crainte, pronon�a un discours qui convenait � des hommes libres et g�n�reux :

[167] 2. Bien que la chose puisse para�tre incroyable, � Romains, parce que l'�v�nement se produit apr�s un long temps et alors que nous en d�sesp�rions, voici donc que nous avons l'honneur d'�tre libres, sans savoir � la v�rit� combien cette libert� durera, car elle est soumise � la volont� des dieux qui nous l'ont accord�e. Elle suffit pourtant, � nous r�jouir et, m�me si nous la perdons ensuite, elle aura contribu� � notre f�licit�. [168] Car une seule heure suffit � ceux qui ont le sentiment de la vertu si on la vit avec une volont� libre dans une patrie libre, gouvern�e par les lois qui la firent jadis prosp�re. [169] Je ne puis me rappeler la libert� d'autrefois parce que je suis n� apr�s elle ; mais, jouissant avec pl�nitude et intensit� de celle d'aujourd'hui, je puis dire heureux ceux qui y seront n�s et y seront �lev�s, et dignes d'honneurs �gaux � ceux des dieux les hommes [170] qui, bien que tardivement et en ce jour seulement nous l'ont fait go�ter. Puisse-t-elle rester sans atteinte pour tous les temps � venir ! Mais ce jour seul suffirait � ceux d'entre nous qui sont jeunes comme � ceux qui sont vieux, car c'est toute une �ternit� que re�oivent ceux-ci s'ils meurent en profitant des biens que procure ce jour. [171] Pour les plus jeunes, c'est un apprentissage de la vertu qui a fait le bonheur des hommes dont nous descendons. Maintenant donc, nous ne devons, � l'heure actuelle, rien estimer de plus important que de vivre avec la vertu, car seule elle donne � l'humanit� l'id�e de la libert�. [172] Pour ma part, en effet, j'ai appris le pass� par ou�-dire et, par ce dont j'ai �t� t�moin oculaire, j'ai compris de quels maux la tyrannie afflige les �tats. Elle emp�che toute vertu, enl�ve aux gens magnanimes l'ind�pendance, enseigne la flatterie et la crainte, parce qu'elle remet les affaires non � la sagesse des lois, mais � l'humeur des ma�tres. [173] Depuis que Jules C�sar a m�dit� de d�truire la R�publique et a troubl� l'�tat en violant l'ordre et la l�galit�, depuis qu'il a �t� plus fort que la justice, mais moins que son impulsion � rechercher son int�r�t personnel, il n'est aucun malheur qui n'ait d�chir� l'�tat ; [174] car tous ceux qui lui ont succ�d� au pouvoir ont rivalis� entre eux pour abolir les lois de nos anc�tres et pour faire dispara�tre surtout les citoyens nobles, croyant leur propre s�curit� int�ress�e � la fr�quentation de gens de peu. Non seulement donc ils abaissaient ceux qu'on jugeait �minents par leur vertu mais ils d�cidaient de les perdre compl�tement. [175] Bien que ces empereurs aient �t� plusieurs et qu'ils aient montr� chacun une duret� insupportable dans leur r�gne, Caius, qui est mort aujourd'hui, a commis � lui seul plus d'atrocit�s que tous les autres r�unis, en donnant libre cours � une rage grossi�re non seulement contre ses compatriotes, mais encore ses proches et ses amis, en leur infligeant � tous indistinctement des maux tr�s grands sous le pr�texte injuste de se venger d'eux et en d�cha�nant sa col�re �galement contre les hommes et contre les dieux. [176] En effet, la tyrannie ne se contente pas de profiter des plaisirs � sa port�e, d'abuser de la violence, de l�ser les gens dans leur fortune ou leurs femmes, mais elle consid�re comme son principal avantage d'inqui�ter ses ennemis dans toute leur famille. [177] Or, tout �tat libre est un ennemi pour la tyrannie, dont il est impossible de s'assurer la bienveillance m�me � qui se soucie peu de tout ce qu'elle lui inflige. En effet, les tyrans connaissent bien les maux dont ils ont accabl� certaines gens, m�me si ces derniers m�prisent magnanimement le sort, et. ils ne peuvent. se cacher � eux-m�mes ce qu'ils ont fait ; aussi croient-ils ne pouvoir jouir de toute s�curit� � l'�gard des suspects que s'ils peuvent les an�antir. [178] D�livr�s de ces maux et soumis seulement les uns aux autres, poss�dant ainsi le gouvernement qui garantit le mieux la concorde pr�sente, la s�curit� future, la gloire et la prosp�rit� de l'Etat, vous avez le droit d'examiner chacun � l'avance ce que r�clame le bien commun, ou de donner � votre tour votre avis, si une proposition pr�sent�e auparavant n'a pas votre agr�ment. [179] Cela ne vous fera courir aucun danger parce que vous n'aurez pas au dessus de vous un ma�tre irresponsable qui peut faire du tort � tout l'�tat e qui a pleins pouvoirs pour supprimer ceux qui ont exprim� leur pens�e. [180] Rien n'a mieux nourri ici la tyrannie de nos jours que la l�chet� et l'absence de toute opposition � ses volont�s. [181] Car, amoindris par les s�ductions de la paix et ayant appris � vivre comme des esclaves, nous sentions tous que nous souffrions des maux insupportables et nous assistions aux malheurs de notre entourage; mais, craignant de mourir avec gloire, nous attendions une fin entach�e de la pire des hontes. [182] Il faut d'abord d�cerner les plus grands honneurs � ceux qui ont supprim� le tyran, et surtout � Cassius Ch�r�a. On a vu cet homme � lui seul, avec l'aide des dieux, nous donner la libert� par sa volont� et par son bras ; [183] il ne convient pas de l'oublier, et puisque, sous la tyrannie, il a � la fois tout pr�par� et couru le premier des dangers en faveur de notre libert�, il faut, maintenant que nous sommes libres, lui d�cerner des honneurs et faire ainsi en toute ind�pendance notre premi�re manifestation. [184] Il est, en effet, tr�s beau et digne d'hommes libres de r�compenser des bienfaiteurs tels que Ch�r�a l'a �t� envers nous tous : il ne ressemble en rien � Cassius et � Brutus, les meurtriers de C�sar, car ceux-l� ont rallum� dans l'�tat des �tincelles de discorde et de guerre civile, tandis que celui-ci a d�livr� l'�tat, apr�s avoir tu� le tyran, de tous les maux qu'il avait d�cha�n�s sur nous.

[185] 3. Sentius parlait ainsi, et les s�nateurs et tous les chevaliers pr�sents accueillaient ses paroles avec joie. Alors un certain Trebellius Maximus s'�lan�a et enleva � Sentius sa bague o� se trouvait, ench�ss�e une pierre taill�e � l'effigie de Caius; car, dans sa h�te � parler et � agir comme il le voulait, Sentius l'avait, croyait-on, oubli�e, et la gemme fut bris�e. [186] La nuit �tait tr�s avanc�e ; Ch�r�a demanda le mot d'ordre aux consuls ; ceux-ci le lui donn�rent : Libert�s . Ce qui se passait les �tonnait eux-m�mes et leur semblait presque incroyable ; [187] car c'�tait cent ans apr�s (25) la suppression de la R�publique que le pouvoir de donner le mot d'ordre revenait aux consuls. En effet, avant que l'�tat f�t aux mains d'un tyran, c'�taient eux qui dirigeaient les affaires militaires. [188] Ch�r�a ayant pris le mot d'ordre, le transmit � ceux des soldats qui �taient rassembl�s pr�s du s�nat. Il y avait l� environ quatre cohortes qui jugeaient l'absence de souverain plus honorable que la tyrannie. [189] Elles partirent avec les tribuns, et d�j� le peuple commen�ait � se retirer, tr�s joyeux de ses esp�rances, plein de respect pour celui qui lui avait rendu le pouvoir, et non plus pour un empereur. Ch�r�a �tait tout pour lui.�

[190] 4. Mais Ch�r�a �tait indign� que la fille et la femme de Caius fussent encore en vie et que son ch�timent ne se f�t pas �tendu � toute sa maison, car tout ce qui en subsisterait ne survivrait que pour la perte de l'�tat et des lois. Prenant � c�ur de mener � bout son dessein et de satisfaire compl�tement sa haine contre Caius, il envoya Lupus, un des tribuns, tuer la femme et la fille de Caius. [191] C'est parce qu'il �tait parent de Clemens que l'on proposa � Lupus une telle mission ; en effet ayant pris part, ne f�t-ce qu'en cela, au tyrannicide, il serait honor� par les citoyens pour sa vertu autant que s'il passait pour avoir particip� � toute l'entreprise des premiers conjur�s. [192] Mais quelques-uns des complices trouvaient cruel d'user de violence � l'�gard d'une femme, car c'�tait plut�t, par instinct naturel que sur les conseils de celle-ci que Caius avait commis tous les crimes qui avaient r�duit l'�tat au d�sespoir. [193] D'autres, au contraire, rejetaient sur elle l'invention de tous ces forfaits et la rendaient responsable de tous le mal commis par Caius. Elle lui avait, disait-un, donn� un philtre pour asservir sa volont� et lui assurer son amour ; elle l'avait ainsi rendu fou ; c'�tait elle qui avait tout machin� contre le bonheur des Romains et de l'univers qui leur �tait soumis. [194 Enfin on d�cida de la tuer, car ceux qui d�conseillaient cet acte ne purent lui �tre utiles, et on envoya Lupus qui, pour sa part, n'�tait pas dispos� � se laisser retarder par des h�sitations et � ne pas ex�cuter sans d�lai les ordres re�us ; il ne voulut supporter aucun reproche au sujet de ce qui se faisait pour le salut du peuple. [195] Donc, entr� dans le palais, il surprit C�sonia, la femme de Caius, �tendue � c�t� du cadavre de son mari, gisant � terre et d�pourvu de tout ce qu'on accorde d'habitude aux morts. Elle-m�me �tait couverte du sang des blessures et tr�s afflig�e de son grand malheur ; sa fille s'�tait jet�e � c�t� d'elle et, dans cette situation, on n'entendait que les reproches adress�s par C�sonia � Caius de ne pas l'avoir �cout�e quand elle l'avait tant de fois averti. [196] Ce langage pr�tait alors, comme maintenant encore, � une double interpr�tation, selon les dispositions d'esprit des auditeurs qui peuvent lui donner la port�e qu'ils veulent. Les uns dirent que ces paroles signifiaient que C�sonsia avait conseill� � Caius de renoncer � ses folies et � sa cruaut� envers ses concitoyens pour diriger les affaires avec mod�ration et vertu, afin de ne pas se perdre en continuant � agir comme il faisait ; [197] les autres disaient que, le bruit de la conjurations lui �tant parvenu, elle avait conseill� � Caius de tuer sans retard et sur le champ tous les conjur�s, m�me s'ils �taient innocents, pour se mettre � l'abri du danger, et que c'�tait l� ce
qu'elle lui reprochait d'avoir agi avec trop de mollesse apr�s ses avertissements. [198] Voil� donc quelles �taient les paroles de C�sonia et ce qu'on en pensait. D�s qu'elle vit entrer Lupus, elle lui montra le corps de Caius et, en g�missant et en pleurant, elle l'invita � approcher. [199] Voyant que Lupus n'acc�dait pas � son d�sir et s'avan�ait comme avec r�pugnance, elle comprit le but de sa venue, d�couvrit sa gorge avec empressement en attestant les dieux, comme le fait quiconque se sait dans une situation d�sesp�r�e, et lui ordonna de ne pas tarder � achever la trag�die commenc�e � ses d�pens. [200] Elle mourut ainsi courageusement sous les coups de Lupus, et sa fille apr�s elle. Puis Lupus se h�ta d'aller annoncer ces nouvelles � l'entourage de Ch�r�a.

[201] 5. Caius, quand il mourut de la sorte, avait gouvern� les Romains pendant quatre ans moins quatre mois. C'�tait un homme qui, m�me avant d'�tre au pouvoir, avait quelque chose de sinistre et atteignait au comble de la m�chancet�. Victime de ses passions, ami de la d�lation, il s'effrayait de tout, et, � cause de cela, devenait tr�s sanguinaire quand il osait. Sa puissance lui servait seulement pour faire le mal. D'une arrogance insens�e � l'�gard de tous ceux � qui il aurait d� le moins en t�moigner, il se procurait des ressources par le meurtre et l'injustice; [202] il avait � coeur d'�tre plus fort que la divinit� et les lois, mais il �tait vaincu par les flatteries de la pl�be ; tout ce que la loi d�clare honteux et bl�me comme tel lui semblait plus honorable que la vertu. [203] Il �tait de plus ingrat m�me envers ses amis les plus intimes et. les plus d�vou�s : il s'irritait. contre eux et les ch�tiait m�me pour les choses les plus insignifiantes. Il regardait comme son ennemi quiconque. pratiquait la vertu et n'admettait aucune objection � ses d�sirs chez tous ceux � qui il commandait. [204] C'est ainsi qu'il eut des relations intimes avec sa s�ur l�gitime (26), ce qui fit que la haine des citoyens grandit contre lui; car, comme il y avait longtemps qu'on n'avait parl� d'un tel crime, son auteur excitait la m�fiance et l'aversion. [205] On ne pourrait citer aucune oeuvre grande ou digne d'un roi qu'il ait r�alis�e pour le bien de ses contemporains ou de la post�rit�, [206] sauf les travaux faits dans les environs de Rhegium et de la Sicile pour recevoir les navires de bl� venant d'�gypte. oeuvre consid�rable et tr�s favorable � la navigation. Mais il ne la mena pas � bonne fin et la laissa inachev�e parce qu'il s'y prit trop mollement. [207] La cause en �tait qu'il �tait z�l� pour le superflu et d�pensier pour des plaisirs qui ne pouvaient profiter qu'� lui seul, ce qui l'emp�chait d'user de l'emp�chait pour les entreprises reconnues utiles. [208] Du reste c'�tait un orateur excellent, tr�s disert aussi bien dans la langue grecque et que dans la langue nationale des Romains ; il comprenait tr�s vite et, � ce que les autres avaient compos� et longuement m�dit� � l'avance, il r�pondait. si bien � l'improviste qu'il se montrait plus persuasif que n'importe qui dans les grandes affaires, tant par la facilit� de son naturel que par le soin qu'il avait pris de le fortifier en l'exercant. [209] Fils du neveu de Tib�re dont il fut aussi le successeur, il dut n�cessairement recevoir une bonne instruction, parce que Tib�re lui-m�me brillait par l� au plus haut degr� et que Caius rivalisait de z�le avec lui pour ob�ir aux ordres de l'empereur. [210] Par l� il l'emporta sur ses contemporains; cependant tous les b�n�fices qu'il avait retir�s de son �ducation ne purent le sauver de la perte o� l'entra�na sa toute puissance, tant la vertu est inaccessible � ceux qui ont toute facilit� d'agir sans rendre compte � personne. [211] Apr�s avoir commenc� par s'appliquer vivement � avoir des amis estimables en tout, afin de rivaliser de science et de r�putation avec les meilleurs, l'exc�s de son injustice finit par d�truire l'affection qu'ils avaient eue peur lui et par exciter une haine secr�te qui le fit p�rir sous leur conjuration.

III

1-2. Claude est enlev� par les soldats. - 3-4. D�marche faite par le S�nat aupr�s de lui.

[212] 1. Claude, comme je l'ai dit plus haut, s'�tait �cart� du chemin suivi par ceux qui �taient avec Caius. Le palais �tant troubl� par le deuil que causait la mort de l'empereur, il d�sesp�rait de son salut. Arr�t� dans un �troit passage, il tentait de s'y cacher, n'ayant d'ailleurs pour se croire en danger d'autre motif que sa naissance. [213] En effet, il se conduisait avec mod�ration, vivant en simple particulier et se contentant de ce qu'il avait ; il se livrait � l'�tude des lettres, principalement des lettres grecques; enfin, il �vitait de toute mani�re ne qui l'aurait expos� � des ennuis. [214] Mais � ce moment la terreur avait saisi la foule ; le palais �tait en proie � la fureur des soldats, et les gardes du corps, apeur�s et sans direction, �taient, comme les autres citoyens, group�s autour du pr�toire qui forme comme le sanctuaire de l'arm�e, d�lib�rant sur ce qu'il y avait lieu de faire. Tous ceux qui se trouvaient l� ne songeaient pas � venger Caius parce que c'�tait avec justice qu'il avait subi son sort, [215] mais ils examinaient surtout comment arranger le mieux possible leurs propres affaires, d'autant que les Germains �taient en train de punir les meurtriers plus pour satisfaire leur propre cruaut� que dans l'int�r�t g�n�ral. [216] Tout cela bouleversait Claude qui craignait pour son salut, surtout depuis qu'il avait vu porter �� et l� les t�tes d'Asprenas et de ses amis. Il se tenait en haut de quelques marches et se dissimulait dans l'obscurit� qui l'environnait. [217] Gratus, l'un des soldats de service au palais, l'aper�ut et ne pouvant, � cause de l'ombre, voir exactement qui c'�tait, n'h�sita pas � supposer que c'�tait un individu embusqu� et s'avan�a vers lui. Comme l'autre l'invitait � se retirer, il le pressa, l'appr�henda et le reconnut. [218] � C'est Germanicus � (27), dit-il � ceux qui le suivaient ; emmenons-le pour en faire notre chef. � Claude, les voyant pr�ts � l'enlever, craignit de mourir assassin� comme Caius et les pria de l'�pargner en leur rappelant que, pour sa part, il avait �t� inoffensif et ignorant de ce qui �tait arriv�. [219] Gratus sourit, et lui prenant la main droite : � Cesse, dit-il, de parler humblement de ton salut, alors qu'il te convient d'�tre fier de l'empire que les dieux ont enlev� � Caius pour l'accorder � ta vertu, parce que leur providence veillait sur l'univers. [220] Va et revendique le tr�ne de tes anc�tres. Mais il soutenait Claude, car c'�tait � peine si celui-ci pouvait tenir sur ses jambes en raison de la crainte et de la joie que ces paroles lui causaient.

[221] 2. Autour de Gratus se rassembl�rent beaucoup de gardes du corps ; en voyant emmener Claude, ils avaient le visage renfrogn�, croyant qu'on le menait au supplice pour expier des forfaits, alors que toute sa vie il s'�tait tenu � l'�cart, des affaires et avait couru de tr�s grands dangers sous le gouvernement de Caius. Quelques-uns demandaient m�me que l'on confi�t aux consuls seuls le soin de le juger. [222] Un plus grand nombre de soldats vint se r�unir aux autres ; la foule se dispersa. Claude avait peine � avancer � cause de sa faiblesse physique, d'autant que les porteurs de sa liti�re s'�taient enfuis en apprenant son enl�vement, d�sesp�rant du salut de leur ma�tre. [223] On arriva enfin sur la place du Palatin, lieu qui fut le premier habit� dans la ville de Rome, � ce que raconte son histoire, et l'on s'occupait d�j� des affaires publiques, quand se produisit un bien plus grand afflux de soldats, joyeux de voir Claude et tr�s d�sireux de le proclamer empereur � cause de leur affection pour Germanicus, son fr�re, qui avait laiss� le souvenir le plus glorieux � tous ceux qui l'avaient connu. [224] Ils songeaient aussi � la cupidit� des chefs du s�nat, � tout ce que ce corps avait fait de mal autrefois quand il avait le pouvoir, et aussi � l'impuissance o� il �tait de diriger les affaires. [225] D'autre part, si le pouvoir supr�me devenait � nouveau le bien d'un seul, ce ma�tre serait dangereux pour eux, tandis que Claude, ayant re�u le pouvoir de leur faveur et de leur affection, reconna�trait ce service par des honneurs suffisants pour r�compenser un tel bienfait.

[226] 3. Voil� ce qu'ils se disaient les uns aux autres ou en eux-m�mes et ce qu'ils exposaient � ceux qui ne cessaient d'affluer. Ceux-ci, � les entendre, accueillirent avec empressement leur proposition ; ils se serraient tous autour de Claude et l'entouraient, le portant eux-m�mes en chaise jusqu'� leur camp, pour qu'aucun obstacle ne vint les retarder. [227] Il y avait, d'autre part, des dissentiments entre la pl�be et les s�nateurs. Ceux-ci ne recherchant que leur prestige de jadis et, d�sireux d'�viter la servitude que leur avait inflig�e la violence des tyrans, s'accommodaient aux circonstances. [228] Mais la pl�be, jalouse du s�nat et comprenant que les empereurs �taient des freins contre les ambitions de celui-ci et des protecteurs pour elle, se r�jouissait de l'enl�vement de Claude et pensait que son ascension � l'empire lui �pargnerait une guerre civile analogue � celle qui avait eu lieu du temps de Pomp�e. [229] Le s�nat, apprenant que Claude avait �t� port� par les soldats dans leur camp, lui envoya les hommes les plus �minents par leur m�rite pour le d�tourner de tout coup de force en vue de s'emparer du pouvoir et l'exhorter � s'en remettre au s�nat, car il �tait tout seul en face d'eux tous et devait laisser � la loi le soin de pourvoir au bien public. [230] Il devait se souvenir aussi des maux inflig�s � l'�tat par les tyrans pr�c�dents, des dangers qu'il avait lui-m�me courus avec les autres sous Caius : d�testant la duret� d'une tyrannie injustement exerc�e par autrui, il ne devait pas oser lui-m�me de son plein gr� faire injure � sa patrie. [231] S'il se laissait persuader et pers�v�rait dans sa vertu et sa tranquillit� d'autrefois, il recevrait les honneurs d�cern�s par des citoyens libres et, en c�dant � la loi, en acceptant d'�tre tant�t un chef et tant�t un sujet, il gagnerait le renom flatteur d'un homme de bien. [232] Mais s'il faisait un coup de folie sans �tre en rien instruit par la fin de Caius, il ne les verrait pas c�der, car ils avaient avec eux une grande partie de l'arm�e, poss�daient quantit� d'armes et une multitude d'esclaves qui les servaient. [233] Ce qui leur donnait surtout de l'espoir, c'�tait que la fortune et les dieux ne viennent au secours que des gens qui combattent pour la vertu et pour le bien, c'est-�-dire de ceux qui luttent pour la libert� de leur patrie.

(4)[234] Les d�put�s, Veranius (28) et Bronchus (29), tous deux tribuns de la pl�be, lui parl�rent dans ce sens et, tombant � ses genoux, le suppli�rent de ne pas jeter l'�tat dans des guerres et des malheurs. Mais quand ils virent que Claude �tait entour� de la grande masse de l'arm�e et que les consuls n'�taient rien en comparaison de lui, ils ajout�rent que, s'il d�sirait [e pouvoir, il devait le recevoir comme un don du s�nat ; [235] ainsi il l'exercerait de fa�on plus heureuse, sous de plus favorables auspices, s'il le tenait non de la violence, mais des bons sentiments de ceux qui le lui auraient donn�.

IV

1-2 (30) D�marches d'Agrippa aupr�s du S�nat et de Claude. - 3-4. Les troupes du S�nat passent � Claude. - 5-6. Ch�timent des principaux conjur�s ; suicide de Sabinus.

[236] 1. Claude ressentait l'arrogance de cette ambassade, mais, suivant pour le moment l'avis des d�l�gu�s, il �tait dispos� � la mod�ration.
Il avait cess� de craindre pour lui-m�me, � la fois parce que ses soldats montraient de la hardiesse et parce que le roi Agrippa l'exhortait � ne pas laisser �chapper un pouvoir qui lui �tait �chu sans qu'il y f�t pour rien. [237] Agrippa avait d'ailleurs agi envers Caius comme devait le faire un homme honor� par lui : il avait embrass� son cadavre et, apr�s l'avoir couch� sur un lit [238] et lui avoir donn� des soins autant que faire se pouvait, il s'�tait rendu aupr�s des gardes du corps en annon�ant que Caius vivait encore, qu'il souffrait de ses blessures [239] et que des m�decins �taient pr�s de lui. Quand il eut appris que Claude avait �t� enlev� par les soldats, il se pr�cipita aupr�s de lui et, le trouvant tout troubl� et dispos� a c�der au s�nat, il lui rendit du courage en l'exhortant � revendiquer l'empire. [239] Apr�s avoir ainsi parl� � Claude, il rentra chez lui (31) ; puis, quand le s�nat le manda, apr�s s'�tre parfum� la t�te comme s'il sortait d'un banquet, il vint et demanda aux s�nateurs ce que faisait Claude. [240] Ils lui dirent ce qui en �tait et � leur tour lui demand�rent, ce qu'il pensait de la situation. Agrippa se d�clara pr�t � mourir pour l'honneur du s�nat, mais les invita � consid�rer leurs int�r�ts, en n�gligeant tout ce qui leur ferait seulement plaisir. [241] En effet, pr�tendant au pouvoir, les s�nateurs avaient besoin d'armes et de soldats pour les d�fendre, s'ils ne voulaient pas �chouer faute de soutien. [242] Les s�nateurs lui r�pondirent qu'ils avaient des armes en quantit�, qu'ils apporteraient de l'argent et que, en plus de l'arm�e qu'ils avaient d�j� r�unie, ils en organiseraient une autre en affranchissant des esclaves.
Puissiez vous, s�nateurs, r�pondit aussit�t Agrippa, obtenir tout, ce que vous d�sirez ; mais je dois parler sans h�siter, parce que mes paroles tendent � votre salut. [243] Sachez donc que l'arm�e qui combattra pour Claude est exerc�e � se battre depuis fort longtemps, tandis que la n�tre sera un ramassis de gens d�livr�s de l'esclavage contre leur attente et qu'elle sera donc difficile � commander; nous lutterons contre des hommes exp�riment�s en poussant au combat des gens qui ne savent m�me pas tirer l'�p�e. [244] Je crois donc qu'il faut envoyer � Claude pour conseiller de d�poser le pouvoir, et je suis pr�t � me charger de cette mission �.

[245] 2. Voil� comment il parla et, ayant obtenu l'assentiment unanime, il fut d�l�gu� avec d'autres. Il exposa seul � seul � Claude le trouble du s�nat et lui sugg�ra une r�ponse assez imp�riale, conforme � sa dignit� et � sa puissance. [246] Claude d�clara donc qu'il ne s'�tonnait pas du chagrin qu'�prouvait le s�nat d'�tre soumis � un empereur, parce qu'il avait �t� accabl� par la cruaut� des empereurs pr�c�dents, mais que, soucieux de l'�quit�, il ferait go�ter aux s�nateurs un r�gime plus mod�r�, que le pouvoir lui appartiendrait seulement de nom et qu'en fait il le partagerait avec tous. Il avait travers� sous leurs yeux des p�rils nombreux et vari�s et m�ritait qu'on ne se d�fi�t pas de lui. [247] Apr�s s'�tre laiss� s�duire par de telles paroles, les envoy�s furent cong�di�s ; puis Claude rassembla l'arm�e et la harangua ; il re�ut le serment de fid�lit� � sa personne ; il donna � ses gardes du corps cinq mille drachmes par t�te, � leurs chers une somme proportionnelle et promit de traiter de m�me le reste de ses arm�es en tous lieux.

[248] 3. Les consuls convoqu�rent le S�nat au temple de Jupiter Vainqueur (32). Il faisait encore nuit. Des s�nateurs, les uns se cachaient dans Rome, pleins d'inqui�tude en apprenant ces nouvelles ; les autres s'�taient enfuis vers leurs propri�t�s de la campagne pour attendre les �v�nements, car ils d�sesp�raient d'obtenir le libert� et aimaient bien mieux, dans un esclavage exempt de p�ril, mener une vie oisive et sans peine que de payer la gloire d'�tre dignes de leurs p�res en courant des risques pour leur salut. [249] Cependant il y en eut cent au plus qui se r�unirent, et ils d�lib�raient sur la situation pr�sente quand soudain s'�leva une clameur pouss�e par les troupes group�es autour d'eux : elles invitaient le s�nat � choisir un souverain absolu et � ne pas perde l'empire en divisant le pouvoir entre plusieurs chefs. [250] Affirmant ainsi que ce n'�tait pas � tous, mais � un seul que le pouvoir devait �tre remis, ils confiaient aux s�nateurs le soin de voir qui �tait digne d'une telle autorit�. Aussi le s�nat fut-il encore bien plus tiraill� par l'inqui�tude, �chouant dans son orgueilleuse tentative de r�publique (33) et redoutant Claude. [251] N�anmoins il y avait des hommes qui visaient � l'empire en raison de la noblesse de leur naissance ou de leurs alliances. Marcus Vinieius (34), illustre par sa propre noblesse et qui avait �pous� la s�ur de Caius, Julia, �tait dispos�, par exemple, � revendiquer le pouvoir ; mais les consuls lui r�sist�rent en all�guant un pr�texte apr�s l'autre. [252] Valerius Asiaticus �tait emp�ch� par Vincianus, l'un des assassins de Caius, de songer � de tels projets. Et il y aurait eu un massacre sans pr�c�dent si ceux qui convoitaient l'empire avaient eu la possibilit� de livrer bataille � Claude. [253] Il y avait d'ailleurs des gladiateurs en nombre imposant, des soldats de la garde de nuit de Rome, de nombreux rameurs qui affluaient au camp (35), de sorte que ceux qui aspiraient � l'empire y renonc�rent, les uns pour �pargner la ville, les autres par crainte pour eux-m�mes.

[254] 4. Vers le d�but du jour, Ch�r�a et ceux qui �taient venus avec lui se mirent en devoir de haranguer les soldats. D�s que cette foule vit qu'ils lui faisaient de la main signe de se taire et se mettaient, en mesure de commencer � parler, elle excita du tumulte sans les laisser prononcer un mot, parce que tous �taient emport�s par leur �lan vers la monarchie. Les soldats r�clamaient un empereur sans pouvoir souffrir de d�lai. [255] Les s�nateurs se demandaient avec embarras comment ils gouverneraient ou seraient gouvern�s, puisque les soldats les accueillaient mal et que les meurtriers de Caius ne leur permettraient pas de c�der aux soldats. [256] Telle �tait la situation lorsque Ch�r�a, ne pouvant contenir sa col�re devant la foule r�clamant un empereur, annon�a qu'il allait leur donner un g�n�ral si on lui apportait une enseigne d'Eutychus. [257] Cet Eutychus �tait un cocher de la faction appel�e Verte, tr�s favoris� par Caius et qui tourmentait les soldats en leur imposant des t�ches d�gradantes pour la construction des �curies imp�riales. [258] Voil� le reproche que Ch�r�a leur jetait, entre autres du m�me genre, et il dit encore qu'il apporterait la t�te de Claude, car il �tait �trange de donner l'empire � l'imb�cillit� apr�s l'avoir donn� � la folie. [259] Mais les soldats ne furent nullement retourn�s par ses paroles. Ils tir�rent l'�p�e, lev�rent leurs enseignes et se pr�cipit�rent vers Claude pour faire cause commune avec ceux qui lui avaient pr�t� serment. Ainsi le s�nat �tait abandonn� sans d�fenseurs et les consuls ne diff�raient plus en rien de simples particuliers. [260] Il y eut de l'effroi et de l'abattement; ces hommes ne savaient pas ce qui leur arriverait par suite de l'irritation de Claude contre eux, s'injuriaient r�ciproquement et �taient pleins de regrets. [261] Alors Sabinus, un des meurtriers de Caius, s'avan�a au milieu de l'assembl�e et mena�a de se tuer avant de laisser Claude devenir empereur et de voir r�tablir la domination des esclaves ; en m�me temps il accusait Ch�r�a de trop aimer la vie, puisque lui, qui le premier avait brav� Caius, consid�rait l'existence comme un bien, alors qu'au prix m�me de celle-ci il ne pouvait rendre la libert� � sa patrie. [262] Ch�r�a r�pondit qu'il n'h�siterait pas davantage � mourir, mais qu'il voulait cependant conna�tre les dispositions de Claude.

[263] 5. Telle �tait la situation de ce c�t�. Mais au camp tous se h�taient d'offrir leurs services � Claude. L'un des consuls, Quintus Pomiponius (36) �tait surtout accus� par les soldats pour avoir exhort� le s�nat � r�tablir la libert� ; ils se pr�cipit�rent sur lui l'�p�e haute et l'auraient tu� si Claude ne les en avait emp�ch�s. [263] Apr�s avoir ainsi arrach� le consul au danger, il le fit si�ger � son c�t�. Quant aux s�nateurs qui accompagnaient Quintus, ils ne furent pas accueillis avec les m�mes honneurs ; certains m�me re�urent des coups et furent chass�s de la pr�sence de Claude ; Apronius (37) partit avec des blessures et tous se trouv�rent en danger. [265] Alors le roi Agrippa vint demander � Claude de se conduire avec plus de mod�ration envers les s�nateurs ; car, s'il maltraitait le s�nat, il ne pourrait plus en �tre le ma�tre. [266] Claude fut persuad� par lui et convoqua le s�nat au Palatin, o� il se fit porter en traversant la ville, escort� par l'arm�e au milieu des exc�s de la pl�be.
[267] Les premiers des meurtriers de Caius qui se pr�sent�rent � la vue de tous furent Ch�r�a et Sabinus, alors qu'il leur �tait d�fendu de se montrer en public par ordre de Pollion (38), fra�chement investi par Claude de la pr�fecture du pr�toire. [268] Une fois arriv� au Palatin, Claude convoqua ses amis et les fit voter au sujet de Ch�r�a. Ceux-ci trouvaient son acte plein d'�clat, mais n'en accusaient pas moins son auteur de perfidie et d�claraient juste de le ch�tier pour intimider la post�rit�. [269] On mena donc Ch�r�a � la mort et avec lui Lupus et de nombreux Romains. Ch�r�a, dit-on, supporta son malheur avec grandeur d'�me ; non seulement il ne changea pas de visage, mais il chargea de reproches Lupus qui s'�tait mis � pleurer. [270] Comme Lupus, ayant quitt� ses v�tements, se plaignait d'avoir froid, il lui dit que le froid n'�tait pas ordinairement contraire au temp�rament des loups. Une grande foule de gens les suivit pour voir le spectacle. Quand Ch�r�a arriva au lieu du supplice, il demanda au soldat s'il �tait entra�n� aux massacres ou si c'�tait la premi�re fois qu'il tirait l'�p�e; il fit alors apporter celle dont lui-m�me avait perc� Caius. [271] Il eut le bonheur de mourir du premier coup. Mais Lupus ne mourut pas si facilement. par suite de sa l�chet� ; il re�ut plusieurs coups pour avoir tendu sa gorge avec trop d'h�sitation.

[272] 6. Quelques jours apr�s, lors des sacrifices expiatoires offerts aux M�nes, le peuple romain, faisant des offrandes � ses morts, honora aussi Ch�r�a avec des parts de victimes jet�es dans le feu, en le priant de lui �tre propice et de ne pas manifester de rancune pour l'ingratitude qu'on avait eue � son �gard. [271] Telle fut la fin de Ch�r�a. Quant � Sabinus, non seulement il fut absous par Claude de l'accusation port�e contre lui, mais encore il fut investi � nouveau des fonctions qu'il remplissait. Pourtant, il consid�ra comme injuste de trahir la foi donn�e � ses complices et se tua en se jetant sur une �p�e qui s'enfon�a jusqu'� la garde dans son corps.

V

1 (39). Claude rend � Agrippa le royaume de son grand-p�re et l'agrandit. - 2-3. Edits de Claude concernant les Juifs d'Alexandrie et ceux du reste de l'empire.

[274] 1. Apr�s s'�tre d�barrass� de tous les soldats qui lui �taient suspects, Claude publia un �dit o� il confirmait � Agrippa le pouvoir que lui avait donn� Caius et o� il couvrait le roi d'�loges ; il ajoutait m�me � ses possessions toute la Jud�e et le pays de Samarie qui avaient fait partie du royaume d'H�rode son grand-p�re. Il lui rendait cela � titre de bien qui lui �tait d� en raison de sa naissance. [275] Il y ajouta encore Abila de Lysanias (40) et toute la montagne du Liban, et il conclut avec Agrippa un trait� au milieu du forum de la ville de Rome. [276] Il enleva � Antiochus le royaume qu'il poss�dait, mais lui fit don de la Commag�ne et d'une partie de la Cilicie (41). De plus il lib�ra Alexandre Lysimaque l'alabarque, un de ses vieux amis, qui avait �t� l'intendant de sa m�re Antonia, est que Caius irrit� avait fait encha�ner. [277] Le fils d'Alexandre, Lysimaque, �pousa B�r�nice, fille d'Agrippa, et apr�s la mort de ce Marcus qui l'avait �pous�e en premi�res noces, Agrippa la maria � son fr�re H�rode, apr�s avoir obtenu de Claude pour celui-ci le royaume de Chalcis.

[278] 2. Vers le m�me temps des troubles s'�lev�rent entre Juifs et Grecs dans la ville d'Alexandrie. A la mort de Caius, la population juive, qui avait �t� humili�e sous son gouvernement et terriblement maltrait�e par les Alexandrins, reprit courage et courut aussit�t aux armes, Claude ordonna, par une lettre au gouverneur d'�gypte, de r�primer cette r�volte (42). [279] Il envoya aussi � Alexandrie et en Syrie, � la pri�re des rois Agrippa et H�rode, un �dit con�u en ces termes :
[280]
  Tiberius Claudius C�sar Augustus Germanicus, grand-pontife, investi de la puissance tribunitienne, �dicte : [281] Attendu que depuis longtemps d�j� et des l'origine les Juifs d'Alexandrie, appel�s Alexandrins, ont cohabit� avec les Alexandrins et ont re�u des rois (43) l'�galit� de droits civiques avec eux, comme il ressort clairement, de leurs lettres et �dits ; - [282] attendu qu'une fois qu'Alexandrie eut �t� soumise par Auguste � notre empire, ils ont gard� leurs droits sous tous les gouverneurs envoy�s aux diverses �poques, sans qu'aucune contestation ait �t� soulev�e au sujet de ces droits ; - [283] attendu qu'au moment o� Aquila (44) �tait � Alexandrie, quand mourut l'ethnarque des Juifs, Auguste n'a pas emp�ch� alors la nomination d'ethnarques (45) parce qu'il voulait que tous ses sujets pussent rester fid�les � leurs coutumes particuli�res sans �tre contraints d'enfreindre la loi de leurs p�res ; - [284] attendu que les Alexandrins se sont soulev�s contre les Juifs de leur ville sous le r�gne de l'empereur Caius qui, en raison de son extr�me folie et de sa d�mence, a humili� les Juifs parce que leur peuple n'avait pas voulu transgresser sa religion ancestrale et le saluer comme un dieu; - [285] je veux que la d�mence de Caius ne fasse d�choir la population juive d'aucun de ses droits et qu'elle conserve les m�mes privil�ges qu'ant�rieurement, restant fid�le � ses coutumes nationales, et j'ordonne aux deux parties de veiller avec la plus grande attention � ne provoquer aucun trouble apr�s la publication de mon �dit. �

[286] 3. Tels �taient les termes de l'�dit envoy� � Alexandrie en faveur des Juifs; celui qui s'adressait au reste de l'univers �tait le suivant :
[287]
Tiberius Claudius C�sar Augustus Germanicus, grand pontife, investi de la puissance tribunitienne, consul d�sign� pour la deuxi�me fois, �dicte : [288] Les rois Agrippa et H�rode, qui me sont tr�s chers, m'ayant demand� de permettre � tous les Juifs vivant dans l'empire romain de conserver les m�mes droits que ceux d'Alexandrie, j'ai acc�d� volontiers � leur pri�re, et ce n'est pas seulement parce qu'ils me le demandaient que je le leur ai accord�, [289] mais aussi parce que j'en ai jug� dignes ceux en faveur qui j'�tais sollicit�, en raison de leur fid�lit� et de leur amiti� pour les Romains, et surtout parce que je regardais comme l�gitime qu'aucune ville m�me grecque ne f�t priv�e de ces droits, puisqu'elles les avaient conserv�s m�me sous le divin Auguste ; [290] il est donc juste que dans tout l'univers soumis � notre pouvoir les Juifs aussi conservant sans entraves leurs coutumes ancestrales ; mais je les avertis � pr�sent de ne pas abuser d�sormais de ma bont� et de ne pas m�priser les croyances des autres peuples alors qu'ils gardent leurs propres lois. [291] Je veux que mon �dit soit transcrit par les magistrats des villes, colonies et municipes d'Italie et d'ailleurs, par les rois et les princes avec l'aide de leurs propres agents, et qu'il soit affich� pendant trente jours au moins en un lieu o� l'on puisse le lire facilement de plain pied. �

VI

1-2. Retour d'Agrippa en Jud�e. - 3-4. Lettre de Publius Petronius aux gens de Dora en faveur des Juifs.

[292] 1. En adressant ces �dits � Alexandrie et � tout l'univers, l'empereur Claude montra ses dispositions envers les Juifs. Aussit�t apr�s il envoya, avec les plus grands honneurs, Agrippa reprendre possession de son royaume et manda par lettres aux gouverneurs et aux procurateurs de lui faire bon accueil. [293] Agrippa, comme il est naturel pour qui revient avec une fortune meilleure, se h�ta de rentrer. Arriv� � J�rusalem, il immola des victimes en actions de gr�ces, sans oublier aucune prescription de la loi. [294] C'est pourquoi il ordonna qu'un grand nombre de nazirs fussent ras�s (46). La cha�ne d'or (47) que Caius lui avait donn�e et qui pesait. autant que celle de fer dont avaient �t� encha�n�es ses royales mains, monument de sa triste infortune et en m�me temps t�moignage de son sort meilleur, fut suspendue � l'int�rieur des enceintes sacr�es au-dessus du tronc les offrandes, pour qu'elle f�t un exemple montrant que les grands peuvent un jour d�choir et que Dieu peut relever celui qui est tomb�. [295] En effet, l'offrande de la cha�ne montrait clairement � tous que le roi Agrippa avait pour une cause insignifiante �t� jet� eu prison et avait perdu sa dignit� ant�rieure, et que peu apr�s il avait �t� d�livr� de ses cha�nes pour �tre investi d'une royaut� plus brillante. [296] Cela devait faire comprendre que toutes les grandeurs humaines peuvent. d�cliner, tandis que ce qui est tomb� peut se relever avec �clat.

[297] 2. Apr�s avoir accompli compl�tement toutes les c�r�monies en l'honneur du Dieu, Agrippa d�pouilla Th�ophile, fils d'Anan, du grand-pontificat et transmit sa charge � Simon, fils de Bo�thos, surnomm� Cantheras. Simon avait deux fr�res, et son p�re Bo�thos avait �pous� la fille du roi H�rode, comme nous l'avons dit plus haut. [298] Simon eut donc le pontificat ainsi que ses fr�res et son p�re, comme auparavant les trois fils de Simon Onias sous le gouvernement des Mac�doniens, ainsi que nous l'avons racont� dans les livres pr�c�dents.

[299] 3. Quand le roi eut ainsi organis� le grand pontificat, il r�compensa les Hi�rosolymitains de leur d�vouement envers lui. A cet effet il les exempta de l'imp�t d� pour chaque maison, parce qu'il jugeait bon de payer de retour ceux qui l'avaient trait� avec affection. Il d�signa comme chef de toute l'arm�e Silas, qui avait partag� toutes ses tribulations. [300] Tr�s peu de temps apr�s, les jeunes gens de Dora (48), pr�f�rant l'audace � la saintet� et port�s par leur nature � une hardiesse t�m�raire, amen�rent dans la synagogue des Juifs une statue de l'empereur qu'ils y dress�rent. Cela irrita beaucoup Agrippa, [301] car c'�tait comme la destruction de la loi nationale. Aussi alla-t-il trouver saris retard Publius Petronius qui �tait alors gouverneur de Syrie, et il accusa les gens de Dora. [302] Petronius ne fut pas moins indispos� par cet acte, car il regardait �galement comme impie cette transgression des lois, et, il �crivit aux notables de Dora (49) cette lettre irrit�e
[303] Publius Petronius, l�gat. de T. Claudius C�sar Augustus Germanicus, aux notables de Dora. [304] 
Quelques-uns d'entre vous ont eu une audace. assez insens�e pour ne pas respecter l'�dit de Claudius C�sar Augustus Germanicus qui permet aux Juifs d'observer leurs lois nationales ; [305] ils ont fait tout. le contraire, en emp�chant les Juifs de se r�unir dans leur synagogue, par l'�rection de la statue de l'empereur, violant ainsi la loi, non simplement � l'�gard des Juifs, mais de l'empereur, dont il vaut mieux �lever la statue dans son propre temple que dans un autre et surtout en pleine synagogue, car il est conforme � la justice naturelle que chacun soit ma�tre dans le lieu qui lui appartient, selon la d�cision de l'empereur. [306] Il serait ridicule de rappeler ma propre d�cision, apr�s l'�dit imp�rial permettant aux Juifs de vivre selon leurs coutumes particuli�res et ordonnant en sus qu'ils aient des droits civiques �gaux � ceux des Grecs. [307] Ceux qui ont ainsi os� contrevenir � l'�dit de l'empereur ont excit� m�me l'indignation de ceux qui paraissent �tre leurs chefs, puisque ceux-ci les d�savouent en d�clarant que l'acte ne vient pas de leur propre inspiration, mais r�sulte d'une manifestation populaire. J'ordonne donc que ces gens me soient amen�s par le centurion Proculus Vitellius afin de rendre compte de leur conduite et j'invite les premiers magistrats, [308] s'ils ne veulent pas passer pour avoir inspir� eux-m�mes cette injustice, � d�noncer les coupables au centurion, en s'opposant � toute tentative de s�dition on de bagarre, car c'est � quoi ils me semblent viser par de tels actes. [309] J'ai, en effet, comme le roi Agrippa, mon tr�s cher ami, le plus grand souci que le peuple juif ne saisisse cette occasion de se rassembler sous pr�texte de se d�fendre et ne se laisse aller � un acte de d�sespoir. [310] Afin qu'on connaisse encore mieux la pens�e de l'empereur sur toute l'affaire, j'ai joint � ceci ses �dits publi�s � Alexandrie, qui, bien que paraissant d�j� connus de tous, ont �t� lus devant mon tribunal par mon tr�s cher ami le roi Agrippa lorsqu'il a plaid� en faveur du maintien aux Juifs des bienfaits d'Auguste. [311] J'ordonne donc qu'� l'avenir vous ne cherchiez plus aucune occasion de s�dition ni de trouble et que chacun puisse suivre son culte national.

[312] 4. Telles furent les mesures de pr�caution prises par Petronius pour redresser les ill�galit�s d�j� commises et pour emp�cher que rien d'analogue ne survint plus tard. [313] Quant au roi Agrippa, il priva du pontificat Simon Cantheras pour le rendre � Jonathan (50), fils d' Anan, parce qu'il ]e reconnaissait plus digne de cette charge. Mais celui-ci se voyait sans plaisir investi d'un tel honneur et il le refusa en ces termes : [314]  Je me r�jouis, � roi, que tu m'aies donn� cette marque d'estime, et l'honneur que tu m'as accord� de ton plein gr� me va au coeur, bien que Dieu m'ait jug� tout � fait indigne du pontificat. Mais il me suffit d'avoir rev�tu une fois les v�tements sacr�s ; car autrefois, quand je les ai endoss�s, j'�tais plus saint que je ne le suis maintenant pour les reprendre. [315] Pour toi, si tu veux qu'un plus digne que moi re�oive maintenant cet honneur, laisse-moi te donner un conseil. Mon fr�re est pur de toute faute envers Dieu et envers toi, � roi, et je te le recommande comme digne de cette charge. [316] Le roi, satisfait de ces paroles, admira les dispositions de Jonathan et donna le grand pontificat. � son fr�re Mathias. Peu de temps apr�s, Marsus (51) succ�da � Petro�nius dans le gouvernement de la Syrie.

VIl

1. Disgr�ce de Silas. - 2. Arr�t du renforcement des murs de J�rusalem. - 3-5. Constructions du roi Agrippa, notamment � Berytus.

[317] 1. Silas, le commandant de l'arm�e du roi, lui avait �t� fid�le dans toutes ses infortunes, n'avait jamais refus� de partager aucun de ses dangers et avait m�me souvent assum� les t�ches les plus dangereuses ; aussi �tait-il plein d'assurance, supposant que son amiti� �prouv�e avait droit � des honneurs �gaux. [318] Il ne le c�dait donc absolument en rien au roi, usait d'une compl�te libert� de langage dans tous leurs entretiens, se montrait insolent dans leurs colloques familiers, se faisait valoir immod�r�ment et rappelait fr�quemment au roi ses infortunes pour attester le z�le qu'il avait, montr� jadis. Il ne cessait de raconter longuement combien il avait pris de peine pour lui. [319] A force de d�passer la mesure, il semblait faire des reproches au roi ; aussi celui-ci �prouvait-il quelque d�plaisir de la libert� de langage excessive de cet homme, car le souvenir d'un temps de honte est p�nible et celui qui rappelle sans cesse les services rendus est un sot. [320] Silas finit par irriter grandement le c�ur du roi et celui-ci, ob�issant plus � la col�re qu'� la raison, ne se contenta pas de le priver de son commandement, mais le fit encha�ner pour l'exiler dans son pays.[321] Pourtant, avec le temps, sa col�re s'adoucit, et il jugea l'homme d'apr�s la saine raison, en se rem�morant toutes les peines qu'il avait subies pour lui. Le jour donc o� il c�l�brait son anniversaire, jour de joie et. de f�te pour tous ses sujets, il rappela Silas pour le faire souper imm�diatement avec lui. [322] Mais Silas, dont le caract�re �tait ind�pendant, croyait avoir un juste sujet de ressentiment et ne le cacha pas � ceux qui vinrent le trouver : [323] � A quel honneur, leur dit-il, le roi me rappelle-t-il pour me le faire perdre bient�t? Car m�me les premiers honneurs que m'avait valus mon d�vouement pour lui, bien loin de m'�tre conserv�s, m'ont �t� outrageusement ravis. [324] Croit-il que j'aie abdiqu� ma libert� de langage ? Parce que j'en ai pleinement conscience, je clamerai davantage encore tous les dangers dont je l'ai d�livr�, toutes les peines que j'ai support�es pour lui assurer la s�curit� et la gloire, tous les services pour lesquels mes r�compenses ont �t� des cha�nes et un obscur cachot. [325] Je n'oublierai jamais cela ; peut-�tre m�me, d�livr�e de ma d�pouille charnelle, mon �me gardera-t-elle la m�moire de ma bravoure. � Voil� ce qu'il hurlait en ordonnant de le redire au roi ; celui-ci, voyant, son caract�re intraitable, le laissa de nouveau en prison.

[326] 2 (52). Agrippa �tait alors occup� � renforcer aux frais de l'�tat les remparts de J�rusalem du c�t� de la ville neuve, en les �largissant et en les �levant. Il aurait r�ussi � les rendre inexpugnables pour toute force humaine si Marsus, le gouverneur de Syrie, n'avait d�nonc� cette entreprise par une lettre � l'empereur Claude. [327] Celui-ci, craignant quelque r�volte, ordonna � Agrippa d'arr�ter sur le champ la construction des remparts, et le roi ne voulut pas d�sob�ir.

[328] 3. La nature de ce roi le portait � �tre bienfaisant par ses dons, � tenter de donner � ses peuples une haute id�e de lui et � s'assurer la c�l�brit� per beaucoup de d�penses ; il se r�jouissait de faire plaisir aux gens et aimait qu'on lou�t sa vie, diff�rent enti�rement en cela du roi H�rode son pr�d�cesseur. [329] Ce dernier, en effet, avait une nature perverse ; il ch�tiait durement ; il ha�ssait sans mesure. Il se reconnaissait mieux dispos� pour les Grecs que pour les Juifs ; il ornait les villes des �trangers en leur donnant de l'argent et en y �difiant parfois des bains et des th��tres ; il �leva dans certaines villes des temples, des portiques dans d'autres, tandis qu'il n'accordait � aucune ville juive la moindre r�paration ou le moindre don digne de m�moire. [330] Au contraire, le caract�re d' Agrippa �tait doux et sa bienfaisance �tait �gale pour tous. Il �tait plein d'humanit� pour les gens de races �trang�res et leur t�moignait aussi sa lib�ralit�, mais il �tait �galement serviable pour ses compatriotes et leur marquait encore plus de sympathie. [331] Ce qu'il y a de s�r, c'est qu'il vivait volontiers et continuellement � J�rusalem et qu'il gardait dans leur int�grit� les institutions des anc�tres. Il se maintenait lui-m�me dans une compl�te puret� et ne laissait pas �couler un jour sans offrir les sacrifices prescrits.

[332] 4. Or, il arriva qu'un natif de J�rusalem, appel� Simon, qui avait la r�putation de conna�tre avec exactitude les lois, convoqua la foule � une assembl�e, alors que le roi �tait parti pour C�sar�e, et osa l'accuser d'�tre impur et de m�riter de se voir chasser du Temple, dont l'acc�s n'�tait permis qu'aux gens du pays. [333] Une lettre du pr�fet de la ville fit conna�tre au roi que Simon avait ainsi harangu� le peuple. Le roi le fit venir et, comme il �tait alors au th��tre, il lui lit prendre place � c�t� de lui. Puis avec calme et. douceur : Dis-moi, dit-il, s'il y a ici quelque chose qui soit d�fendu par la loi. [334] L'autre, ne sachant que r�pondre, le pria de lui pardonner. Alors le roi se r�concilia avec lui plus vite qu'on ne s'y attendait, car il jugeait que la douceur est, plus digne d'un roi que la col�re et savait. que la mod�ration convient plus � la grandeur que l'emportement. Il renvoya Simon, apr�s lui avoir m�me fait quelque pr�sent.

[335] 5. Il avait construit nombre d'�difices en beaucoup d'endroits ; mais il honora les B�rytiens d'une mani�re particuli�re. En effet, il leur b�tit un th��tre qui l'emportait sur beaucoup d'autres par son luxe et sa beaut�, un amphith��tre tr�s co�teux et en outre des bains et des portiques, sans chercher dans aucun de ces ouvrages � �pargner la d�pense, � l�siner sur la beaut� ou sur la grandeur. [336] Il fit des largesses magnifiques quand on le consacra. Ainsi il organisa dans le th��tre des spectacles o� il pr�senta des �uvres musicales de tout genre et des compositions donnant des plaisirs vari�s ; il montra sa g�n�rosit� par le nombre des gladiateurs amen�s dans l'amphith��tre o�, [337] voulant charmer les spectateurs �galement par des combats en masse, il mit aux prises deux troupes de sept cents hommes. Pour cela ii d�signa tous les criminels dont il disposait, afin de les ch�tier tout en faisant d'un spectacle de guerre une r�jouissance pacifique, et il fit tuer tous ces hommes jusqu'au dernier.

VIII

1. Entrevue d'Agrippa et de plusieurs rois � Tib�riade - 2. Mort d'Agrippa. - 3. Ex�cution de Silas.

1. [338] Apr�s ces c�r�monies de B�ryte, Agrippa se rendit � Tib�riade, ville de Galil�e. Il �tait tr�s admir� des autres rois ; aussi vinrent pr�s de lui Antiochus, roi de Commag�ne (53), Sampsig�ramos, roi d'Em�se (54), Cotys (55), roi de l'Arm�nie mineure, Pol�mon (56), qui �tait devenu prince du Pont, et H�rode, fr�re du roi et lui-m�me roi de Chalcis (57). [339] Il les re�ut tous et les h�bergea en les traitant amicalement, de mani�re � montrer au plus haut degr� la grandeur de son �me et � prouver qu'il �tait bien digne d'�tre honor� de ces visites royales. [340] Mais, tandis qu'ils �taient, encore chez lui, arriva Marsus, gouverneur de Syrie. Observant donc les honneurs dus aux Romains, Agrippa s'avan�a � sa rencontre � plus de sept stades de la ville. Et pourtant cela devait �tre l'origine d'un dissentiment entre lui et Marsus. [341] Il avait, en effet, emmen� avec lui sur son char tous les autres rois. Leur concorde et une telle amiti� entre eux furent suspectes � Marsus, qui ne jugeait pas utile aux Romains l'entente de tant de princes. Aussit�t il envoya � chacun d'eux certains de ses familiers pour les inviter � se retirer sans d�lai chacun dans son pays. [342] Agrippa fut chagrin� de ce proc�d� et, depuis ce temps-l�, en voulut � Marsus. Il enleva � Matthias le grand-pontificat et mit � sa place Elionaios, fils de Canth�ras.

[343] 2. (58) II y avait d�j� trois ans accomplis qu'il r�gnait sur toute la Jud�e et il se trouvait � C�sar�e, ville appel�e auparavant la Forteresse de Straton ; il y donnait des spectacles en l'honneur de l'empereur, sachant que ces jours de f�te �taient institu�s pour le salut de celui-ci. Autour de lui il avait r�uni en foule les dignitaires et les gens les plus en vue de la province. [344] Le second jour des spectacles, rev�tu d'une robe toute faite d'argent et admirablement tiss�e, il entra au th��tre au lever du jour. L�, aux premiers feux des rayons du soleil, l'argent reluisait et resplendissait merveilleusement, �tincelant d'une mani�re terrible et m�me effrayante pour les gens qui y fixaient leurs regards. [345] Aussit�t les flatteurs de pousser de tous c�t�s des acclamations, qui n'�taient m�me pas bonnes pour Agrippa, en le qualifiant de dieu. � Puisses-tu nous �tre propice, ajoutaient-ils, bien que nous ne t'ayons r�v�r� jusqu'ici que comme un homme ; d�sormais nous reconnaissons que tu es au-dessus de la nature humaine! � [346] Le roi ne r�prima pas leurs propos et ne repoussa pas leurs flatteries impies. Mais peu apr�s, levant la t�te, il vit au dessus de lui un hibou (59) perch� sur un c�ble. Comprenant aussit�t qu'il lui annon�ait des malheurs, comme il lui avait jadis annonc� le bonheur, il eut le c�ur serr� d'affliction. II fut saisi d'une subite douleur d'intestins qui, d�s le d�but, fut extr�mement vive. [347] S'�lan�ant donc vers ses amis : � Moi, votre dieu, dit-il, je suis d�j� oblig� de quitter la vie, car la destin�e a imm�diatement convaincu de mensonge les paroles que vous venez de prononcer � mon sujet ; et moi, que vous avez appel� immortel, je suis d�j� entra�n� vers la mort. Mais il convient d'accueillir la destin�e comme Dieu l'a voulue. En effet, je n'ai jamais v�cu d'une fa�on m�prisable. mais dans une �clatante f�licit�. [348] �  Tout en disant cela, il �tait tortur� par la violence du mal. Il se fit donc porter en h�te au palais et le bruit se r�pandit partout qu'il allait bient�t mourir. [349] Aussit�t la populace, les femmes, les enfants, v�tus de cilices selon la coutume nationale, se mirent � prier Dieu pour le roi ; tout �tait plein de g�missements et de lamentations. Le roi, couch� sur une terrasse �lev�e, les voyait tous de l�-haut prostern�s la t�te contre terre, et ne pouvait lui-m�me s'emp�cher de pleurer. [350] Apr�s avoir �t� �prouv� sans arr�t pendant cinq jours par ces douleurs abdominales, il quitta la vie � l'�ge de cinquante trois ans pass�s et dans la septi�me ann�e de son r�gne. [351] En effet, il avait r�gn� quatre ans sous l'empereur Caius, car il avait poss�d� trois ans la t�trarchie de Philippe et avait obtenu en outre la quatri�me ann�e celle d'H�rode ; de plus, il avait encore ajout� � cela trois ans o�, sous le principat de l'empereur Claude, il avait r�gn� sur les r�gions indiqu�es plus haut, poss�dant en outre la Jud�e, Samarie et C�sar�e. [352] Il tirait de l� les revenus les plus consid�rables, � savoir douze millions de drachmes, et cependant il dut emprunter beaucoup, car il �tait si g�n�reux qu'il d�pensait. plus largement que ne le comportaient ses revenus et il n'�pargnait rien dans ses lib�ralit�s.

[353] 3. Alors que le peuple ignorait encore qu'il e�t expir�, H�rode, roi de Chalcis, et Helcias (60), g�n�ral et ami du roi, envoy�rent d'un commun accord Ariston, le plus fid�le des serviteurs, tuer Silas, leur ennemi, comme si le roi l'avait ordonn�.

IX

Descendance d'Agrippa. D�sordres � C�sar�e. - 2. La Jud�e soumise � un procurateur (61).

[354] 1. Voil� comment finit le roi Agrippa. Il laissait comme descendants un fils, Agrippa, qui �tait dans sa dix-septi�me ann�e, et trois filles, dont l'une, B�r�nice, �g�e de seize ans, avait �pous� H�rode, son oncle paternel, tandis que les deux autres, Mariamme et Drusilla, �taient vierges; Mariamme avait dix ans et Drusilla six. [355] Leur p�re les avait promises en mariage, Mariamme � Julius Archelaus, fils de Chelcias, Drusilla � �piphane, fils du roi de Commag�ne Antiochus. [356] Mais lorsqu'on sut qu'Agrippa �tait mort, les habitants de C�sar�e et de S�baste, oublieux de ses bienfaits, agirent comme ses ennemis acharn�s. [357] Ils lan�aient des calomnies inconvenantes contre le mort ; tous les soldats qui se trouvaient l� - et il y en avait un grand nombre - envahirent la r�sidence, enlev�rent les statues des filles du roi et d'un commun accord les port�rent dans des lupanars o�, apr�s les avoir hiss�es sur la terrasse, ils les outrag�rent de leur mieux en commettant des actes trop ind�cents pour �tre relat�s. [358] S'attablant dans les lieux publics, on c�l�brait des banquets populaires en s'ornant de couronnes, en se parfumant, en faisant des libations � Charon et en �changeant des rasades en l'honneur de la mort du roi. [359] Ces gens oubliaient, non seulement les marques de bienveillance dont Agrippa les avait combl�s, mais encore celles de son a�eul H�rode, qui avait fond� ces villes et construit � grands frais des ports et des temples.

[360] 2. Agrippa, fils du d�funt, �tait � ce moment � Rome o� il �tait �lev� pr�s de l'empereur Claude. [361] Quand ce dernier apprit la mort d'Agrippa et les outrages commis envers lui par les habitants de S�baste et de C�sar�e, il fut afflig� pour lui et irrit� de cette ingratitude. [362] Il voulait donc imm�diatement envoyer le jeune Agrippa prendre possession de la royaut� et d�sirait en m�me temps confirmer la foi jur�e par des serments. Mais ceux des affranchis et de ses familiers qui avaient sur lui la plus grande influence l'en d�tourn�rent, lui disant qu'il �tait. dangereux de confier un royaume si important � un tout. jeune homme qui n'�tait pas encore sorti de l'enfance et qui ne pourrait supporter le poids de l'administration, puisque, m�me pour un homme fait, la royaut� est. un lourd fardeau. [363] L'empereur trouva qu'ils avaient raison. Il envoya donc comme gouverneur de la Jud�e et du reste du royaume Cuspius Fadus, accordant. ainsi un d�funt la faveur de ne pas introduire dans son royaume son ennemi Marsus. [364] Il ordonna avant tout � Fadus de ch�tier les habitants de C�sar�e et de S�baste pour leurs violences � l'�gard du mort et leurs insultes � l'�gard des vivantes, et [365] d'envoyer dans le Pont pour y faire campagne l'escadron des habitants de C�sar�e et de S�baste ainsi que leurs cinq cohortes, tandis qu'un nombre �gal de l�gionnaires romains de Syrie devait venir prendre leur place. [366] Cependant ceux qui avaient re�u l'ordre de partir ne s'en all�rent pas. En effet, une d�l�gation envoy�e par eux apaisa Claude et ils obtinrent de demeurer en Jud�e. Dans la suite, ils furent l� l'origine des plus grandes calamit�s pour les Juifs, parce qu'ils jet�rent les semences de la guerre qui eut, lieu sous Florus. C'est. pourquoi Vespasien, apr�s sa victoire. comme nous allons le raconter bient�t (62), les chassa de la province.
 

(01) Dans la partie N. du Palatin, dominant le Forum.
(02
P. Memmius Regulus, consul suffectus en 31, gouverneur I'Acha�e en 36, fr�re arvale eu 38, mort en 61 (Tacite, Ann., XIV, 47).
(
03Voir XIII, 261, etc.
(
04) Les manuscrits h�sitent entre Βινουκίανον et Μινουκίανον. Il s'agit de M. Annius Vinicianus, fils d'Annius Pollion, qui se tua en 42 comme complice de Scribonianus.
(
05M. Aemilius Lepidus, mari de Drusilla, ex�cut� en 19 pour conspiration
(
06) οὐκ ἀνελεύθερον Hudson : οὐ πάντ' ἐλεύθερον codd. Niese.
(
07) Inconnu. Mais Dion (LIX, 26, 4) cite un Pomponius accus� de l�se majest�, et acquitt� en 40. C'est probablement le m�mme, l'accusateur �tant Timidius dans les deux cas. (George MATHIEU.)
(
08
M. Arrecinus Clemens (cf. Tacite, Hist..IV, 68 ; Su�tone, Tib�re, 4).
(
09) Papinius est peut-�tre un parent de Sextus Papinius, tu� par ordre de Caligula (cf. S�n�que, De Ira, III, 18, 3).
(
10Cit� aussi par Su�tone (Caligula, 58); cf. Dion, LIX, 29 et LXI, 3).
(
11) Julius Claudius Callistus, affranchi de Caligula et procurator a libellis.
(
12Sans doute la basilique Palatine, entre le temple d'Auguste et le palais de Caligula.
(
13C'est-�-dire d'Auguste. Ces jeux institu�s par Livie en l''honneur d'Auguste �taient offerts par l'empereur dans le palais ; ils dur�rent d'abord trois jours, puis cinq au IVe si�cle, o� ils �taient c�l�br�s en l'honneur de tous les divi.
(
14) P. Nomius Asprenas Torquatus, consul en 38.
(
15P. Cluvius Rufus, en faveur sous N�ron, l�gat de Tarraconaise en 69, avait compos� une histoire utilis�e par Jos�phe. Vatinius est inconnu.
(
16o Citation de l'Iliade, XIV, 90-91 :
Σίγα μή τις τ' ἄλλος Ἀχαιῶν τοῦτον
ἀκούσῃ μύθον.
(17 Roi de Chypre, p�re de Myrrha, m�re d'Adonis. Cinyras se tue quand il apprend son inceste (Apollodore, LII, 14; Plutarque, Parallela, 22. Suivant la tradition courante, Myrrha est transform�e en arbre et ne meurt pas de mort violente.
(
18Le p�re d'Alexandre, assassin� en 336 av. J.-C. � Aigai lors du mariage de sa fille Cl�op�tre avec Alexandre d'Epire. Jos�phe a commis une erreur en rapprochant les calendriers mac�doniens et romains, car l'assassinat de Philippe se place en automne.
(
19) Marius Vinicius Quartinus, gendre de Germanicus (Tacite, Annales, VI, 45), consul en 30 et en 45, empoisonn� par Messaline en 46 (Dion, LX, 27). C'est � lui qu'est d�di� l'ouvrage de Velleius Paterculus.
(
20ἔριν Nos = ἔρις codd.
(21) L. Norbanus Balbus, consul en 19.
(
22Peut �tre fils de celui qu'Auguste avait en l'ann�e 16 charg� de construire une flotte (Tacite, Annales, II, 6) et fr�re de P. Anteius, qui se tua en 66 (Tacite, Annales, XVI, 14.)
(
23τῆς χαρᾶς ed. princeps καὶ τῆς χαρᾶς  Hudson τῆς χώρας Niese Naber.
(
24) Section 3 = Guerre II, 204-205.
(
25La date est donn�e approximativement, � moins que Jos�phe ne prenne pour point de d�part. 59 av. J.-C. (le premier consulat de C�sar).
(26Drusilla. Voir Su�tone, Caligula, 7 et 221.
(
27) Claude (Ti. Claudius Nero) avait pris le surnom le Germanicus quand l'autre Germanicus, adopt� par Tib�re, avait pass� de la gens Julia. Voir l'intitul� des �dits cit�s � 280.
(
28) Qu. Veranius, tribun en 41, consul en 49, l�gat de Lycie sous Claude, puis successeur de Didius en Bretagne o� il mourut (Tacite, Agricola, 14 et Annales, XIV, 29).
(
29) Peut-�tre Cn.. Sertorius Bronchus, proconsul sous Claude..
(
30) Section 1-2 = Guerre, II, 206-214.
(31)
πρὸς αὑτόν Hudson Naber : πρὸς αὐτόν Niese. Le texte de Hudson-Naber, explique seul la mise en sc�ne qui suit.
(32)
Sur le Palatin, � c�t� de la maison de Livie.
(33)
ἐν ἀδημονίᾳ Naber ἐν ἀνίᾳ Dindorf, contraria versio latina.
(34)
Βινίκιον Naber E Μινουκίανος cett. codd (venu de la phrase suivante).
(35)
Les vigiles et les marins de la flotte d'Ostie.
(36)
Q. Pomponius Secundus, consul en 41, m�l� plus tard � un complot (Tacite, Annales, XIII, 43), sans doute en 42 lors de la r�colte de Camillus Scribonianus..
(37)
Peut-�tre l'ancien pr�teur Apronius Saturninus (Su�tone, Caligula, 38).
(38) Rufius Pollio, pr�fet du pr�toire sous Claude, tr�s honor� par l'empereur (Dion, LX, 23, 2), puis peut-�tre tu� sur son ordre (S�n�que, Apocolokyntose, 13).
(39) Section 1 = Guerre, 2,. 215-217.
(40) Abila de Lysinias, sur le Barada, au sud de l'Antiliban.
(41) Racine s'est souvenu de cela quand il fait dire par Titus � Antiochus dans B�r�nice :
Je joins la Cilicie � votre Commag�ne  � [S. R.].
(42) C'est � la r�pression de cette r�volte et des troubles qui suivirent que se rapporte la lettre de Claude aux Alexandrins publi�e par H. Idris Bell, Jews an Chridtians in Egypt (papyrus 1912 du British Museum). L'�dit que cite Jos�phe et qui est post�rieur � juillet 41, mais ant�rieur � la lettre, a d� �tre remani� par Jos�phe ou sa source. Cf. Th. Reinach, Revue des Etudes Juives, 1924, p. 113-145; Adh. d'Al�s, Etudes, 1925, p. 183.
(43) Les rois dont il est question ici sont les Ptol�m�es. Mais le texte a �t� remani�, car jamais les Juifs n'ont eu les m�mes droits civiques que les; Alexandrins, TH. Reinach, Revue des Et. Juives, 1924, p. 125.
(44) Aquila, pr�fet d'Egypte en 10/11 av. J.-C.
(45) Nouvelle modification du texte, car Auguste rempla�a l'ethnarque par un coll�ge, la γερουσία  (Philon, Contre Flaccus, X, 74) Peut-�tre faut-il lire ἀρχόντας  (Th. Reinach, l. c., p. 124, note 5).
(46) Contrairement � leur voeu de saintet�, qui leur interdisait de se raser la barbe et de se couper les cheveux. Mais il s'agit ici sans doute de nazirs temporaires, dont les voeux n'�taient plus valables (voir Jewish Encycl., au mot Nazarite, p. 197).
(47) Cf. XVIII, 237.
(48) Aujourd'hui Tantoura, au pied du Carmel, civitas libera depuis 63 av. J.-C.
(49) προεστῶσι  conj. Niese, ἀποστᾶσι  codd.
(50) Plus haut il s'agit de Th�ophile, fils d'Anan. C'est le m�me personnage, mais le nom h�breu
Jonathan , serait mieux traduit par Th�odore que par Th�ophile. (L�on HERMANN].
(51) C. Vibius Marsus, consul suffect en 17, l�gat de Germanicus en Orient (Tacite, Annales, II, 74 et 79), proconsul d'Afrique de 27 � 30, accus� de l�se-majest� en 37 et sauv� par le mort de Tib�re (Tacite, Annales, V1, 47-48), succ�de en Syrie � P. Petroiiius vers 42 (Tacite, Ann., XI, 10) et y reste jusque vers 45.
(52) Section 2 = Guerre, II, 218.
(53) Antiochus IV de Commag�ne (Epiphenes Magnus), plusieurs fois d�tr�n� et r�tabli sur le tr�ne par Caligula et Claude, d�tr�n� d�finitivement en 72.
(54) Sampsigerarnos d'�m�se, beau-p�re d'Aristobule, fr�re d'Agrippa (cf. XVI11, 315).
(55) Cotys, fils de roi Thrace du m�me nom, roi de la Petite Arm�nie (� l'ouest de l'Euphrate) depuis 37-39.
(56) Pol�mon, fr�re de Cotys, r�gna sur le Pont et le Bosphore depuis 38. C'est le mari de B�r�nice (cf. XX, 145). Il fut roi d'Arm�nie en 60.
(57)  H�rode de Chalcis, fr�re d'Agrippa, roi de Chalcis depuis 38, mourut en 48 (voir Guerre, I, 28 ; XX, 3).
(58) Section 2 = Guerre, II, 219.
(59) Cf. XVIII, 25.
(60) Cet Helcias est sans doute diff�rent de celui qui est cit� XVIII, 138 et 273, et qui fait partie de la famille royale. Le γαζοφύλαξ de XX, 194 est aussi un homonyme.
(61) Sections 1-2 = Guerre, II. 219-220.
(62) La Guerre des Juifs a �t� compos�e avant les Antiquit�s (d'apr�s Ant. XX, 258). Mais il se peut que Jos�phe, dans l'�dition qui nous est parvenue, se place au point de vue du lecteur qui lit les deux ouvrages selon la suite chronologique des faits.

 

 

 

 

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